Les grandes manoeuvres

La présidentielle prévue en octobre est lancée. Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara en tête, la famille politique d’Houphouët a scellé sa réconciliation. Laurent Gbagbo mobilise ses troupes pour un second mandat. Que fera Charles Konan Banny, le gouver

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

Soudain, un tonnerre d’applaudissements met fin aux messes basses qui emplissent la grande salle du salon Hoche, dans le 8e arrondissement de Paris. À l’entrée, deux silhouettes, entourées du service d’ordre, tentent de se frayer un passage au milieu des militants qui encombrent l’allée. Deux femmes. Deux tailleurs identiques gris à pois noirs, fleurs à la boutonnière. Dominique Ouattara et Henriette Konan Bédié, les « présidentes », arrivent avant leurs maris, et offrent une répétition générale aux partisans d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), lesquels se montrent un quart d’heure plus tard. Bien que des observateurs soient nombreux à prédire le report de la présidentielle prévue le 30 octobre, la campagne électorale ivoirienne vient de commencer à… Paris.
En cette fin de matinée du 18 mai, tout ce que la capitale française compte de militants ou de sympathisants de la famille houphouétiste est au salon Hoche, qui a mis les petits plats dans les grands : 43 000 euros de frais de réception et presque 800 personnes. Du rarement vu dans ce temple de séminaires tranquilles. L’effervescence est à la hauteur de l’événement, les costumes-cravates contrastent avec les chemises aux couleurs chaudes des militants d’Abidjan, dont les images prises à la Maison du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à Cocody, sont retransmises sur grand écran.
Après plus de douze ans de brouille, de malentendus, de coups bas, la famille politique de Félix Houphouët-Boigny se retrouve dans l’espoir de ressusciter l’âge d’or de la Côte d’Ivoire. Tant de fois annoncée puis repoussée, la réconciliation est désormais coulée dans une plate-forme de huit pages. Elle annonce la naissance du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) et préfigure la nation de demain.
Ceux qui se prévalent de l’héritage du « Vieux » ont la ferme intention de regagner le pouvoir, en « faisant table rase du passé et de leurs ressentiments, dans le pardon mutuel des offenses ». Le document précise les valeurs de l’houphouétisme (paix, dialogue et cohésion nationale), puis ses objectifs, avant de détailler les moyens pour la reconquête du pouvoir. Alliance stratégique plutôt que fusion idéologique ? Sans aucun doute. Les signataires s’engagent en tout cas, « en dépit des vicissitudes de la vie politique », à tout mettre en oeuvre pour « une stratégie de candidature concertée ou commune pour les élections ». Pour la présidentielle, « le RHDP reconnaît à chaque parti le droit de présenter son candidat au premier tour ». Officiellement « dans l’intérêt de la démocratie, afin que le peuple puisse réellement choisir ». Engagement n’en est pas moins pris pour le soutien du « candidat arrivé en tête », à l’issue du premier tour. Mais Ouattara accepterait-il d’être le Premier ministre de Bédié, qu’il a appelé à la tribune « mon cher aîné », « mon grand frère » ? « Oui, cette solution a été évoquée », confie l’ancien président.
« La politique reprend enfin ses droits. La situation a bien changé depuis Pretoria [le 6 avril], n’est-ce pas ? » sourit Amadou Gon Coulibaly, du Rassemblement des républicains (RDR). La signature du document par Bédié, Ouattara, Albert Mabri Toikeusse (le président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire – UDPCI -, fraîchement élu à la place de Paul Akoto Yao) et Innocent Anaky Kobénan (celui du Mouvement des forces de l’avenir, MFA) est l’aboutissement de dix mois de travail mené par Noël Nemin, à la tête du comité scientifique, Adama Toungara (RDR) et Lambert Kouassi Konan (PDCI). L’idée remonte à la fin juillet 2004, en marge du sommet d’Accra III, quand Ouattara apostrophe ainsi son aîné : « Doyen, tu es le dépositaire de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny. Prends tes responsabilités et rassemble-nous. » Le principe de réalité a fait le reste et le front « tout sauf Gbagbo » était né, son baptême célébré à Paris dans une atmosphère électrique que Ouattara résume par une formule qui fera date : « Aujourd’hui à Abidjan, Gbagbo a chaud. » La foule est aux anges, dont les cris de joie masquent à peine la polémique qui s’empare déjà d’Abidjan.
« C’est un accord de dupe, lance Désiré Tagro, le porte-parole du président Gbagbo, dans lequel chacun espère que son prochain va perdre. Un tel accord n’a aucun intérêt pour la Côte d’Ivoire. » « Qu’est-ce que cela apporte de nouveau au peuple de Côte d’Ivoire ? De ce point de vue, nous restons sur notre faim. » Mais ses camarades du FPI s’organisent. Ils viennent de tenir un séminaire à Grand-Bassam consacré à la préparation de la présidentielle. Soixante-dix directeurs départementaux de campagne sont d’ores et déjà désignés pour la « victoire de Laurent Gbagbo ». D’ici là, ils entendent se battre pied à pied sur le processus d’identification et d’établissement des listes électorales.
Anaky Kobénan n’oublie pas cette bataille qui se profile à l’horizon, mais explique pourquoi le RHDP s’est tenu à Paris : « Ce n’est pas rien si cette cérémonie nous réunit ici. Vous savez tous que c’est parce qu’en Côte d’Ivoire ça ne va pas. » Et Bédié a tenté de désarmer les critiques « de mauvaise foi » : « C’est en France que nous sommes tous venus signer les accords de Marcoussis. C’est le départ de la recherche de la paix. Nous nous sommes rendus à Accra, puis à Pretoria. Paris est un choix de commodité. » Et Ouattara d’ajouter qu’ils se rendront sur la tombe de Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro pour signer à nouveau la réconciliation dès que les conditions de sécurité seront réunies. « Il est peut-être dommage que cette plate-forme n’ait pas été signée en Côte d’Ivoire, mais on ne pouvait plus attendre, explique un responsable houphouétiste. Il nous la fallait pour commencer à travailler sur le terrain. » Une décision qui n’a pas eu l’heur de plaire aux Français, persuadés que le camp Gbagbo saura utiliser le lieu de la signature comme argument antifrançais. « Cela ne nous arrange pas du tout », avouait un officiel du Quai d’Orsay, à l’annonce de l’événement, il y a quelques semaines.
Vers 14 h 30, quand la salle s’est vidée, les incertitudes sur l’avenir du Rassemblement n’étaient pas toutes levées. Personne n’oublie qu’avant de se réunir à l’ombre omniprésente du Vieux d’autres alliances ont existé qui ont fait long feu. En 1995, le RDR et le FPI de Laurent Gbagbo formaient le Front républicain pour combattre Bédié. En 1998, le FPI s’est rapproché du PDCI pour mettre Ouattara sur la touche. Aujourd’hui, pour s’assurer du respect de l’accord, il reste encore à mettre sur pied les annexes au document : les modalités précises de la campagne électorale et le programme commun de gouvernement. « Dès la semaine prochaine, une fois qu’on aura pris les instructions de nos présidents, on devrait lancer le chantier », explique Adama Toungara, et en rendre publics les résultats d’ici à deux mois. Soit à trois mois seulement de la date supposée de l’élection présidentielle. S’ils s’y reprennent à trois fois, comme pour la signature du RHDP, il sera trop tard.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires