De Nazareth à Auschwitz

À l’initiative d’un prêtre arabe, des Israéliens et des Palestiniens se sont retrouvés dans un lieu hautement symbolique du martyre juif.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Cet homme est une minorité à lui tout seul. Arabe israélien vivant en Palestine, il est prêtre catholique de rite oriental (melkite) et officie à Nazareth, en Israël. Le dialogue des cultures et des religions est, chez Émile Shoufani, une seconde nature. Il l’a prouvé avec une initiative sans précédent : l’organisation, du 26 au 28 mai, d’un voyage au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, réunissant quatre cent cinquante juifs, musulmans et chrétiens originaires d’Israël, de Palestine, de France et de Belgique. À l’origine de ce projet, une conviction : la mémoire partagée de la Shoah peut contribuer à la paix entre Israéliens et Palestiniens. Il n’était donc pas de geste plus fort que de se rendre sur les lieux où sont morts plus d’un million de juifs.
Les participants avaient, au départ, l’impression d’avoir déjà tout lu et tout entendu sur le sujet. Mais ils ont écouté, muets, les récits des survivants d’Auschwitz, notamment celui de Schlomo Venezia, un ancien des Sonderkommandos, ces brigades de déportés juifs chargés de « nettoyer » les chambres à gaz.
Tenter d’influencer les esprits avec une visite « coup de poing » dans un lieu hautement symbolique du martyre juif comportait des risques. Les Arabes pouvaient se sentir étrangers à un crime qui, historiquement, ne les concerne pas. Ils pouvaient même se sentir agressés par un amalgame désobligeant avec la cause palestinienne. Alors, pourquoi Auschwitz ?
Émile Shoufani est né en 1947 à Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël et aussi la plus importante cité chrétienne. En 1948, à la création de l’État d’Israël, il est naturalisé israélien. Sa formation commence au séminaire de Saint-Joseph, dans sa ville natale, puis il part étudier la philosophie et la théologie à Paris entre 1964 et 1971. Cette année-là est marquante pour lui à double titre. D’abord, il est ordonné prêtre par l’Église grecque catholique. Ensuite, il lit Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination de Jean-François Steiner. Sorti en 1966, ce document a connu un énorme succès avant d’être violemment contesté par l’intelligentsia juive française. L’auteur a en effet beaucoup choqué en évoquant le rôle des Sonderkommandos, mettant en relief leur « engagement » aux côtés des nazis dans l’extermination de leurs coreligionnaires, au motif qu’il fallait sortir vivant de Treblinka pour pouvoir témoigner.
Tout cela bouleverse le jeune ecclésiastique, qui éprouve le besoin de mieux comprendre la tragédie du peuple juif. Il part alors visiter le camp de Dachau, en Allemagne. C’est un homme transformé, spirituellement et intellectuellement, qui revient en Galilée. Il est d’abord médiateur entre les communautés chrétienne, musulmane et druze, essayant non pas de les faire coexister côte à côte, mais plutôt de les inciter à une véritable vie commune. Face au différend israélo-palestinien, il prône le même genre de solution.
Il aura l’occasion de l’expérimenter dès 1976 en prenant la direction du séminaire et lycée Saint-Joseph. Il transforme « l’école chrétienne qui accepte des musulmans et des Druzes en établissement où toutes les confessions vivent ensemble ». Treize ans plus tard, devenu archimandrite, c’est-à-dire « supérieur » du séminaire, il décide de le jumeler avec Lyada, une école rattachée à l’université hébraïque de Jérusalem. De nombreux élèves des deux établissements l’accompagnaient à Auschwitz en mai.
Quel peut être l’impact de ce genre d’opération ? De nombreux jeunes Arabes israéliens ont reconnu avoir aujourd’hui une meilleure compréhension de l’histoire de leurs compatriotes juifs. Il reste maintenant à inventer un voyage vers un symbole de la souffrance palestinienne. Sabra et Chatila, par exemple. Ou ce qui reste de Deir Yassine.

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