Dans un fauteuil

Même si la réélection d’Omar Bongo Ondimba semble déjà acquise, la présidentielle de décembre prochain met le pays en ébullition.

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Distribution de tee-shirts, meetings à répétition, tournées en province… la présidentielle approche. Fidèle à la tradition, le Gabon se prépare à entrer en campagne. Tous les sept ans à pareille époque, la kermesse électorale recommence : alors que les états-majors des principaux partis fourbissent leurs arguments, leurs ténors entretiennent un savant suspense quant à leur éventuelle candidature. Car, si la réélection d’Omar Bongo Ondimba ne fait pas vraiment de doute, ses challengeurs ont pourtant la ferme intention de rassembler le plus de voix possible. Car chacun d’entre eux sait que du score qu’il engrangera au terme de ce marathon électoral dépendra l’influence que son parti pourra ensuite faire peser sur l’exécutif.
Face au Parti démocratique gabonais (PDG), une multitude de formations tentent de monnayer leur ralliement à la mouvance présidentielle. Alors que certains temporisent dans l’espoir de faire monter les enchères, d’autres choisissent finalement le camp de l’opposition radicale, remettant à plus tard une éventuelle réconciliation avec la partie adverse. Ce petit jeu d’alliances et de retournements de vestes n’est pas une spécificité locale. Mais la promiscuité qui prévaut entre les différents protagonistes de la scène politique locale – parfois originaires du même village ou issus de la même lignée – transforme souvent le débat électoral en querelle de famille.
À six mois de la date du scrutin, il reste toutefois difficile de faire des pronostics dans la mesure où les candidats ne se sont pas encore déclarés. Figure de proue de la contestation anti-Bongo dans les années 1990, Paul Mba Abessole est progressivement devenu le porte-parole de l’opposition « conviviale », pour finalement rejoindre la majorité présidentielle. Entré au gouvernement en janvier 2002, il est aujourd’hui vice-Premier ministre. Mais le leader du Rassemblement pour le Gabon (RPG) espère plus. Depuis qu’il a adhéré à la majorité présidentielle, l’ancien maire de Libreville tente, en échange de son ralliement, d’obtenir le poste de directeur de campagne du président. Une fonction qui, en vertu d’une loi non écrite, fait de son titulaire le Premier ministre une fois la réélection du chef de l’État acquise. Cependant, les exigences de Mba Abessole ont été mal accueillies par les hiérarques pédégistes, ce qui semble de facto l’exclure de la course.
Autre poids lourd de la politique gabonaise, l’avocat Pierre-Louis Agondjo Okawe, président du Parti gabonais du progrès (PGP), a d’ores et déjà annoncé qu’il jetait l’éponge. Le 11 mars dernier, le tribun de Port-Gentil a déclaré publiquement qu’il ne sera pas candidat à la présidentielle de décembre 2005. Âgé de 69 ans, il a expliqué que son état de santé l’empêchait de briguer la magistrature suprême. Reste à savoir ce que fera son parti. Lors de la présidentielle de 1998, le PGP avait soutenu la candidature de Pierre Mamboundou. Le leader de l’Union du peuple gabonais (UPG) était alors arrivé en deuxième position derrière le chef de l’État. Mais Mamboundou ne s’est pas encore prononcé sur ses intentions. S’il veut revenir sur le devant de la scène, le maire de Ndendé va devoir faire une campagne intensive. Au cours du septennat qui s’achève, le leader de l’UPG a certes été le seul à refuser tout accord avec le PDG. Mais, aujourd’hui, il fait figure de général sans troupes. Le combat pour l’alternance a épuisé nombre de ses militants, et les défections ont éclairci les rangs du parti. Sa persévérance dans la lutte contre le régime lui vaut une certaine aura auprès de la population, mais cela ne suffira pas à faire de lui un adversaire dangereux. Face à une mécanique électorale aussi rodée que celle du PDG, un franc-tireur a peu de chances. Son isolement s’est d’ailleurs accru depuis le boycottage des législatives de décembre 2001. Privé de sa tribune parlementaire, l’UPG a perdu de son influence. « Notre refus de participer aux législatives a peut-être été une erreur, reconnaît Richard Moulomba Mombo, le secrétaire général de l’UPG. Pour la présidentielle, le parti n’a pas encore pris de décision, mais il n’y a aucune raison que Pierre Mamboundou ne se porte pas candidat. »
Enfin, la dernière incertitude repose sur Zacharie Myboto. Ministre pendant près d’un quart de siècle, cet ex-baron du bongoïsme a choisi de faire dissidence. Le 30 avril, il a annoncé sa démission du PDG, officialisant du même coup la création de son propre mouvement, l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD). En rupture de ban depuis quatre ans, cet ex-mammouth du PDG a donc trouvé une totale liberté de ton. L’UGDD milite « pour une alternance dans l’unité, la stabilité et la paix », explique Zacharie Myboto, qui dresse un état des lieux apocalyptique du pays : « Le Gabon est bien malade […]. Il souffre des effets pervers et désastreux de la mauvaise gouvernance », déclare-t-il tout en dénonçant pêle-mêle « la dette, le chômage, la corruption, les injustices sociales, l’absence de politique de développement lisible et cohérente, et la faillite de l’État de droit ».
Cet ancien instituteur a longtemps été l’un des membres les plus éminents du sérail. En 1973, il se voit confier la barre du PDG : Bongo fixe le cap, Myboto est responsable de la manoeuvre. Pendant dix-sept ans, il exerce la fonction de secrétaire administratif du PDG. Le 11 janvier 2001, il démissionne du gouvernement, s’estimant trahi par son propre camp. Depuis qu’il est redevenu simple député, Zacharie Myboto s’est consciencieusement attelé à critiquer les choix gouvernementaux. Reste à savoir quelles sont aujourd’hui ses ambitions réelles. Et si ce nouveau rebelle franchira réellement le Rubicon en se portant candidat à la présidentielle. Sur ce point, les avis sont partagés. Mais, la thèse selon laquelle l’offensive de Myboto n’en serait pas vraiment une circule avec insistance. Celui-ci aurait-il choisi la rupture seulement pour mieux monnayer son retour au bercail ? « Il n’est pas le premier dinosaure à prendre ses distances avec le Boss, explique un exégète de la politique gabonaise. Chacun se souvient de Jean-Pierre Lemboumba. Après avoir été ministre des Finances, il a créé son propre parti en 1992. Après plusieurs années dans l’opposition, il a aujourd’hui retrouvé un bureau au Palais du bord de mer. Quant à l’opposant « historique » Mba Abessole, il est aujourd’hui vice-Premier ministre. »
Myboto est-il un homme de foi ? Ses détracteurs ne voient en lui qu’un opportuniste : « Comment peut-on, du jour au lendemain, condamner un système que l’on a servi pendant plus de vingt ans ? » s’interrogent-ils. Pour René Ndemezo Obiang, porte-parole du gouvernement, « la démission de M. Myboto est un non-événement puisqu’il n’était plus dirigeant du PDG. Zacharie Myboto est mal placé pour critiquer la gestion du Gabon par le PDG. Il est également mal placé pour donner des leçons de démocratie et de transparence, dans la mesure où il faisait lui-même partie des conservateurs à l’époque du parti unique ».
Mais plutôt que ces joutes préélectorales, c’est la vie quotidienne qui semble préoccuper le plus les Gabonais. Le pays vient de traverser une passe difficile et n’est pas encore tiré d’affaires. Pour Christiane Bitougat, présidente de l’Union des syndicats de l’administration publique, privée et parapublique (Usap), « la trêve sociale du 26 septembre 2003 a été conclue pour trois ans, mais elle est de plus en plus menacée. La pauvreté n’est plus rampante, elle est galopante. Le taux de chômage est de 22 % et le salaire minimum n’excède pas 44 000 F CFA [67 euros]. Il est urgent de redistribuer les richesses en réduisant les écarts de revenus. » Pour la syndicaliste, il est clair que c’est le moment d’agir : « Nous allons faire monter la pression. Notre objectif est de négocier avec le pouvoir et de peser sur le résultat de la présidentielle. »
Pour sa part, Omar Bongo Ondimba ne sous-estime pas les risques de grogne sociale. Mais il se veut résolument confiant en l’avenir : « Je reconnais que nous vivons une crise, déclarait le chef de l’État en mars dernier [J.A.I. n° 2305], mais je crois que nous sortons de la période la plus dure. Un certain nombre de grands travaux vont être lancés. Avec deux grandes priorités : les routes et les hôpitaux. Je peux vous citer aussi le nouvel aéroport de Libreville, le chemin de fer de Belinga, le port en eau profonde de Santa-Clara, la zone franche de Port-Gentil, le développement de notre potentiel minier, et celui de l’écotourisme à travers les parcs nationaux. Nous travaillons, et cela devrait permettre de s’attaquer au problème du chômage. » Bongo saura-t-il convaincre ses concitoyens ? Seul le taux d’abstention à la présidentielle de décembre prochain permettra de le savoir…

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