Au service de dieu et de la rumba

Après plus de trois mois de détention en France pour aide à l’immigration clandestine, la star de la musique africaine, en liberté conditionnelle depuis le 5 juin, entend désormais prêcher la parole divine.

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Ceux qui connaissaient Papa Wemba avant son séjour en prison retrouvent un homme marqué par près de quatre mois de détention, peu disert, comme perdu dans ses pensées. Plus que par le passé, il donne le sentiment d’être ailleurs et promène un regard absent. Même son look, hier encore flamboyant, est moins tape-à-l’oeil. Le roi de la sape s’est aujourd’hui débarrassé de tout bijou, de tout clinquant. Le cheveu ras a cédé la place à des dreadlocks enfouis dans un bonnet. La silhouette est moins enveloppée, fruit d’une pratique plus assidue du sport pour vaincre l’ennui de longues journées entre quatre murs.
Mais si Papa Wemba affiche une bonne forme physique, le moral, lui, semble ne pas être des meilleurs. Au contact de l’artiste, on sent un homme sonné, blessé au point d’être devenu irritable. Mais la volonté est là, intacte, entretenue par les nombreuses lettres et les messages de soutien. Un groupe d’avocats américains lui a ainsi proposé de le défendre gratuitement. Autant de témoignages qui lui ont permis de continuer à croire en lui-même et de pouvoir dire : « Je suis un patrimoine culturel. Je vais chanter, et mieux. Je vais vers des succès plus importants. »
Propos volontaristes. Après avoir gravi toutes les marches pour s’imposer parmi les musiciens africains les plus connus, le roi de la rumba ne revient toujours pas de ce qui lui arrive depuis le 14 février dernier. C’est ce jour en effet qu’éclate à Bruxelles une sombre affaire de trafic de visas au bénéfice de certains membres de sa troupe qui le conduira, soixante-douze heures plus tard, en détention (voir J.A.I. n° 2199). Et il aura fallu le déploiement de « l’artillerie lourde » pour faire sortir la star de la prison de Fleury-Mérogis, le 5 juin. Une libération conditionnelle obtenue, à en croire une source proche du dossier, grâce à « des interventions venues de haut lieu ».
Rarement affaire aura, en effet, fait l’objet d’aussi nombreuses interventions de leaders africains auprès des autorités françaises. Les présidents de la République démocratique du Congo Joseph Kabila, du Gabon Omar Bongo et du Congo Denis Sassou Nguesso, en séjour en France à l’occasion du sommet France-Afrique des 20 et 21 février, ont discrètement intercédé en sa faveur auprès de leur homologue français Jacques Chirac. La pression ne s’est pas relâchée depuis. À l’appel d’une opinion publique choquée, et de « fans » qui ont manifesté leur désapprobation devant l’ambassade de France à Kinshasa le lendemain de l’arrestation de leur idole, le pouvoir de Joseph Kabila n’a cessé de suivre « l’affaire » de près.
Celui qu’on appelle le « Johnny Hallyday de l’Afrique centrale » aurait également bénéficié des « bons offices » de quelques grosses pointures de la scène de l’Hexagone. À commencer par Johnny lui-même, bien introduit à l’Élysée et lié à son locataire actuel, Jacques Chirac. Mais aussi Jean-Jacques Goldman, proche ami de Papa Wemba. Resté sourd à toutes les demandes de libération provisoire formulées depuis plusieurs semaines par les avocats du détenu, le tribunal de Bobigny a fini par accepter, avec l’accord du parquet. À l’arrivée, une libération provisoire et sans caution, le 21 mai. Mais l’artiste congolais ne pouvait quitter la prison, du fait du mandat d’arrêt international lancé contre lui le 17 février en Belgique par le juge Coumans, dans le cadre d’une enquête sur des faits similaires de trafic de visas et d’aide à l’immigration clandestine.
Le 28 mai, il est présenté à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, seule juridiction compétente en matière d’extradition en France. Celle-ci estime inopportun de le remettre à la Belgique, mais n’en exige pas moins une caution de 30 000 euros pour une libération provisoire soumise à certaines contraintes dans le cadre d’un contrôle judiciaire : interdiction de quitter la France métropolitaine, confiscation de son passeport… La star mettra une semaine à réunir la somme, avant de franchir le portail de la maison d’arrêt, le 5 juin, sous les vivats d’amis proches et d’une poignée de « fans ». Au lieu de rejoindre directement son domicile, Papa Wemba préfère se rendre d’abord à la cathédrale d’Évry, dans la banlieue parisienne, « pour un moment de recueillement ». Son épouse Rose, alias Amazone, ses six enfants, mais aussi Saxo, son petit caniche, attendront.
Le roi de la sape est sorti de sa détention raffermi dans sa foi chrétienne. « J’ai redécouvert la puissance de l’Éternel en prison, proclame-t-il. Il m’a beaucoup plus parlé en bien qu’en mal. J’ai eu le temps d’y voir plus clair, et je crois que je finirai un jour par parcourir le monde pour vulgariser la parole de Dieu. » De fait, seul dans sa cellule, sans la possibilité d’engager de longues discussions avec les autres prisonniers, sauf au cours des heures d’ouverture et de promenade, l’artiste s’est choisi comme compagnons la Bible, la radio et la télévision. Mais il n’a pas manqué de se faire de « bons amis » parmi ses codétenus et les surveillants. Et la qualité de la nourriture, les conditions de confort et d’hygiène ne l’ont pas dérangé outre mesure. L’enfant du Kasaï, né dans une famille modeste à Lubefu, une localité rurale du centre de la RD Congo, sait s’adapter à toutes les literies et à toutes les tables.
Seul souci : la longueur des journées passées à ne rien faire, loin de l’effervescence du monde du show-biz dans laquelle il a passé les trente dernières années. Alors que maints observateurs s’inquiètent pour la suite de sa carrière (après l’annulation de ses contrats dans les mois suivant son arrestation), lui croit en ses projets professionnels. En octobre prochain, il mettra sur le marché un nouvel album, Somo Trop, un opus de seize titres dont une chanson phare, « Numéro d’écrou », écrite dans sa cellule et inspirée de son expérience de l’univers carcéral.
Papa Wemba reste optimiste, malgré les mesures de contrôle judiciaire qui le frappent. L’un de ses avocats, Jean-Charles Tchikaya, entend d’ailleurs batailler ferme pour obtenir la mainlevée de l’interdiction qui lui est faite de quitter la France, afin qu’il puisse prendre part, en août prochain à Brazzaville, au Festival panafricain de la musique (Fespam). En attendant, le chanteur s’attelle à ses répétitions, et passe le reste de ses journées entre son bureau de la rue Barbusse, à Bobigny, et le Café de la musique, situé à Pantin, où il aime à se retrouver autour d’un verre avec ses amis. Il est prudent, et se garde rigoureusement, sur instruction de ses trois avocats, de parler aux journalistes et d’aborder ses ennuis judiciaires en public. Sa conférence de presse, qui était prévue le 17 juin au Centre d’accueil de la presse étrangère (Cape), à Paris, a ainsi été annulée.
Le 13 juillet prochain à Paris, la star se retrouvera en revanche avec son comité de soutien et ses « fans » pour une soirée que tous veulent mémorable. Dirigé par le Congolais Jean-Paul Kassende, le comité revendique des centaines de membres de tous horizons, politique, intellectuel, artistique… Il a organisé le 8 mars 2003 à Paris, une grande marche pour la libération de son idole. Sur la lancée de cette première victoire, Jean-Paul Kassende et ses amis entendent poursuivre le combat sur deux fronts. Sur le plan judiciaire jusqu’à l’extinction de toutes les poursuites engagées contre Papa Wemba. Au niveau de l’image pour faire oublier la tache venue maculer l’habit de lumière de la star internationale.

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