De la supériorité culturelle occidentale

Publié le 24 mai 2005 Lecture : 7 minutes.

Dans un ouvrage intitulé Carnage and Culture. Landmark Battles in the Rise of Western Power*, Victor Davis Hanson, historien américain spécialiste de polémologie, nous explique comment la supériorité de l’Occident dans le carnage est l’expression de sa supériorité culturelle.
Depuis le 11 septembre 2001, nous vivons au rythme de deux violences. L’une est étatique, donc légale, démocratique et morale, selon le président Bush, et bénéficie du support de tous les médias ; l’autre, dont l’islam, identifié à l’axe du Mal, est le promoteur universel, est contre-étatique, donc, stricto sensu, illégale, barbare et immorale. L’une, massivement destructrice et aveugle, grâce à un armement abondant et très sophistiqué, ne soulève, sinon de la part de quelques ONG, pas beaucoup d’émotion dans les médias et l’opinion publique ; l’autre, aussi aveugle, quoique infiniment moins destructrice, en raison de son armement désuet et artisanal et de son activité sporadique, suscite les condamnations les plus vives dans l’opinion et les médias.
Tout au long de l’Histoire, avant l’institution des juridictions internationales, lorsqu’il s’agissait d’actes de violence menés en dehors des frontières nationales, on ne faisait pas tellement de différence entre l’une et l’autre. La conférence de Berlin (1884) partageait, en toute morale et en toute justice, l’Afrique entre certaines puissances européennes. Or quelle différence, aujourd’hui, entre la conférence de Berlin et le Conseil, que l’on devrait appeler d’insécurité pour les petits qui ne disposent pas des armes nobles, qui font la distinction entre l’odieux terrorisme et le carnage génocidaire, preuve, lui, de civilisation et de supériorité culturelle dont l’ouvrage de Hanson constitue la défense et l’illustration ? Pour lui, c’est l’arme par laquelle est perpétré le carnage, et l’étendue de ce carnage, qui fait la différence entre l’odieux terrorisme et l’héroïsme de la supériorité de civilisation et de culture. Une jeune femme qui se fait exploser tuant aveuglément une dizaine de victimes est une terroriste ; un pilote qui, sans risque de se faire exploser, tue, aussi aveuglément, les habitants d’une ville, fait preuve d’héroïsme et de supériorité culturelle.
Le mérite de Hanson est d’écrire avec franchise et sans cynisme. Il nous prévient, dans sa préface, qu’il ne parle pas de morale. Ce qu’il veut, c’est mettre en évidence, nous dit-il, « la singulière capacité meurtrière de la culture occidentale dans la guerre en comparaison d’autres traditions apparues en Asie, en Afrique et aux Amériques ». Il ajoute : « Ce livre s’efforce d’expliquer pourquoi il en va ainsi, pourquoi les Occidentaux ont été si habiles à se servir de leur civilisation pour en tuer d’autres – pour guerroyer si brutalement, si souvent sans se faire tuer. »
Le style de l’ouvrage est de bout en bout enthousiaste et lyrique, celui de l’épopée occidentale. Ce qu’il désire démontrer, c’est que la supériorité de l’Occident dans le carnage est une constante de l’Histoire. Ce sont les Occidentaux qui ont le plus tué, nous dit-il. Cette supériorité dans l’art de tuer n’est pas due au hasard ou à des qualités purement physiques. Elle est le produit de la supériorité de leurs valeurs culturelles : discipline, liberté, savoir-faire, technicité, esprit d’organisation et d’entreprise, individualisme, rationalisme, toutes constitutives de leurs vertus démocratiques qui ont fait leurs preuves.
Tout l’ouvrage est une odyssée à la gloire de l’Occident et une démonstration qu’entre capacité meurtrière et supériorité intellectuelle il y a un lien de cause à effet : c’est la culture qui donne la capacité de tuer le plus en se laissant tuer le moins. La politique pratiquée par l’Occident consiste justement à entretenir ces valeurs et à rester fidèle à ces traditions. Les invasions successives de l’Irak par les États-Unis relèvent de cette politique et maintiennent ces traditions.
« Telle est notre dette envers les morts : nous devons découvrir à tout prix comment – et pourquoi la pratique du gouvernement, de la science, du droit et de la religion détermine instantanément le destin de milliers d’hommes sur le champ de bataille. Au cours de la guerre du Golfe (1990-1991), le concepteur d’une bombe intelligente (smart bomb) américaine, l’assembleur dans son usine de fabrication, le logisticien qui l’a commandée, reçue, stockée et chargée sur un avion à réaction, tous ont fonctionné autrement que leurs adversaires irakiens – si tant est qu’ils fussent réellement des équivalents – et ont fait en sorte qu’un conscrit innocent de l’armée de Saddam Hussein se trouve taillé en pièces sans grande chance d’échapper à l’attaque, de tomber héroïquement ou de tuer le pilote. Pourquoi des adolescents irakiens ont-ils été des cibles sur les consoles vidéo d’hélicoptères américains sophistiqués, et non pas l’inverse ? Pourquoi des GI de l’État glacial du Minnesota étaient-ils mieux équipés pour combattre dans le désert que les recrues de la ville proche de Bagdad, la chaleur est étouffante ? Tout cela est essentiellement le fruit d’un héritage culturel. »
C’est de cet héritage culturel que procède l’art de faire « la guerre à l’occidentale », c’est-à-dire de la manière la plus cruelle et la moins sensible à la morale. L’auteur le souligne avec délectation : « Si la façon occidentale de faire la guerre est si meurtrière, c’est précisément parce qu’elle est amorale [un euphémisme pour éviter cyniquement – à l’occidentale ? – de dire immorale], rarement entravée par autre chose que la nécessité militaire, c’est-à-dire par des préoccupations d’ordre rituel, traditionnel, religieux ou éthique. »
Pour les besoins de sa démonstration, Davis Hanson choisit neuf batailles qu’il qualifie de décisives, et qui ont fait l’Occident. Sur les neuf, cinq ont eu pour théâtre ou point de départ la Méditerranée. Hanson consacre notamment 44 pages à l’épopée d’Alexandre et à sa victoire décisive à Gaugamèles (sur le Haut Tigre, en 331 avant J.-C.), par laquelle avait commencé l’occupation européenne de la Méditerranée sud, et dans laquelle il voit tous les prémices de la guerre à l ‘occidentale, jusqu’à Hiroshima, en passant par les panzers de Hitler.
Jamais auparavant, en effet, l’Occident n’avait autant et aussi méthodiquement tué avec plaisir. Le père d’Alexandre, Philippe, avait fait de la Macédoine « un véritable royaume où il avait fait venir des artistes, des philosophes et des hommes de science hellènes, finançant cette immigration grecque par les butins et l’or volé. Par milliers, ces hommes de science et artisans grecs finirent par accompagner Alexandre et ses Macédoniens à l’Est, assurant leur supériorité technique et organisationnelle sur les armées achéménides ». Par quelle mouche Alexandre était-il piqué ? Hanson balaye d’un revers de main la volonté de créer une « fraternité humaine universelle », ou apporter la « civilisation aux barbares ». Ce qui le motivait, c’était « le plaisir de tuer ».
La guerre à l’occidentale n’épargnait guère les civils : « En restant prudent, on arrive à 250 000 citadins tués entre 334 et 324 avant J.-C., pour la plupart des défenseurs civils qui avaient eu le malheur de se trouver en travers du chemin d’Alexandre en Orient. »
L’auteur fait un parallèle saisissant entre Alexandre et Hitler, comparant les campagnes de l’un et de l’autre : « Dans le courant de l’été et de l’automne 1941, Hitler orchestra pareillement une marche brutale et brillante vers l’Est… De même qu’Alexandre comprit que l’individualisme européen et le savoir-faire de l’hellénisme pouvaient forger des troupes intrépides et, ce faisant, servir temporairement l’autocratie, Hitler puisa dans le riche patrimoine de l’Allemagne et de ses citoyens jadis libres afin de créer un blitzkrieg tout aussi dynamique et effroyable. »
Et il nous fournit cette explication, si éclairante pour comprendre la mentalité occidentale et l’appréciation qu’elle fait de l’actualité et des événements qui se déroulent sous nos yeux : « Du fait de nos traditions helléniques, nous autres Occidentaux qualifions de « lâches » les attentats terroristes ou les attaques surprise qui ont fait quelques victimes dans nos rangs, tandis que les pertes effroyables que nous infligeons par des attaques ouvertes et directes sont toujours « justes ». Pour l’Occidental, la véritable atrocité n’est pas dans le nombre des cadavres, mais dans la manière dont les soldats sont morts et les conditions dans lesquelles ils ont été tués. Nous pouvons comprendre la folie de Verdun ou d’Omaha Beach, mais jamais accepter la logique beaucoup moins meurtrière de l’embuscade, du terrorisme ou de l’exécution de détenus et de non-combattants. Pour les Occidentaux, l’incinération de milliers de civils japonais un 11 mars 1945 est loin d’être un acte aussi révoltant que la décapitation de pilotes de B-29 capturés après avoir dû sauter en parachute. »
Autrement dit, si, le 11 septembre 2001, on avait pulvérisé New York par une smart bomb à tête nucléaire balancée depuis une base ultrasophistiquée située quelque part dans un pays qui a les moyens techniques et culturels de le faire, cela n’aurait révolté personne ou presque ! Alors, please ! donnez aux Palestiniens des têtes nucléaires, et ils cesseront immédiatement d’être des terroristes !
Mais nous, musulmans, nous n’avons que faire de têtes nucléaires. Notre rôle, en tant que porteurs du Coran, est d’apporter au monde une culture de paix. La mission de l’islam est de « culturer » le monde et, par la culture, à défaut de pouvoir abolir le carnage, le soumettre à la Loi. L’homme ne naît pas homme, il le devient. Et c’est par la culture qu’il le devient. C’est ce que nous nous proposons de montrer dans un prochain article.

* Éditions Doubleday, 2001. Publié en français sous le titre Culture et Carnage. Les grandes batailles qui ont fait l’Occident (Flammarion, 2002).

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