L’heure de vérité

Bush a-t-il la volonté – et les moyens – de contraindre Sharon à respecter le processus de paix ? Mahmoud Abbas a-t-il l’étoffe d’un chef d’État capable d’influencer la diplomatie américaine ? On y verra plus clair après leur rencontre du 28 mai, à Washin

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Mahmoud Abbas doit rencontrer le président George W. Bush à Washington le 28 mai. Cette visite, la première dans la capitale américaine depuis son élection à la présidence de l’Autorité palestinienne, pourrait décider qui, de la guerre ou de la paix, l’emportera au Proche-Orient. Ce sera avant tout un test du courage politique des deux hommes. On va enfin savoir si, pour mettre fin au conflit israélo-palestinien, Bush est véritablement disposé à mettre en pratique sa conception des deux États. En d’autres termes, s’il veut, ou peut, imposer sa volonté au Premier ministre israélien Ariel Sharon. Le moment crucial est arrivé.
Si Bush échoue, une fois de plus, à arrêter l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie, une troisième Intifada, plus violente que les deux premières, éclatera à peu près inévitablement, avec les conséquences désastreuses qu’elle risque d’avoir pour l’avenir de la région, la sécurité d’Israël et les intérêts américains. L’argument, souvent avancé dans les milieux de droite à Washington, selon lequel il faut s’abstenir d’exercer la moindre pression sur Sharon tant que son plan de désengagement de Gaza n’aura pas été mené à bien, au cours de cet été, ne tient pas. Il donne simplement à Sharon la possibilité d’annexer et de coloniser de nouveaux territoires palestiniens. Le chef de l’exécutif américain doit définir sans tarder les conditions qu’il met à un règlement définitif et les imposer aux deux parties. Or Sharon n’a jamais cessé de le défier. Il est grand temps que Bush relève le défi.
Pour Abbas, le test sera de savoir s’il peut, ou s’il ose, utiliser le seul moyen dont il dispose pour influencer la politique américaine. Il doit faire très clairement comprendre à son hôte que les Palestiniens tiennent entre leurs mains le destin des États-Unis dans le monde arabo-musulman. Ce n’est en effet qu’en réglant le conflit israélo-palestinien sur une base juste et équitable que ces derniers peuvent espérer redorer leur blason, gravement terni par la désastreuse guerre en Irak et leur soutien systématique à Israël.
Vraies ou fausses, les rumeurs selon lesquelles des soldats américains chargés d’interroger les prisonniers musulmans à Guantánamo auraient jeté le Coran dans les toilettes se sont répandues telle une traînée de poudre dans le monde musulman, causant la mort de dix-sept manifestants en Afghanistan. Washington doit prendre très au sérieux de tels signaux. Une solide prise de position sur la question palestinienne pourrait contribuer à calmer les esprits.
Abbas devrait présenter à Bush une série de demandes précises.
– La question des colonies est, évidemment, de toute première importance. Si la création d’implantations juives continue, comme Sharon l’a promis, et si la Jérusalem-Est arabe est coupée de son arrière-pays cisjordanien, alors il n’y aura rien à négocier. Le processus de paix sera mort et, des deux côtés, les partisans de la violence reprendront le dessus.
– Le mur de sécurité construit par les Israéliens morcelle les Territoires occupés et cause de graves dommages aux Palestiniens : il coupe des dizaines de milliers d’entre eux de leurs champs, de leurs hôpitaux et de leurs écoles. Une ville palestinienne comme Qalqilia (50 000 habitants) est totalement encerclée par le mur, et Bethléem est coupé en deux. Une telle politique est intolérable, et il faut y mettre un terme. Abbas doit emporter avec lui des cartes et des photos pour montrer à Bush ce qui se passe sur le terrain.
– À très peu d’exceptions près, les Palestiniens ont respecté le cessez-le-feu, ce qui n’est pas le cas d’Israël, qui continue de mener des opérations contre des villes et des villages, et de tuer des activistes palestiniens. Cela doit cesser immédiatement.
– Il faut protéger au maximum la mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem. Un attentat perpétré par des fanatiques juifs déclencherait une énorme explosion dans le monde arabe. Elle entraînerait la perte d’Abbas, de son gouvernement et, peut-être, d’autres régimes arabes.
– Israël doit en finir avec sa politique d’assassinat de ses adversaires palestiniens. De nombreux Arabes sont convaincus que Yasser Arafat a été empoisonné parce qu’il tenait tête à Israël et aux États-Unis. Si l’on veut que le processus de paix se poursuive, il faut que l’administration Bush garantisse la sécurité personnelle d’Abbas et des autres dirigeants palestiniens, même si ces derniers ne peuvent aller au-delà des concessions faites par Arafat sur des questions aussi fondamentales que celles des frontières, de Jérusalem et des réfugiés. Un État palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale, et un règlement équitable du problème des réfugiés constituent les demandes minimales auxquelles aucun dirigeant palestinien ne peut renoncer.
– Enfin, Abbas doit chercher à obtenir le soutien de Bush face au Hamas. Les Israéliens exigent du leader palestinien qu’il s’oppose au mouvement islamiste radical, le désarme et élimine sa branche militaire, fût-ce au risque d’une guerre civile. Bref, qu’il « démantèle l’infrastructure du terrorisme ». C’est demander l’impossible. Le Hamas a été créé lors de la première Intifada (1987-1993). Il est aujourd’hui une force politique de premier plan, qui pourrait devancer le Fatah, le premier mouvement de résistance palestinien, lors des élections législatives du 17 juillet.
Aux dernières municipales, le Hamas a obtenu moins d’élus que le Fatah, mais a recueilli près de 60 % des suffrages. La raison en est que les conseils de district conquis par le Fatah se trouvent dans des régions très majoritairement rurales, avec peu de votants, alors que le Hamas l’a emporté dans les zones urbaines, et notamment les villes de Rafa, Qalqilia et Beit Lahiya.
Plutôt que de s’opposer ouvertement au Hamas, ce qui serait catastrophique, Abbas tente de le faire participer au processus politique. Il croit possible de le convaincre de renoncer à la violence contre les Israéliens et d’intégrer ses combattants aux services de sécurité de l’Autorité palestinienne.
Le Hamas se trouve donc, lui aussi, face à ses responsabilités. Saura-t-il se transformer en parti politique et intégrer le jeu démocratique ou restera-t-il englué dans la violence ? Quoi qu’il en soit, il doit laisser le Fatah gagner les élections et donner une chance à Abbas. Une victoire du mouvement islamiste pourrait en effet avoir des conséquences imprévisibles et déclencher un nouveau cycle de violence.
Sharon l’espère-t-il ? Ce n’est pas exclu : cela lui fournirait un prétexte pour renoncer au processus de paix. Avec le Hamas comme interlocuteur, pourrait-il prétendre, pas d’espoir de paix possible : « Comment négocier avec quelqu’un qui rêve de vous tuer ? » Ce sophisme est typique de la droite israélienne.
Pour tenter de décapiter le mouvement, Sharon a déjà tué deux dirigeants du Hamas, Cheikh Ahmed Yassine et Abd al-Aziz Rantisi. Quelle sera la prochaine victime ? Bush pourrait se heurter à de sérieuses difficultés pour le convaincre de renoncer à cette politique à l’emporte-pièce, car le chef du gouvernement israélien est prêt à faire n’importe quoi pour saborder le processus de paix, qu’il rejette.
Pour avoir une chance de succès dans l’épreuve de force qu’il va engager avec Bush et Sharon, Mahmoud Abbas doit s’entourer de nationalistes palestiniens sincères, au-dessus de tout soupçon de corruption. Il doit rassembler sous un même drapeau des forces disparates : les différentes factions du Fatah, les groupes armés comme le Hamas, le Djihad islamique et les Brigades d’al-Aqsa, et les cadres militaires de l’Autorité palestinienne. Il doit aussi s’assurer le soutien du Hezbollah libanais, de la Syrie et du reste du monde arabe. A-t-il la stature d’un leader capable de mobiliser de telles forces ? Il est trop tôt pour en juger. Son voyage à Washington sera en tout cas observé avec la plus grande attention. Comment va-t-il défendre la cause palestinienne ? Peut-il vaincre les préjugés profondément enracinés du président Bush et de ses conseillers ? On verra bien.
Jusqu’ici, sa réputation n’est certes pas sortie grandie des obscures querelles d’appareil dans lesquelles il s’est laissé entraîner, tant par le Premier ministre Ahmed Qoreï que par Farouk Kaddoumi, le vétéran de l’Organisation de libération de la Palestine, qui a ses quartiers à Tunis. Le moment est venu pour lui de démontrer qu’il est l’homme d’État dont les Palestiniens ont le plus urgent besoin.

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