La France est-elle en déclin ?

Ce pays a beau être la cinquième puissance économique mondiale, il n’en est pas moins menacé de « décrochage » certes, « pas inéluctable » par rapport à ses principaux concurrents. Telles sont en tout cas les conclusions d’un groupe d’experts dirigés

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 22 minutes.

La France est-elle en déclin ? Dans ce décourageant débat toujours recommencé, un rapport intitulé Le Sursaut, commandé en mai 2004 par le ministre des Finances Nicolas Sarkozy à un groupe d’experts de haute réputation présidé par le gouverneur honoraire de la Banque de France et ancien patron du FMI, Michel Camdessus, apporte à cette question, en 200 pages bardées de chiffres, d’arguments et de comparaisons, une réponse fortement argumentée. Loin de récuser le terme de « déclin », il l’emploie à plusieurs reprises dans ses analyses au risque de braver l’opprobre du politiquement incorrect, écrivant toutefois qu’il « n’est pas inéluctable ».
Il lui préfère cependant, pour sa synthèse générale, le diagnostic jusqu’ici inédit de « décrochage ». Entre deux mots, il n’a d’ailleurs pas choisi le moindre. Le décrochage, c’est inquiétant, c’est la preuve que parmi « les pays qui décollent et ceux qui plongent » la France est plus proche du plongeoir. Elle est engagée dans « un processus qui peut la conduire à échéance d’une dizaine d’années à une situation difficilement réversible ».
À qui la faute ? Sans être jamais nommés, les dirigeants qui se sont succédé au pouvoir sont clairement désignés. Car la faute « de tant d’échecs inacceptables » – le chômage, ce cancer qui ronge notre société ; les inégalités, source de précarité et de pauvreté ; l’insuffisance de la croissance ; le déficit des investissements ; et surtout la réduction du temps de travail responsable de la médiocrité des salaires et de la baisse du pouvoir d’achat – revient « beaucoup plus à nos choix politiques depuis des décennies qu’à une contrainte extérieure présentée pourtant comme la seule explication de nos maux ». Ce sont donc tous les gouvernements de gauche et de droite confondus que le rapport accuse de manque de courage, car ils finissent toujours par sacrifier les dépenses qui conditionnent pourtant la place de la France dans la nouvelle société de la connaissance ; et d’aveuglement, puisqu’ils laissent le décrochage s’opérer « sous l’anesthésie » d’une dette à la dérive et de la protection factice de l’euro.
C’est encore la politique la première inculpée dans le réquisitoire du groupe Camdessus contre l’État qui « construit sa propre impuissance ». Avec un double procès implicite en mollesse et en duplicité, par exemple quand les gouvernements, malgré leurs promesses répétées d’économies, « ne cessent d’ajouter à la taille jugée pléthorique de la fonction publique ».
À lire entre les lignes, on devine la consternation de ces experts économistes face aux paradoxes de « la crise identitaire française ». Au tableau des atouts, un pays qui est la cinquième puissance économique mondiale, le troisième exportateur de services et le deuxième investisseur à l’étranger. Qui figure aux premiers rangs pour l’attractivité de son territoire, le plus visité au monde, pour ses réussites dans l’industrie nucléaire, les transports et l’espace, et pour les performances de nombre de ses entreprises. Mais face à ces bons résultats universellement reconnus, que de mauvais scores !
La France est aussi cette nation qui avance moins et moins vite que les autres. Dont le modèle social est à bout de souffle. Où l’on est « senior » à 45 ans et inactif à 57. Dont l’accompagnement du chômage par « l’enfermement dans l’assistance » relève plus des soins palliatifs que d’une politique dynamique de reclassement. Qui entretient le triple record de la dépense publique, de la distribution sociale, et néanmoins d’un endémique mécontentement populaire défoulé dans la rue, les grèves et les sanctions électorales à répétition.
Un pays qui rêve de révolution, mais répugne à changer ses habitudes alors qu’il s’agit de beaucoup plus urgent et difficile : changer les mentalités. Qui s’autoproclame champion de l’Europe mais n’hésite pas à en refuser les conséquences, quand elles le gênent, et n’apparaît qu’au treizième rang pour la transposition des directives de Bruxelles. Qui cultive le jeunisme mais sacrifie sa jeunesse aux égoïsmes de ses facilités de gestion. Qui s’accroche enfin à des « velléités idéologiques de leadership mondial » mais « joue en défense », le dos au mur, contre des équipes extérieures de plus en plus combatives.

Un autre mérite du rapport est de dire clairement que ces Français « qui se sentent sans avenir » ne verront disparaître ce sentiment d’insécurité, d’angoisse et parfois de peur qu’ils ressentent que s’ils acceptent de travailler davantage. C’est toute l’architecture de la loi des 35 heures qu’il démolit en démantelant la fausse logique du partage du travail, à partir de la constatation partout vérifiée que « le travail des uns crée du travail pour les autres ; symétriquement le moindre travail des uns détruit des emplois pour la collectivité ».
Reste l’objection désabusée, maintes fois entendue par les auteurs du Sursaut tout au long de leurs consultations : un rapport de plus, pour quoi faire ? Sans remonter à Clemenceau qui s’exclamait déjà : « Plantez des fonctionnaires, il poussera des impôts », combien d’autres études semblables font déjà « crouler les étagères » des cabinets ministériels ! Si les gouvernements ne cessent d’en commander, c’est bien qu’ils n’en tiennent jamais aucun compte. Avec cette arrière-pensée, alibi de tous les renoncements, que la France après tout ne s’en porte pas plus mal. Des remontrances de Colbert aux appels de De Gaulle, l’incitation au redressement est une constante de son histoire.
Il y a à cela deux réponses. L’une est dans le rapport et explique son titre Le Sursaut. Ce qui est nouveau et qui va tout irrésistiblement changer, c’est « le triple choc » : 1) de la démographie et du poids du vieillissement national sur l’économie ; 2) des évolutions technologiques qui sont autant de révolutions et où la France, malgré de remarquables exceptions, prend du retard sur ses concurrents ; 3) de la mondialisation subie comme une menace, alors qu’elle est une « chance historique » de développement économique et de progrès social, double exigence indissociable aux yeux de nos experts. Face à ces trois défis, le redressement ne suffit plus, il faut le sursaut.

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L’autre réponse est politique. Commandé par Nicolas Sarkozy quand il était ministre, le document Camdessus lui apportait un programme électoral et présidentiel tout tracé. Les chiraquiens l’ont bien compris, qui ont profité de son départ du gouvernement pour relancer l’action ministérielle sur la base des plus urgentes recommandations de la commission. Jacques Chirac n’est pas non plus resté inerte. Il s’est empressé d’exploiter un autre rapport « sur les conditions d’une nouvelle politique industrielle » que lui a présenté Louis Beffa, président de Saint-Gobain. Il a aussitôt fait annoncer la création d’une « Agence de l’innovation industrielle » chargée d’associer les grands groupes aux PME les plus innovantes, dans l’esprit des vastes programmes d’investissement des années Pompidou et qui allaient engendrer ce qu’on appelle aujourd’hui encore avec nostalgie « les Trente Glorieuses ».
D’autres ripostes appelleront d’autres initiatives. La compétition présidentielle n’est pas ouverte, mais elle est déjà une course de vitesse où se compteront les victoires d’étapes. C’est peut-être la meilleure chance des propositions Camdessus de ne pas sombrer, comme toutes les précédentes, dans les immobilismes qu’elles dénoncent avec une obstination méritoire.
On ne commencera cependant d’y croire que lorsque le gouvernement aura enfin le courage d’entreprendre la réforme de l’État, condition préalable à toutes les autres, le plus urgent mais aussi le plus périlleux de ces « obstacles structurels qui entravent notre économie », comme on va le lire dans les textes qui suivent et qui résument l’essentiel du rapport.
À quelques jours du référendum sur la Constitution européenne, ce document ne pouvait mieux expliciter les motivations du non comme les nécessités du oui.

Un État impuissant, prodigue et mal géré

Le Sursaut a beau donner un titre sympathique : « Agiliser l’État », à ses propositions de réforme de l’ensemble de la « sphère publique », il ouvre ce chapitre par un réquisitoire contre l’État, accusé de « construire sa propre impuissance ». Tout l’État, y compris les entreprises publiques, les organismes sociaux, les collectivités locales.
C’est en partie la faute des Français eux-mêmes. Ils ont le constant réflexe de demander à l’État la solution immédiate de toute difficulté. Leur confiance souvent méritée, souvent aussi excessive, entretient un double phénomène d’hypertrophie du secteur public et de déclin de sa capacité à répondre dans l’excellence aux attentes de la société.
Le poids excessif des tâches que l’État entend assumer au profit d’une fraction disproportionnée de la population l’empêche de faire face aux besoins des plus démunis. Nous avons, dit le rapport, dépassé le seuil où l’accroissement des charges publiques se retourne contre leurs objectifs sociaux.
Le niveau de dépense publique par rapport au PIB n’a été qu’épisodiquement stabilisé pour atteindre aujourd’hui 54,7 %. En vingt-cinq ans, il a augmenté de 10 points en liaison avec la hausse continue du nombre de fonctionnaires et autres agents publics.
Les budgets de l’État n’ont cessé depuis vingt ans d’être exécutés en déséquilibre. La France est le seul pays qui continuellement ajoute à la taille pléthorique de sa fonction publique alors qu’il y a un lien évident entre la réforme de l’État et la réduction de la dépense – l’une ne va pas sans l’autre. Les dépenses sociales et celles des collectivités locales ont littéralement explosé. La fonctionnarisation s’étend avec la régionalisation.
L’État pèse davantage sur l’économie qu’il ne la soutient. Le taux de prélèvements obligatoires demeure parmi les plus élevés des pays industrialisés après vingt ans d’efforts pour les réduire. Ces prélèvements font que chaque heure travaillée en plus coûte plus cher à l’employeur et rapporte moins à l’employé ; ils incitent les créateurs de richesses à préférer le loisir ou la délocalisation à l’étranger.
C’est à crédit, et sur le dos de nos enfants, que notre pays entretient ce modèle. En un peu plus de vingt ans, la dette a été multipliée par 11, en euros courants, et sa part dans le PIB a triplé (de 20 % à 60 %). Le gonflement des paiements d’intérêts absorbe chaque année 80 % de l’impôt sur le revenu. Ainsi s’est trouvée gravement détériorée la situation financière saine que l’Europe nous enviait au début des années 1980. L’État est de moins en moins efficace pour répondre aux problèmes les plus urgents que pose la dégradation de la cohésion sociale. Au moment où la dépense culmine, les marges d’action budgétaire pour préparer l’avenir se réduisent comme une peau de chagrin.
La situation est devenue telle qu’elle ne peut plus relever seulement d’échenillages ou de gels de crédits ni de serrages de boulons. Il n’est même plus suffisant d’appliquer strictement le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, voire sur trois, partant à la retraite.
C’est tout l’appareil qu’il faut changer. Sinon, les améliorations que le rapport recommande n’aboutiront qu’à la paralysie accrue d’une machinerie surannée et au découragement de ses agents.
L’organisation actuelle de la fonction publique en un millier de corps différents aboutit à un cloisonnement qui défie toute gestion des ressources humaines. Le dialogue s’ankylose dans des négociations catégorielles. Or le problème n’est pas de faire accepter à la fonction publique ce changement, mais de le concevoir et de le promouvoir avec elle pour concilier le principe d’égalité avec les nécessités de l’efficacité, de l’équité, et parfois du simple bon sens.
Le rapport s’inquiète enfin de la résignation des Français à une dynamique prétendument irrésistible de la dépense de santé en raison du vieillissement de la population. L’augmentation de l’espérance de vie d’un an toutes les quatre années, très positive en soi, entraîne une majoration des dépenses de santé qui atteindra 1,2 point de PIB à l’horizon 2050. Cette évolution démographique ne fait que camoufler l’incapacité à réformer en profondeur les incuries du système et les corporatismes de toutes natures. Le Comité d’alerte prévu par la loi du 13 août 2004 va dans le bon sens à condition de ne pas être dévoyé.

La stratégie perdante des trente-cinq heures

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Si la France croît moins vite que ses partenaires, c’est parce qu’elle mobilise insuffisamment ses ressources en travail. Elle est aujourd’hui presque au dernier rang des pays de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées par an et par personne en âge d’activité. Elle est le seul grand pays développé incapable de donner du travail à plus du quart de sa population jeune. Le seul à placer plus des deux tiers de ses « seniors » en situation d’inactivité à contre-courant des progrès de la durée de la vie. Compte tenu du niveau général du chômage, il en résulte que si un salarié français produit 5 % de plus par heure travaillée qu’un Américain, il produira 13 % de moins par an et 36 % de moins sur l’ensemble de sa vie active.
Le rapport tient pour un objectif majeur de réconcilier employeurs et salariés avec les valeurs du travail, centrales pour notre société. Il n’ignore pas que les appels à travailler sont accueillis par beaucoup de Français avec une ironie amère. Selon un récent sondage, les salariés trouvent normal de partir à la retraite à 57 ans. Le résultat est qu’avec sa politique actuelle de l’emploi, la France se trouve désavantagée par rapport au reste du monde, où les concurrents sont de plus en plus agressifs. C’est à tout le moins débilitant pour la cinquième puissance économique. C’est une source de pessimisme pour l’avenir. Pendant soixante-dix ans, la réduction du temps travail a pu être considérée comme un progrès social, les gains de productivité améliorant la qualité de la vie ; ce n’est plus évident aujourd’hui. La meilleure preuve en est qu’il est nécessaire de compenser le coût économique de cette réduction par des aides aux entreprises sous forme d’allègements de charges qui représentent deux fois le budget de l’enseignement supérieur. La logique du partage, si elle peut se vérifier à un moment donné pour une activité, un secteur ou une région, est fausse pour l’économie dans son ensemble et pour son avenir. Les pays où la durée du travail et le taux d’activité sont élevés sont également ceux où le chômage est le plus faible. Si la France avait la durée du travail et le taux d’emploi du Royaume-Uni, son PIB croîtrait de 20 % à terme de dix ans.
La population française en âge de travailler diminuera à partir de 2006-2008. Il n’en résultera pas nécessairement moins de chômage, mais probablement moins de croissance, de richesses à partager et moins d’emploi. Or tout se passe en France comme si on considérait que la quantité de travail disponible est fixe et que la seule question est celle de son partage. Cette logique permet de transformer une fatalité économique en pseudo-progrès social.
Les inégalités s’aggravent entre ceux dont l’emploi est protégé et ceux qui enchaînent les CDD dans l’incertitude du lendemain et l’angoisse de l’avenir. Cette stratégie est perdante. Elle conduit à la régression économique et sociale. Par définition, moins nous travaillons, moins nous produisons, et moins nous disposons de ressources pour financer nos besoins.
La stratégie gagnante consiste à exploiter au maximum les emplois disponibles, en particulier dans les services qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale et où la France accuse un retard important. Dans l’hôtellerie et la restauration, par exemple, le marché du travail disposeraient de 3 200 000 emplois supplémentaires si le secteur affichait les mêmes taux d’embauche qu’aux États-Unis.
La France a atteint, en revanche, un niveau de créations d’entreprises satisfaisant. Mais les nouvelles entreprises – 290 000 en 2003, dont 80 000 créées par des chômeurs – embauchent peu. La moitié disparaît dans les cinq ans. Peu des autres atteignent un développement avancé.
C’est l’effet là encore pervers d’une surréglementation et de ses « seuils » qui pèsent sur toutes les PME et les découragent d’embaucher. Le surcoût du dixième salarié, en termes de cotisations, est estimé à 2 250 euros en moyenne par an, du cinquantième salarié à environ 9 000 euros. Qui ne connaît un artisan ou un fournisseur de service qui n’arrive pas à satisfaire à la demande mais renonce à embaucher par crainte des complications ?
Le rapport critique également la logique de défiance du triple contrôle du fisc, de l’Urssaf, et de l’Inspection du travail. Il cite élogieusement l’exemple du Royaume-Uni, où chaque patron de PME dispose d’un interlocuteur fiscal attitré qui lui rend visite chaque année et le conseille pour échapper à des difficultés ou bénéficier d’opportunités.
Il remarque enfin que la réglementation du taux d’usure, après avoir longtemps protégé les plus pauvres, se retourne, aujourd’hui que les taux du marché sont très bas, contre les entreprises individuelles empêchées d’emprunter à des conditions qui leur seraient pourtant tolérables. Ce qui explique que 20 % seulement des entreprises en création bénéficient de l’accès aux banques.

Chômage : un scandaleux échec

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La France ne parvient pas à mettre un terme au chômage. Plus de trente ans d’efforts continus des uns et des autres n’ont réussi qu’à le stabiliser entre 8 % et 10 % de la population. C’est une tare inacceptable à laquelle les Français donnent parfois l’impression de se résigner. Le taux d’emploi des jeunes de 16 à 25 ans est d’environ 24 %, contre une moyenne de 44 % pour l’OCDE. Le constat est encore plus frappant pour les seniors. Seuls 34 % des 55-64 ans avaient un emploi en 2002 (50 % pour la moyenne OCDE).
La France ne parvient pas à mettre un terme au chômage. Plus de trente ans d’efforts continus des uns et des autres n’ont réussi qu’à le stabiliser entre 8 % et 10 % de la population. C’est une tare inacceptable à laquelle les Français donnent parfois l’impression de se résigner. Le taux d’emploi des jeunes de 16 à 25 ans est d’environ 24 %, contre une moyenne de 44 % pour l’OCDE. Le constat est encore plus frappant pour les seniors. Seuls 34 % des 55-64 ans avaient un emploi en 2002 (50 % pour la moyenne OCDE).
Pour beaucoup d’hommes et de femmes, on en est aujourd’hui à la deuxième – voire à la troisième – génération de chômeurs. Il n’est pas de mots pour dire les ravages humains qui en résultent.
Face à cette situation scandaleuse dans un pays riche, il était normal que la France réagisse en portant ses dépenses sociales à 30 % du PIB, le niveau le plus élevé des pays d’Europe avec celui des pays scandinaves et de la Belgique. Mais les pays nordiques affichent des résultats bien meilleurs. Beaucoup de Français se sentent sans avenir. Plus de 1 million d’enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté. De là bien des frustrations, voire des pathologies.
Pour autant, les experts du groupe Camdessus ne prétendent pas avoir découvert la pierre philosophale. Des entreprises naissent, d’autres disparaissent. Il en va de même pour les emplois. La solution n’est pas de freiner ce processus comme on est souvent tenté de le faire, mais d’accroître le soutien à ceux qui en sont les victimes et de développer la formation pour préparer les emplois de demain. Vouloir s’opposer à la suppression d’un emploi par la voie judiciaire est illusoire. Cela revient à alourdir le coût du licenciement qui se paie en emplois et augmente le nombre des moins protégés (CDD et intérim).
Le rapport ne dissimule pas l’extrême difficulté de la tâche. La croissance est la condition de l’emploi qui est lui-même la condition de la croissance. De cette « relation circulaire » décourageante à court terme, il s’efforce de tirer une dynamique de réforme qu’il résume en un certain nombre de propositions.

Pour les seniors
Pour permettre aux seniors de travailler plus longtemps, une première réforme est d’autoriser sans restriction le cumul d’un emploi rémunéré et de la retraite. L’État devrait donner l’exemple en leur allouant une place dans ses services.
Il faut en même temps agir sur les mentalités pour mettre fin à l’opinion largement répandue selon laquelle l’emploi des travailleurs âgés fait obstacle à l’embauche des jeunes.

Pour les jeunes
Le rapport recommande à l’Éducation nationale de se diriger davantage vers la formation professionnelle, de revaloriser le travail manuel et d’une façon générale de tout faire pour offrir aux jeunes un premier emploi qualifiant.

Pour l’ensemble des salariés
La division du travail en CDD et CDI est une des réalités dramatiques de notre économie. Elle est inégalitaire et peu efficace pour toute une population de jeunes, de femmes et de peu qualifiés vouée aux emplois temporaires. Pour y mettre fin, le rapport propose la création d’un contrat de travail unique à durée indéterminée grâce auquel les droits à la protection de l’emploi et à l’indemnisation se renforceraient progressivement.

Il va plus loin avec la suggestion d’un statut du travailleur, et s’en explique dans la logique de sa réhabilitation du travail. Pour favoriser l’emploi et l’inclusion sociale, il faut accepter la suppression des emplois lorsqu’elle se révèle indispensable, mais refuser la destruction de l’individu à laquelle conduit l’exclusion du travail. Ainsi réussira-t-on à concilier la nécessaire mobilité du travail et l’indispensable sécurité des travailleurs.
La première des protections pour le salarié est qu’en cas de perte d’emploi il puisse en trouver un autre rapidement. La seconde est qu’il bénéficie de l’allocation-chômage tant que la société n’est pas en mesure de lui proposer un emploi correspondant à ses compétences et à ses caractéristiques personnelles. La « société », car il est plus raisonnable de faire reposer ces protections sur la collectivité que sur des entreprises qui licencient.
La France a échoué à mettre fin aux inégalités face à l’insécurité de l’emploi. Le clivage s’aggrave entre ceux, notamment dans la sphère publique, qui disposent de protections robustes, et d’autres, en nombre croissant, qui voient s’accroître une précarité avec des chances d’en sortir chaque jour plus illusoires, et en cherchent une explication facile dans les effets de la mondialisation. L’évolution du Smic joue contre l’emploi des personnes non qualifiées. Or le marché français détient le double record du taux le plus élevé et du nombre le plus élevé (14 %) de travailleurs payés au minimum légal.
Une protection de l’emploi trop rigide décourage l’embauche des jeunes sans les protéger. Elle fragilise les plus démunis. Le couple « indemnités de licenciement/prestations chômage » n’est pas équitable. Une employée administrative d’une PME en difficulté dans une zone sinistrée pourra, après dix ans de bons et loyaux services, être licenciée avec trois à six mois de salaire pour toute indemnité et très peu de chances de trouver un emploi rapidement, alors que la même personne en région parisienne, dans une grande banque qui souhaite réduire ses effectifs, se verra offrir vingt à trente mois de salaire et un accompagnement sur mesure qui devrait lui permettre de retrouver sans trop de mal du travail dans les trois mois qui suivent.
D’autres abus permettent à des cadres performants de quitter une entreprise avec une indemnité de départ totalement défiscalisée de plus d’un an de salaire brut, alors qu’ils ne passeront sans doute même pas une réelle période de chômage.
Le rapport critique enfin l’insuffisance de résultats et les méthodes passives du service public de l’emploi. Il commence par rappeler que le but est le reclassement et non l’enfermement dans l’assistance. Partisan d’une assurance chômage plus généreuse, il la veut aussi plus incitative. Il pose alors la question taboue : est-il impossible d’imaginer une dédramatisation de la reprise d’emploi qui conditionnerait le versement des allocations à l’obligation d’accepter, après un certain nombre de refus, un emploi convenable en attendant d’en trouver un meilleur ? S’il n’en existe pas, le chômeur percevra durablement ses allocations. En revanche, le cadre de haut niveau licencié ne pourra plus vivre pendant deux ans aux frais de la société alors qu’il est rapidement réemployable.

L’éducation en crise permanente

Piliers de l’acquisition continue des nouveaux savoirs, l’école et l’université sont toutes les deux en crise. Une des pires souffrances des familles est celle de leurs enfants perdus dans un système qu’ils ne sentent pas fait pour eux. Quinze pour cent des écoliers accèdent au collège sans maîtriser la lecture, l’écriture et le calcul. L’école n’est pas adaptée au monde d’aujourd’hui. Alors que l’adolescence est l’âge de la croissance rapide et de la réalisation de soi par l’action, les rythmes et les méthodes d’enseignement sont encore trop tournés vers un apprentissage cérébral de l’abstraction. Le rapport critique au passage l’absence d’initiation à l’image, qui apprenne aux enfants à la lire et à la décrypter plutôt que de la subir pendant les longues heures passées devant la télévision.
L’enseignement des sciences économiques et sociales ne tient pas assez compte des derniers résultats de la recherche. L’Éducation nationale dirige trop peu vers la formation professionnelle. Les modes d’orientation font que l’apprentissage en entreprise résulte davantage d’un échec scolaire que d’un choix motivé. De nombreuses qualifications restent inexploitées, de nombreux talents sont laissés en friche, de nombreux métiers ne sont pas pourvus, ou sont délaissés, parce qu’ils sont jugés peu désirables ou dévalorisants.
Quant à l’université, elle s’apparente à une vaste machine à contrôler ceux qu’elle n’a pas formés. La sélection par l’échec est une réalité, alors que cette détestable pratique est dénoncée depuis des années. Le premier cycle est un désastre. Avec ses taux de redoublement excessifs, la durée moyenne pour obtenir un DEUG est indigne. Il en résulte un triple gâchis humain, d’intelligence et d’argent.
Le système universitaire est de moins en moins performant au plan international. La France compte de grandes écoles et des universités de premier rang, mais ses diplômes, même les plus prestigieux, sont peu connus et reconnus ; ses chercheurs choisissent en nombre croissant d’exceller à l’étranger. Elle accueille de moins en moins d’étudiants étrangers en provenance des pays développés ou émergents. Les citations, publications et brevets d’enseignants et de chercheurs occupent une place peu encourageante dans les statistiques mondiales.
La dépense totale par étudiant en France est égale au tiers de celle des États-Unis. Or qui dit quasi-gratuité dit université pauvre, c’est-à-dire impossibilité de généraliser au profit de tous les services indispensables à chacun : des bibliothèques aux collections richement dotées et aux horaires d’ouverture étendus ; des équipements informatiques en libre accès ; des services d’orientation professionnelle efficaces ; des aides financières d’un montant suffisant ; des logements et des restaurants universitaires. Chaque étudiant, en l’absence de ces services, est livré à lui-même en fonction de sa connaissance du système, de son milieu social, de ses ressources.

La jeunesse sacrifiée
Autant de recommandations et critiques qui se rejoignent dans un des constats du rapport : les jeunes sont les grandes victimes de l’inadaptation du modèle social et de la médiocrité de ses gestions. Ce sont eux qui devront payer demain les déficits des services publics et la charge de la réduction du temps de travail que leurs aînés se sont octroyée. Au moins quatre-vingt mille jeunes de 15 à 29 ans vivent seuls et sans ressources. Cinq ans après la fin de leurs études, 21 % d’entre eux n’ont ni logement ni travail. C’est sur eux, dès maintenant, que se concentrent l’insécurité du taux élevé de chômage et la précarité des CDD.
Si les CDD et l’intérim ne représentent que 12,5 % de l’emploi total, ils concernent plus des trois quarts des créations d’emplois, sans que cette plus grande flexibilité réduise significativement le chômage. Sur les 27 000 personnes qui quittent chaque jour leur emploi, seuls 540 sont l’objet de licenciements économiques, tandis que 14 300 arrivent en fin de contrat à durée déterminée. Les dispositifs de protection sont centrés sur les 540, mais ils font peu de cas des 14 300 autres.

La mondialisation est une chance

La France est à ce jour bénéficiaire de la mondialisation. C’est une explication trop facile que de lui attribuer les inégalités de condition entre les protégés, notamment dans le secteur public, et les exposés qui vivent dans l’insécurité du présent et l’angoisse de l’avenir.
La France est à ce jour bénéficiaire de la mondialisation. C’est une explication trop facile que de lui attribuer les inégalités de condition entre les protégés, notamment dans le secteur public, et les exposés qui vivent dans l’insécurité du présent et l’angoisse de l’avenir.
La faute en revient beaucoup plus aux choix collectifs foncièrement malthusiens qu’à une contrainte extérieure, présentée cependant comme seule cause des maux et difficultés.
La mondialisation n’a pas à être perçue comme un défi insurmontable, mais comme une incitation au sursaut pour sortir du déclin par le haut. Elle signifie ouverture des marchés et compétition accrue. Elle apporte à la France des chances nouvelles d’expansion commerciale, d’exportation, et de création d’emplois. À l’échelle de l’Histoire, l’entrée rapide dans l’économie mondiale de milliards de personnes qui aspirent à plus de prospérité et de richesses est un moment formidable de progrès humain. Producteurs, ils sont des concurrents. Mais consommateurs, ils offrent de nouveaux débouchés. La mondialisation des compétences accompagnant celle des biens, il n’y a plus ni métiers réservés ni chasses gardées. La qualification ne protège plus. Elle se conquiert chaque jour.
Dans la compétition entre les systèmes d’éducation et de recherche, les gagnants seront ceux qui sauront créer, mais aussi retenir sur leur territoire les compétences et les talents.

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