Les raisons d’un échec

Les récents massacres dans la région de l’Ituri confirment l’impuissance de la mission onusienne. Un handicap majeur pour le processus de paix.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Les troubles qui déchirent actuellement la région de l’Ituri le confirment : les facteurs de déstabilisation de la RD Congo sont nombreux. Pourtant, tous ont un dénominateur commun : la haine ethnique. Que les combats opposent les Hemas aux Lendus (dans la Province orientale) ou les Banyamulengue aux Hutus (dans le Kivu), le scénario est sensiblement le même. Surtout pour les civils. L’International Crisis Group (ICG) vient de publier, à quelques semaines d’intervalle, deux rapports consacrés l’un à l’intervention militaire internationale dans l’Ituri, l’autre aux opérations de désarmement des rebelles hutus rwandais. Dans les deux cas, la communauté internationale se trouve confrontée à des « forces négatives » dont la neutralisation paraît d’autant plus illusoire que le mandat de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) ne lui donne pas la possibilité d’agir efficacement. En attendant mieux, l’ICG prêche donc pour la négociation.
La guerre qui ravage la RDC est un « effet collatéral » du génocide rwandais d’avril 1994. Elle a permis aux rebelles hutus de créer dans le pays un sanctuaire idéal pour la poursuite de leurs opérations contre le régime de Kigali, provoquant l’intervention de l’Armée patriotique rwandaise au Kivu, en août 1998. Et, réciproquement, les activités des milices interahamwes et des ex-FAR (Forces armées rwandaises) fidèles au président Juvénal Habyarimana ont servi d’alibi au maintien d’une présence militaire rwandaise dans l’est de la RDC. Reste que le terme générique de « génocidaires » recouvre une réalité beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, comme en témoigne la nature très hétérogène des FDLR, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (voir encadré).
Pour priver Kigali de tout prétexte à une intervention en territoire congolais, l’ONU et les pays médiateurs se sont engagés à contribuer au désarmement volontaire, à la démobilisation, puis au rapatriement et à la réintégration des ex-rebelles hutus dans leur pays d’origine. Mais, comme le rappelle l’ICG : « autorisée par le Conseil de sécurité, le 8 novembre 2001, à se déployer à l’est de la RDC, la Monuc n’a rapatrié que quelques centaines d’ex-rebelles hutus. Et la participation d’observateurs sud-africains au mécanisme de vérification (TPVM) mis en place en juillet 2002 lors de la signature de l’accord bilatéral Rwanda-RDC n’a rien changé à ce bilan. Jusqu’à présent, la Monuc n’a déployé aucune force conséquente, ni élaboré de programme de désarmement crédible à l’est du Congo. »
Première raison de cet échec : « Le contexte sécuritaire et politique est peu propice au déploiement d’une force des Nations unies, qui sont elles-mêmes désorganisées et ont besoin d’un nouveau mandat et de nouvelles structures. La multiplication des groupes armés et des seigneurs de guerre en contact avec les FDLR rendent difficile le désarmement d’une force comptant au minimum 15 000 hommes, aguerris par plus de huit ans de combats sur un terrain d’opération d’environ 150 000 km2. » Les récents massacres perpétrés dans la région de l’Ituri, à la frontière avec l’Ouganda, ne sont pas de nature à favoriser le désarmement des belligérants, notamment des forces rwandaises et ougandaises. D’autant que, souligne l’ICG, le gouvernement de Kinshasa a, au mois de février, renouvelé son soutien aux FDLR, après un arrêt de trois mois.
Seconde raison : le concept même de désarmement tel qu’il est admis par la communauté internationale. Le mandat de la Monuc et l’accord de Pretoria (juillet 2002) envisagent le désarmement comme « un problème strictement sécuritaire et, surtout, strictement congolais ». Ce qui signifie que « la dimension politique interne, rwando-rwandaise, de la question n’a jamais été sérieusement examinée ». Concrètement, aucun contact avec les rebelles du FDLR n’a été envisagé. Et aucun des acteurs internationaux impliqués n’a officiellement fait le lien entre la démobilisation des membres de ce mouvement présents en territoire congolais et « une nécessaire politique d’ouverture et de réconciliation au Rwanda », conclut l’ICG.
Alors que le pays des Mille Collines vient de se doter – dans un bel élan d’unanimisme – d’une nouvelle Constitution (93 % des suffrages en faveur du « oui » au référendum du 26 mai !), les prochaines échéances électorales (présidentielle et législatives) suscitent certaines contestations. La Concertation permanente de l’opposition démocratique rwandaise (CPODR), qui regroupe la quasi-totalité des partis d’opposition en exil, monte au créneau pour dénoncer la dérive autoritaire du régime. Or les FDLR sont membres de cette Concertation, au même titre que les représentants de Tutsis rescapés du génocide. Dans l’immédiat, les opposants appellent à la suspension du processus de transition. S’ils n’obtiennent pas satisfaction, il est plus que probable qu’ils s’engageront dans des opérations de déstabilisation du régime. Pour sa part, celui-ci « rejette catégoriquement toute reconnaissance et tout dialogue avec une opposition qu’il considère comme génocidaire et terroriste ».
Alors que les positions des uns et des autres se radicalisent, toute tentative de désarmement volontaire semble vouée au fiasco. Seule solution de rechange, la manière forte a elle aussi été essayée, sans plus de succès : en six ans de présence militaire au Nord- et Sud-Kivu, l’Armée patriotique rwandaise n’est jamais parvenue à venir à bout des FDLR.
Comme l’illustre la situation en Ituri, l’impuissance de la Monuc est, pour le processus de paix en RDC, un handicap majeur. Selon l’ICG, la mission onusienne devrait immédiatement « déployer une force de réaction rapide afin de rétablir l’ordre et empêcher les FDLR de déstabiliser le Rwanda ». Enfin, elle doit pouvoir compter sur une action diplomatique efficace qui permette aux FDLR d’être reconnues comme un interlocuteur à part entière par le régime de Kigali. Toute solution militaire à ce problème éminemment politique ne serait qu’un leurre. Reste à savoir si la nomination de l’Américain William Lacy Swing comme représentant spécial de Kofi Annan en RDC (il succédera au Camerounais Amos Namanga Ngongi le 1er juillet) permettra de changer la donne.

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