[Tribune] France-Afrique : l’heure du rééquilibrage
L’affaiblissement de l’influence de la France en Afrique permet de mieux se focaliser sur le véritable enjeu : comment s’approprier les manettes politiques de nos pays afin de les relever, et ainsi mieux profiter des opportunités qu’offre un monde en profonde mutation.
Le 11 juillet dernier, Emmanuel Macron recevait à l’Élysée des membres « des diasporas africaines de France » pour un « grand débat ». Comme cela était prévisible, cette initiative a été fortement critiquée par de nombreux internautes, activistes et intellectuels africains. Emblématique du tollé suscité par cette rencontre, la réaction de l’intellectuel Achille Mbembe qui, dans un texte à charge sur sa page Facebook, a dénoncé un « bal des cyniques ».
Les critiques formulées à l’encontre de cette rencontre étaient souvent fondées. Mais elles trahissaient aussi chez beaucoup une incompréhension des évolutions du monde et des conséquences de celles-ci sur la relation entre la France et l’Afrique. Pour beaucoup, manifestement, la France reste, en Afrique, l’hyperpuissance qu’elle a été par le passé. Rien n’est plus discutable.
Hyperpuissance
Dans son livre Modern Times, l’historien britannique Paul Johnson rappelle que déjà en 1957, François Mitterrand déclarait : « sans l’Afrique, la France n’aura pas d’histoire au XXIe siècle ». De son côté, dans un remarquable livre consacré à la diplomatie franco-britannique au Cameroun au milieu du XXe siècle, l’historienne Mélanie Torrent confirme que « les relations avec l’ex-Afrique française faisaient partie intégrante de “la grandeur française” telle que conçue par de Gaulle ». Mais on peut remonter jusqu’aux conseils prodigués par Charles Gravier de Vergennes, diplomate et homme politique français, à Louis XVI, pour apercevoir les racines d’une politique de puissance française reposant essentiellement sur l’embrigadement d’une coalition d’États vassaux (africains) à son service.
Plus que jamais la France dépend de sa « clientèle tiers-mondiste » pour exister dans le monde qui vient
Emmanuel Macron, qui est l’héritier de cette histoire, ne peut pas ne pas avoir compris que plus que jamais la France dépend de sa « clientèle tiers-mondiste » pour exister dans le monde qui vient. Car le monde a bien changé depuis de Gaulle. La globalisation, la révolution des technologies de l’information et l’émergence de nouvelles puissances ont davantage, et considérablement, diminué l’influence de la France en Afrique.
Des ruptures en cours
Certes, trop bien insérés dans les éternels réseaux françafricains, peu de représentants de l’élite francophone ont pris la mesure des ruptures en cours. Et pourtant : là où par le passé les Africains francophones accédaient au monde par le filtre de RFI, aujourd’hui c’est ma belle-mère qui m’envoie la dernière vidéo virale anti-franc CFA via WhatsApp. Le Bénin, en compagnie du Rwanda et de Djibouti, vient de rejoindre la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Les cours de mandarin prolifèrent dans les écoles primaires du continent.
La partie de l’Afrique qui se lève tôt et celle des salles de classe préparent la sécession d’avec le monde d’hier
La controverse sur « la diplomatie de la dette » ne s’estompera pas, mais elle masque l’autre pan de la réalité : la présence massive d’entrepreneurs individuels chinois sur le continent qui, ainsi que le montre la chercheuse Irene Yuan Sun dans son livre, The Next Factory of the World, investissent sur le long terme, embauchent essentiellement de la main-d’œuvre locale, sont une majorité à proposer des stages professionnels et même à embaucher des managers locaux. Et donc si une partie de l’Afrique d’en haut reste désespérément françafricaine, celle qui se lève tôt et celle des salles de classe préparent la sécession d’avec le monde d’hier. Mais il n’y a pas que la Chine, loin de là.
L’Afrique est le continent où s’ouvrent le plus d’ambassades dans le monde (320 entre 2010 et 2016, selon The Economist) ; des panneaux publicitaires écrits en russe émergent dans les rues de Bangui. Résultat de tous ces bouleversements, alors qu’en 2006 la France était encore le 3e partenaire commercial de l’Afrique, en 2018 elle occupait le 7e rang. Même sa présence militaire, qui reste importante et continue d’entretenir son influence politique, cache mal son affaiblissement : plusieurs rapports américains font en effet état de la dépendance française à la logistique américaine sur les théâtres d’opération africains. Fin juin, Le Figaro rapportait les propos d’un ancien haut-responsable du ministère français de la Défense, selon lequel la France « n’a plus les capacités d’endiguer la crise » dans le Sahel.
La France reste puissante en partie parce que l’élite francophone a décidé qu’elle le soit
Nouvelle donne
Est-ce à dire que la France est finie ? Non. Son armée parvient encore, au Tchad par exemple, à servir sa politique de grandeur. Son poids politique, dont le F CFA est un des instruments, reste considérable. Mais c’est son influence psychologique qui est aujourd’hui la plus forte. La France reste puissante en partie parce que l’élite francophone a décidé qu’elle le soit. Elle a capitulé. Pourtant l’opportunité d’un rééquilibrage des relations n’a jamais été aussi grande. Il faut donc se libérer de l’emprise psychologique que la France continue d’exercer pour mieux se focaliser sur le véritable enjeu : comment s’approprier les manettes politiques de nos pays afin de les relever, et ainsi mieux profiter des opportunités qu’offre un monde en profonde mutation ? Un monde dans lequel plus que jamais la France n’aura que le pouvoir que nous lui donnerons.
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