Douala, année zéro

Encouragés par la hausse de l’activité, les pouvoirs publics ont décidé d’investir massivement dans la capitale économique camerounaise.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

A ce qu’on dit, « Douala n’a jamais été en aussi bonne posture ! ». Il est vrai que, hormis les problèmes d’électricité qui minent le moral des opérateurs économiques, Douala bénéficie, en cette année 2003, d’un exceptionnel concours de circonstances. Ses principales concurrentes portuaires, Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, Matadi en République démocratique du Congo et Luanda en Angola pâtissent toujours des années de guerres civiles qui ont ravagé leurs territoires. La ville des peuples sawas bénéficie aussi, de manière indirecte, de la période troublée que traverse la Côte d’Ivoire. Des investisseurs de tous bords regardent à présent d’un oeil neuf la cité qui, longtemps jugée corrompue, affiche une stabilité presque insolente. Last but not least, le pouvoir camerounais a enfin décidé d’investir dans cette agglomération.
Des années durant, le littoral avait été quelque peu délaissé parce qu’il « votait mal ». John Fru Ndi, le leader du Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition, y régnait en maître. Le président Paul Biya, souhaitant faire de Douala une vitrine de l’Afrique centrale, nomma le colonel Édouard Etonde Ekoto à la tête de la Communauté urbaine tout en lui garantissant l’aide financière de l’État. Le président a tenu parole après que le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti gouvernemental, eut remporté, en juin 2002, les élections municipales et législatives dans la quasi-totalité des circonscriptions du Wouri.
Ainsi Douala va-t-il peut-être, et enfin, tenir le rang que sa position géographique et son poids économique lui promettaient depuis des années. Un simple regard sur une carte permet de comprendre ses indéniables avantages sous-régionaux : à l’Ouest, seul le site nigérian de Port-Harcourt, s’appuyant sur un arrière-pays puissant et très peuplé, pourrait lui faire de l’ombre. Mais les ports nigérians, dans leur ensemble, peinent à satisfaire les besoins locaux et, longtemps encore, ne capteront aucun fret en transit. En face, Malabo conserve des velléités régionales. Obligée d’agrandir ses infrastructures pour répondre aux besoins des compagnies pétrolières, la Guinée équatoriale peut effectivement se montrer ambitieuse, d’autant que le gouvernement commence à jouer un rôle politique non négligeable auprès de ses voisins francophones. Il n’empêche que sa desserte constitue pour tous les importateurs continentaux une rupture de charge supplémentaire entraînant fatalement une augmentation des coûts et des délais. Au Sud, on a vu que Pointe-Noire, Matadi et Luanda en avaient pour quelque temps avant de retrouver leurs capacités. Restent, au Gabon, Port-Gentil pour le bois et le pétrole, Owendo pour les produits miniers et le tout-venant. Des ports correctement équipés et gérés qui pourraient se positionner aussi dans la sous-région si le Gabon disposait de voies de communication à même de rendre plus accessible l’intérieur des terres. Or il n’en est rien. Le chemin de fer s’est arrêté à Franceville, et aucune route digne de ce nom ne traverse la frontière après avoir percé l’impénétrable et imprévisible forêt gabonaise.
Du reste, rares sont les villes de la côte d’Afrique centrale qui desservent correctement l’hinterland. Pointe-Noire, adossé à son Chemin de fer Congo-Océan et au réseau fluvial Congo-Oubangui, fut longtemps une place internationale, désenclavant la Centrafrique et offrant aux forestiers de toute la région une voie d’évacuation bien moins onéreuse que les pistes camerounaises. La Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) y déversa des millions de tonnes de manganèse gabonais avant que la guerre, stoppant le chemin de fer, ne l’oblige à privilégier le Transgabonais et le port d’Owendo. Matadi ne suffit pas aux besoins de l’immense RD Congo, notamment à cause de l’état du chemin de fer reliant le port à Kinshasa – le fleuve Congo n’étant plus navigable entre la capitale et le littoral. En période de paix, le grand voisin n’hésitait d’ailleurs pas à faire transiter une partie de ses marchandises par Pointe-Noire plutôt que par Matadi !
Douala se place donc au coeur de cet enchevêtrement de communications difficiles. Son chemin de fer, lui non plus, n’est pas en bon état. Mais il roule, et il a été privatisé. Le nouveau maître d’oeuvre, le groupe français Bolloré, s’apprête à rénover les voies après avoir remis le parc en état, surtout pour le fret. En plus du train qui va jusqu’à Ngaoundéré, au Nord, des routes goudronnées s’élancent dans toutes les directions : vers Yaoundé d’abord, mais aussi vers le Nigeria et le Tchad au Nord, la Centrafrique à l’Est, le Gabon et la Guinée équatoriale au Sud. Le port camerounais peut se targuer d’être relié par de bonnes routes – à l’exception de certains tronçons à parfaire – aux pays voisins qui, de leur côté, bitument également à tour de bras vers le Cameroun. Bangui, Bata, N’Djamena sont ou seront très prochainement à portée de camions de Douala, qui dispose en outre d’une bonne desserte aérienne sous-régionale avec Cameroon Airlines. Air France, par exemple, ne dessert pas directement Malabo, mais s’arrête dans la capitale économique camerounaise et confie à la Camair ou à Air Gabon les passagers souhaitant poursuivre leur trajet. Des navettes quotidiennes existent entre Libreville et Douala, et la fréquence des vols pour les autres grandes villes de la zone – N’Djamena, Kinshasa, Brazzaville, Bangui – est élevée. Si bien que, sans véritable programmation, l’aéroport de Douala est devenu une sorte de « hub » régional, à l’image de celui d’Abidjan en Afrique de l’Ouest.
Sur le plan maritime, ce n’est pas encore le cas. Mais le port met aujourd’hui tout en oeuvre pour acquérir ce statut. D’autant qu’il est le seul de la région à pouvoir s’adosser à une économie locale substantielle. Par son nombre d’habitants d’abord : près de trois millions actuellement, soit le double de Yaoundé ! Par son poids économique, ensuite : la région concentre, selon les statisticiens camerounais, 80 % du Produit intérieur brut (PIB) du pays. En fait, il faut soustraire l’agriculture de cette estimation. Mais l’essentiel de l’industrie camerounaise réside à Douala : l’agro-industrie, les industries mécaniques, la cimenterie locale (Cimencam), la chimie, le coton, le bois, l’aluminium, les boissons, etc. De plus, les grandes entreprises de service – banques et assurances – ont presque toutes installé leur siège social ici plutôt qu’à Yaoundé. Idem pour les compagnies pétrolières Shell et Total. Quant à la Société nationale de raffinage, elle a élu domicile à Limbé, à quelques dizaines de kilomètres de l’agglomération.
Bref, au Cameroun, la capitale ne rassemble que les politiques, la haute administration et quelques sièges de société comme certaines entreprises du BTP. Et Douala a hérité de tout le reste. Une telle concentration d’opérateurs économiques est, en elle-même, porteuse de dynamisme. La débrouillardise camerounaise est telle qu’elle a permis d’assurer une croissance stable depuis cinq ans (entre 4 % et 5 % par an), et ce en dépit de la baisse des revenus des matières premières (baisse de l’extraction pétrolière et chute des prix des cultures de rente) et de la faiblesse des investissements étrangers. Seule la construction du pipeline acheminant le pétrole tchadien de Doba jusqu’au terminal camerounais de Kribi a rehaussé leur niveau ces deux dernières années. Pour l’avenir, l’État camerounais a maintenant l’assurance que les institutions de Bretton Woods donneront leur aval à l’effacement d’une grande partie de sa dette extérieure, évaluée à quelque 6 milliards de dollars. Les trois quarts de ce montant devraient ainsi disparaître du passif camerounais d’ici à la mi-2004. La Banque mondiale, le Canada et la France soutiennent en outre financièrement la rénovation de la ville, les travaux ayant commencé début 2003. Enfin, la présence de pétrole onshore semble confirmée, alors que démarrera, en 2004, l’exportation de cobalt et de nickel camerounais. Les génies aquatiques, maîtres incontestables de la ville dans l’imaginaire des Sawas, semblent avoir enfin pris leurs sujets en pitié !

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