Armes de distraction massive

Publié le 23 juin 2003 Lecture : 2 minutes.

En 1986 – comme c’est loin, tout ça… -, la Cour internationale de justice avait condamné les États-Unis dans une affaire qui les opposait au Nicaragua. Elle avait jugé que les Yankees avaient violé un certain nombre d’obligations internationales et qu’ils en devaient réparation au gouvernement de Managua. Fort de ce précédent, mon ami Amine Jaber, philosophe irakien installé en Europe, a pris le train pour se rendre à La Haye et y déposer plainte contre les maîtres du monde. Tout cela lui a coûté dix-huit euros soixante centimes. J’ai interviewé Amine à l’ombre d’un moulin à vent, autour d’une absinthe bien corsée.
– De quoi accuses-tu les States ?
– D’avoir introduit dans mon pays toutes sortes d’armes aux effets effrayants.
– Ah, je comprends… Obus à l’uranium appauvri, bombes à fragmentation…
– Pas du tout. Je parle d’armes autrement plus nocives !
– Explique.
– Il s’agit des armes de distraction massive. C’est fou le nombre de bouquins débiles – des rebuts de l’armée américaine – qui ont envahi les échoppes de Bagdad. Les GI’s ne lisent que des bandes dessinées : Spiderman, Rubberman, Marvel, etc. Les officiers, eux, lisent Mémoires d’une call-girl et Confessions d’une mère-maquerelle. Voilà, en livres d’occasion, ce que lisent mes compatriotes aujourd’hui.
– On est loin d’Omar Khayyam.
– Et les programmes débiles qui débarquent à la Télé-Bagdad ! On annonce pour bientôt une version locale de Big Brother, cette émission où des gus musculeux et des donzelles écervelées vaquent à leur vacuité en débitant des propos d’une banalité effarante, le tout sous l’oeil de vingt caméras. Seule concession aux chiites : les dames seront intégralement recouvertes d’un tchador et les hommes seront tous barbus. Bien entendu, les deux groupes seront séparés par un mur de béton et tout flirt par caméra interposée sera puni de vingt coups de fouet. En cas de consommation, lapidation générale.
– Mmmm. Je ne crois pas que tu obtiendras une condamnation pour cela. La bêtise est la chose du monde la mieux partagée.
– Alors, j’attaquerai sur les armes d’exclusion massive : pour reconstruire l’Irak, les Américains parlent d’une « représentation juste de toutes les ethnies et groupes religieux », mais ils excluent 55 % de la population : les femmes, pourtant bien plus instruites chez nous que dans les pays voisins. Ma femme est docteur en chimie ! Mais le vice-roi américain n’a approché que des hommes pour former un gouvernement provisoire.
Amine sirota son absinthe d’un air songeur.
– Remarque que je ne serais pas non plus enchanté d’avoir une Condoleezza Rice irakienne comme Premier ministre de mon pays…

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