Une autre affaire Khalifa ?

Un nouvel établissement bancaire privé, la BCIA, est secoué par un scandale qui met en émoi l’ensemble du secteur financier.

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

La faillite frauduleuse de la Banque commerciale et industrielle d’Algérie (BCIA) n’a pas fait grand bruit. La presse locale ne lui a consacré que quelques filets en pages intérieures. Quant aux médias lourds (télévisions et radios), ils l’ont passée sous silence. Pourtant, à bien y regarder, on décèle nombre de similitudes avec le scandale Khalifa Bank, qui a failli, en 2003, provoquer un krach financier. D’abord, en termes de coût pour le Trésor public : 132 milliards de dinars, soit plus de 1,7 milliard de dollars. Autre ressemblance : le promoteur de la BCIA, Ahmed Kherroubi, vit aujourd’hui un exil doré en Espagne, tout comme le tycoon Abdelmoumen Khalifa coule des jours heureux à Londres. Seule différence, l’âge des banquiers indélicats. Si Khalifa était trentenaire au moment des faits, Ahmed Kherroubi est âgé d’une soixantaine d’années. Rappel des faits.
La BCIA, appartenant au groupe privé Kherroubi, spécialisé dans l’agroalimentaire, a été déclarée en faillite frauduleuse en octobre 2003. Établie à Oran, deuxième ville du pays, la BCIA s’était révélée incapable d’honorer des traites avalisées par une institution financière publique, la Banque extérieure d’Algérie (BEA). Ces traites avaient été émises au profit d’hommes d’affaires qui ne présentaient aucune garantie. Après dix-huit mois d’instruction, le procureur général d’Oran a annoncé, le 14 mai dernier, la liquidation de la BCIA, l’incarcération de 33 personnes et l’émission de 16 mandats d’arrêt internationaux, dont l’un visant le promoteur de la banque.
Ce nouveau coup dur sera-t-il fatal au secteur bancaire privé algérien ? Il y a tout lieu de le craindre. Une institution financière ne peut prospérer que s’il y a un rapport de confiance entre le banquier et le déposant. Or la multiplication des scandales n’est pas à même de rassurer l’épargnant, tenté de revenir aux banques publiques, quand il n’y est pas contraint. Une instruction du Premier ministre Ahmed Ouyahia avait exigé, en 2004, des entreprises publiques qu’elles ferment leurs comptes ouverts dans les banques privées. Cette décision n’avait pas ému outre mesure la Banque mondiale, qui prône, pourtant, la voie libérale et la privatisation du secteur financier. L’institution de Bretton Woods est allée jusqu’à qualifier les banques privées algériennes d’entreprises n’agissant qu’en fonction des intérêts de la « famille ». On appréciera l’allusion aux structures mafieuses.
Ces affirmations sont loin de faire l’unanimité. Un banquier privé, lui aussi en délicatesse avec la justice algérienne, réfute ces accusations. « Quand on confie les commandes d’un avion de ligne à un chauffeur routier, la responsabilité du krach ne devrait pas être attribuée au pilote, mais à celui qui lui a permis de prendre les commandes. Abdelmoumen Khalifa était un simple pharmacien. Kherroubi, lui, était tout au plus un producteur de yaourts. Non seulement ils ne disposaient pas des qualités requises pour diriger une banque, mais on les a laissés faire. » Le « on » de notre interlocuteur cible la Banque d’Algérie, qui accorde les agréments aux institutions financières, et la Commission bancaire, chargée du contrôle des opérations et qui doit veiller au respect des règles prudentielles.
La faillite frauduleuse de la BCIA n’a pas tardé à faire ses effets. Boualem Benaïssa, PDG de la BEA, la banque flouée dans ce scandale, a été remercié le 8 mai. Dans la foulée, trois autres dirigeants de banques publiques ont été relevés de leurs fonctions (voir l’encadré). Le juge qui instruit l’affaire Khalifa convoque quotidiennement d’anciens ministres, des membres du gouvernement encore en activité, des walis (« préfets ») et de hauts fonctionnaires. Abdelwaheb Keramane, ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, a été mis en examen. Son successeur, Mohamed Leksaci, serait sur la sellette, et des rumeurs persistantes prêtent au président Abdelaziz Bouteflika son intention de le démettre. Quant aux membres de la Commission bancaire, accusés de laxisme, ils sont, au mieux, poussés à la retraite, au pire, en attente d’une inculpation.
Ce coup d’accélérateur de la justice dans les affaires financières est le produit d’une volonté d’assainir un secteur dont la réforme constitue une priorité dans le programme politique que devait défendre Ahmed Ouyahia le 22 mai devant l’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse du Parlement). Une bonne nouvelle pour les épargnants, mais qui ne va pas sans susciter certaines inquiétudes. « Je redoute que l’on jette le bébé avec l’eau du bain », confie un homme d’affaires. L’Inspection générale des finances (IGF) refait parler d’elle après une léthargie qui a duré plus d’une décennie. Elle s’intéresse aux mécanismes d’octroi de prêts aux grands groupes privés. Cette défiance risque de paralyser une partie de l’activité économique.
Un cadre d’une banque publique ne cache pas ses appréhensions : « Les instructions qu’on reçoit sont paradoxales. Dans le cadre de l’encouragement à la création d’entreprises, notre tutelle nous oblige à faciliter les prêts aux jeunes, même s’ils ne présentent aucune garantie de solvabilité. Par moments, nous accordons des financements en ayant la certitude que nous ne serons jamais remboursés. » Quant aux grands projets industriels du secteur privé, ils sont le plus souvent financés par le biais de l’endettement extérieur, alors que les banques algériennes croulent sous les surliquidités.
L’effet conjugué des affaires Khalifa et BCIA a introduit une suspicion à l’égard de toute initiative privée dans le secteur financier. Ainsi, une banque publique a émis une note interne confidentielle donnant instruction de rejeter tout dossier de financement si la police d’assurance n’a pas été contractée auprès d’un assureur public. Et dire qu’une partie de la classe politique algérienne accuse le gouvernement d’Ahmed Ouyahia d’ultralibéralisme…

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