Amitiés bien ordonnées

Sans tourner le dos à ses partenaires historiques que sont la France et les États-Unis, Libreville mise sur le renforcement de ses liens avec les pays du Sud, en particulier la Chine et le Brésil.

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Au Gabon, l’année 2004 a été placée sous le signe de la diplomatie et des nouvelles amitiés. Libreville aura vu défiler successivement Hu Jintao, le président chinois, qui a débarqué, le 1er février, pour une visite d’État de trois jours ; le roi du Maroc, Mohammed VI, qui a passé pas moins de six jours dans la capitale gabonaise, en juin ; et, enfin, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, à la fin du mois de juillet. Sans compter, bien sûr, les dirigeants africains, qui se sont pressés au Palais du bord de mer pour recueillir les conseils du président Omar Bongo Ondimba, doyen des chefs d’État du continent.
L’autre temps fort diplomatique de cette année 2004 aura été, bien sûr, la visite la première depuis douze ans – du président gabonais à Washington, où il a été reçu à la Maison Blanche par son homologue George W. Bush le 26 mai 2004. Cette entrevue, qui a relancé le dialogue avec la première puissance du monde, a-t-elle aussi eu pour effet de débloquer l’épineux dossier de la dette ? Coïncidence troublante, quelques jours après, l’accord tant espéré avec le FMI intervenait enfin, et les créanciers membres du Club de Paris décidaient dans la foulée d’un rééchelonnement de 470 milliards de F CFA du service de la dette extérieure du pays. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, en septembre, Jean Ping, le ministre gabonais des Affaires étrangères, accédait à la présidence, pour un an, de l’Assemblée générale des Nations unies. Une forme de consécration pour la diplomatie gabonaise, et la preuve, pour reprendre les termes du ministre, « qu’il n’est pas besoin d’être un grand pays pour avoir une diplomatie forte ».
Peuplé de 1,3 million d’habitants, le Gabon ne constitue pas, à proprement parler, une puissance régionale. Comment expliquer alors qu’il soit une étape presque obligée pour les chefs d’État étrangers en visite sur le continent (il a été la seule étape subsaharienne de la tournée du président chinois) ? Il a su, habilement, cultiver et entretenir des amitiés, dont les plus anciennes, avec la France et le Maroc, remontent aux années 1960. Très lié avec le monde politique hexagonal, le Gabon est, avec le Maroc, et, jadis, la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, un des plus fidèles et plus solides alliés de Paris en Afrique. Il continue d’ailleurs à abriter une base militaire française. L’amitié et la complicité du président Omar Bongo Ondimba avec le gaulliste Jacques Foccart, le « monsieur Afrique » du général de Gaulle, et avec Jacques Chirac, l’actuel chef de l’État français, ne sont d’ailleurs un secret pour personne. Les deux hommes se rencontrent fréquemment, à Paris ou en marge des sommets africains ou internationaux, et se parlent fréquemment au téléphone. L’avis du « patron » est sollicité en permanence par Chirac, au point de susciter des rancoeurs chez certains de ses pairs, jaloux de cette relation privilégiée avec la France. Proche de feu Hassan II, lui aussi allié indéfectible de la France, Omar Bongo Ondimba a « adopté » son fils Mohammed VI, qui est d’ailleurs revenu lui rendre visite en février 2005. La proximité familiale entre Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso est aussi l’explication de l’excellence des rapports entre le Gabon et son voisin le Congo-Brazzaville : la première dame gabonaise, Édith Lucie, n’est autre que la propre fille du président congolais.
Peu suspect, du fait de sa taille modeste et de la faiblesse de sa population, de vouloir nourrir une quelconque ambition hégémonique, le Gabon est plus à même que certains mastodontes du continent, comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou encore l’Algérie, d’offrir ses bons offices, voire sa médiation discrète dans les affaires les plus délicates. Ainsi, l’implication personnelle d’Omar Bongo Ondimba a permis aux belligérants du Congo-Brazzaville de reprendre langue et d’arriver à un accord de cessez-le-feu au plus fort des combats entre forces loyalistes et milices Ninjas, en 1999. Et c’est aussi sa médiation et la convocation, à Libreville le 22 janvier 2005, de tous les prétendants à la présidentielle centrafricaine qui ont rendu possible le dénouement de la crise née de l’invalidation par la Cour constitutionnelle de Bangui de certaines candidatures. Enfin, dernièrement, le Togolais Faure Gnassingbé, fils du défunt président Eyadéma, a fait le voyage de Libreville pour solliciter l’avis d’Omar Bongo Ondimba. Une sorte d’adoubement, avant de renoncer à assurer l’intérim de son père et de se présenter à la présidentielle du 24 avril dernier. L’influence, le réseau et le carnet d’adresses du président gabonais, qui a fait de la diplomatie et des médiations délicates l’un de ses exercices favoris, ont conféré à son pays une stature internationale enviée. Et tous les acteurs impliqués dans les arcanes de la politique africaine ou désireux d’être initiés à ses subtilités n’ont eu de cesse de recourir à son expertise.
Assuré du soutien de la France, le président gabonais a eu les coudées franches pour tisser des relations avec d’autres partenaires influents, sans que jamais Paris n’en prenne ombrage. Il a ainsi entrepris un spectaculaire rapprochement, dans les années 1970, avec les pays arabes. Aidé en cela, il est vrai, par sa conversion à l’islam et par des intérêts pétroliers bien compris : le Gabon, qui a longtemps été troisième pays producteur d’Afrique subsaharienne, a été membre de l’Opep entre 1974 et 1995, et a adhéré en 1979 à l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Bien avant d’autres, il a jaugé à sa juste valeur le potentiel de la Chine, avec laquelle il a noué des alliances dès 1974. Aujourd’hui, les deux pays ont cimenté un partenariat privilégié. De tous les dirigeants africains, Omar Bongo Ondimba est l’un de ceux qui connaissent le mieux l’empire du Milieu : il s’y est rendu à neuf reprises, la dernière fois, en septembre 2004, rendant ainsi la politesse à Hu Jintao. Il est l’un des rares dirigeants internationaux à s’être entretenu successivement avec Mao Zedong, Chou En-lai, Deng Xiaoping et Jiang Zemin. Le Gabon fait aujourd’hui figure d’allié de poids pour la Chine en Afrique, qui en a fait sa tête de pont dans la région. Largement bénéficiaire de la coopération chinoise, assortie d’aucune autre conditionnalité que la non-reconnaissance de Taiwan, le petit émirat pétrolier d’Afrique centrale a vu les entreprises asiatiques affluer. Les Chinois investissent dans le bois, le manganèse, et, bien sûr, les hydrocarbures. Sinopec, la compagnie chinoise d’hydrocarbures, a conclu en 2004 un contrat pour la fourniture de 1 million de tonnes de brut par an, qui sera exécuté par Total, le numéro un de la production pétrolière au Gabon. Les échanges sino-gabonais, en progression constante, se sont élevés à 300 millions de dollars en 2004.
Le besoin accru des pays du Sud pour les matières premières indispensables à leur développement est aussi à l’origine du rapprochement entre Libreville et Brasilia. Le président Lula s’efforce, depuis son investiture, en janvier 2003, de resserrer les liens entre le Brésil et l’Afrique. L’intérêt des investisseurs brésiliens pour le Gabon ne se dément pas. Et le premier producteur mondial de minerai de fer, la Companhia Vale do Rio Doce a décidé de miser sur les gisements de manganèse et de fer du Gabon. Les Malaisiens, déjà présents dans le secteur du bois, lorgnent, eux aussi, les richesses encore inexploitées du sous-sol gabonais. La nouvelle donne internationale a donc été mise à profit par la diplomatie gabonaise pour diversifier ses alliances, et nouer de nouveaux partenariats avec le Sud. En somme, le mariage du coeur et de la raison…

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