Il n’est pas interdit de rêver

Ils voudraient devenir chanteur à la mode, animateur télé, architecte, avocat ou styliste. En attendant, ils tentent de poursuivre leurs études.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Il faut compter avec eux. Et ne pas leur en conter. Sur les quelque trois millions d’habitants que compte Doula, une bonne moitié a moins de 21 ans. Douala étant la ville du business par excellence, la plupart ont attrapé le virus des affaires. Ils veulent gagner de l’argent, en créant leur « boîte », en épousant une carrière libérale ou en devenant des cadres dynamiques.
Sur ce plan, ils sont bien différents de leurs « frères » de Yaoundé. C’est du moins ce qu’ils prétendent. « À Douala, nous sommes plus battants, plus dynamiques et plus optimistes que dans le reste du pays », déclare Isaac du haut de ses 17 ans. Un sentiment partagé par Didier Nyoumi, le directeur de la Maison des jeunes et de la culture (MJC) : « À Yaoundé, quand un jeune a le bac, il s’inscrit à l’université et espère entrer dans la fonction publique. Le jeune de Douala, lui, n’a qu’un souhait : travailler dans le privé une fois qu’il aura achevé ses études. »
Ainsi Abdoulaye, 17 ans, voudrait être architecte, tandis que Michel se voit bien avocat. Ceux qui ont le goût du risque aspirent à fonder leur entreprise dans le secteur des services, notamment l’hôtellerie, le tourisme et le commerce. D’autres encore, comme Patrick ou Éric, opteraient volontiers pour les médias, les nouvelles technologies de l’information ou le show business, qui constituent « les métiers de rêve », avec le sport et la musique. Pour cette génération « rap », Roger Milla ou Yannick Noah font figure de modèles. La panacée : devenir chanteur à la mode, publiciste, producteur dans le show-biz ou animateur télé. Les filles, elles, sont davantage attirées par les métiers de la mode – coiffure, stylisme – ou de la communication.
Mais la vie est dure, et les études coûtent cher. Si Douala offre un large éventail de filières, les écoles qui dispensent les meilleures formations professionnelles sont privées. Donc payantes. Aussi ceux qui peuvent y entrer ne sont pas légion. « Il faut parfois débourser entre 500 000 et 1 million de F CFA par an [entre 762 et 1 524 euros] », se plaint Claude, qui a dû quitter le collège pour gagner sa vie. Quand on ne peut prétendre à ce « luxe », il faut se replier sur l’enseignement public, où la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. « On fait plein de choses au collège ou au lycée, sans apprendre rien de précis, déplore Isaac. Beaucoup de jeunes abandonnent avant la fin du second cycle. » Et quand il faut passer les examens d’entrée aux écoles publiques ou privées, les échecs sont nombreux. En outre, il y a beaucoup de « trafic ». « J’ai raté le concours de la police, confie Rachid, 20 ans. Pourtant, j’avais de bonnes notes. Tu peux réussir, même si tu ne te présentes pas à l’examen, mais il faut donner 50 000 ou 60 000 F CFA de bakchich au jury ! »
Quand ils arrivent à poursuivre leurs études, ils ne sont pas les derniers à faire des petits boulots, « pour soulager les parents, en payant les livres, le taxi et le repas de midi ». Les filles ont souvent plus de chance que les garçons. « Je coiffe les enfants ou les femmes pour les fêtes, déclare Thérèse, étudiante. Je peux gagner entre 2 000 et 12 000 F CFA selon les coiffures. Le must, c’est de trouver un travail d’hôtesse ou de mannequin. On peut gagner entre 10 000 et 50 000 F CFA en une journée. »
Si passer le cap des diplômes est difficile, trouver un travail l’est encore plus. Car il faut des relations pour accéder au marché de l’emploi formel. « Quelqu’un devient quelqu’un derrière quelqu’un », affirme Olivier. En d’autres termes, « si tu n’es personne, si tu n’as pas d’appuis, tu ne deviendras jamais quelqu’un », précise Aziz. Le manque de moyens financiers brise bien des rêves, les plus fous comme les plus sages, et les reconversions sont parfois douloureuses. Les seuls débouchés possibles restent « l’informel, le gardiennage, la manutention ou les petits métiers du bâtiment… » signale Abdoulaye, qui voulait devenir architecte et vend aujourd’hui des fripes. Pas facile, en outre, de rassembler un petit capital de départ et de faire son trou dans un secteur où tout le monde s’engouffre et où il faut sans cesse « sortir les billets à cause de la corruption ». Pour échapper à cette misère, ceux qui ont un peu de talent se tournent vers les carrières sportives – football ou basket -, car « il ne faut pas de diplôme et ça peut rapporter gros », indique Éric, 19 ans. Mais les élus sont peu nombreux. Pour aider les jeunes à s’en sortir, la MJC organise des stages de formation dans les filières qui suscitent le plus d’engouement. « Une manière de les distraire tout en leur permettant de se projeter dans l’avenir », souligne Nyoumi. Et ça marche.
En bons Doualais, ils savent conjuguer divertissement et investissement. Mais ils savent aussi s’amuser, tout simplement. Ils se retrouvent au cinéma, dans les bars ou sortent en « boîte », voire dans des « boums ». Pour rassurer les parents, qui n’aiment pas voir leurs filles sortir la nuit, et s’adapter aux petites bourses, certaines discothèques – Kheops, Sun Set, Spot, Monaco – organisent des « matinées » de 16 heures à 22 heures et proposent des tarifs promotionnels, voire la gratuité pour les demoiselles. Les « grands », eux, s’accorderont la permission de minuit. Et plus, si affinités.
Mais pas question de prendre des risques. Le sida, ils ont conscience que ça tue. Les filles, « qui ne font plus confiance à personne », sont souvent les premières à imposer le préservatif à leur partenaire, qu’elles trouvent d’ailleurs un peu trop machos à leur goût. Les garçons, eux, s’en défendent mollement, et se plaignent en retour du côté matérialiste de la gent féminine. Seraient-ils tout à coup devenus romantiques ? Allez savoir qui a raison !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires