Nigeria : Buhari joue la continuité, au risque de décevoir

Le président nigérian Muhammadu Buhari, élu à 76 ans pour un second mandat en février, n’a toujours pas de gouvernement, mais les noms qu’il a soumis au Parlement pour approbation la semaine dernière suscitent déjà la polémique.

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’un rassemblement à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’un rassemblement à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Publié le 4 août 2019 Lecture : 3 minutes.

Ainsi que le prévoit la Constitution du pays, le Sénat a validé cette semaine les 43 noms que lui a soumis le président, mais les ministres ne sont pas encore entrés en fonction et personne ne connaît les portefeuilles auxquels ils seront assignés.

Ce retard, dans un pays de 190 millions d’habitants en proie à l’insécurité, gangréné par la corruption et à l’économie fragile malgré une production de deux millions de barils de pétrole par jour, inquiète investisseurs et observateurs.

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Il y a quatre ans déjà, le gouvernement avait été entériné six mois après l’investiture de Buhari, surnommé « Baba go-slow » (Papy va-doucement), et tout le monde craint qu’un tel scenario ne se répète.

Des voix se lèvent également pour dénoncer le peu de femmes choisies (7 sur 43), dans un pays qui détient déjà le record de la plus faible représentation des femmes au Parlement pour toute l’Afrique sub-saharienne, selon un rapport de International Republic Institute (IRI) de 2019.

« 16,3% de femmes dans le gouvernement, c’est abyssal », regrette Ndi Kato, jeune politicienne de 28 ans, dans la presse locale. « Ce gouvernement n’a aucun intérêt pour les femmes, alors que nous avons un nombre très important de femmes qualifiées au Nigeria », dénonce-t-elle.

Un avis largement partagé sur les réseaux sociaux, les médias et dans tous les cercles universitaires, qui dénoncent également la moyenne d’âge de 60 ans dans un pays jeune où l’âge médian est de 18 ans.

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Pas de prise de risques

Les commentateurs politiques regrettent également que 14 des ministres choisis appartenaient déjà au précédent gouvernement (2015-2019), ne laissant ainsi présager aucune réforme de fond ou changement de cap.

Au contraire, la quasi-totalité des noms listés sont des anciens de la scène politique nigériane, tels Babatunde Fashola, ex-gouverneur de l’Etat de Lagos et ancien ministre de l’énergie, Rotimi Amaechi, ex-gouverneur de l’Etat pétrolier de Rivers et ancien ministre des Transports, mais aussi les ex-secrétaires d’Etat au Budget Zanaib Ahmed ou aux Affaires Etrangères Geoffrey Onyema.

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Ils devraient tous être reconduits à leur poste, à l’exception d’Emmanuel Ibe Kachikwu, ancien secrétaire d’Etat au Pétrole. Ancien d’Exxon Mobil, il était une des rares personnalités de l’ancien gouvernement à être issu du privé.

Selon le think-tank Transition Monitoring Group (TMG), basé à Abuja, ce deuxième mandat aurait pu être l’occasion pour le président Buhari de prendre davantage de risque en accordant une plus grande place aux technocrates et aux réformistes.

« On aurait pu s’attendre à ce que le président sélectionne plus de personnalités avec plus de compétence spécifique à leur domaine à un moment l’on s’inquiète pour le futur du pays », estime la directrice de TMG, Abiola Akiyode-Afolabi.

Des risques de clientélisme ?

Toutefois, après une série de défections massives au sein du parti au pouvoir lors du premier mandat de Buhari, le Congrès de tous les progressistes (APC) avait besoin de cohésion, note Eurasia consultancy Group, un cabinet d’analyse politique basé à Washington.

« En récompensant les personnalités importantes du parti qui l’ont aidé à sa réélection, Buhari renforce son parti, mais risque d’anéantir les efforts qui avaient été faits pour diminuer le clientélisme », écrit le groupe.

Le clientélisme et la protection des alliés est un des composants essentiels de la politique nigériane depuis la fin de la colonisation britannique, souvent au dépend du développement du pays et de la lutte anti-corruption.

Mettre un terme à ce « cancer » qui ronge le premier producteur de pétrole d’Afrique est pourtant la priorité annoncée de la présidence depuis 2015.

Mais Debo Adeniran, à la tête de la Coalition contre les leaders corrompus (Coalition Against Corrupt Leaders, CACOL), regrette, dans une interview à l’AFP, la présence de nombreuses personnalités qui se sont déjà fait connaître dans des affaires douteuses.

Son association avait demandé plusieurs fois à Babatunde Fashola de démissioner de son poste, alors qu’il était gouverneur de Lagos, l’accusant de fraudes.

De même, Goodwill Akpabio, ancien sénateur et gouverneur de la région pétrolière d’Akwa Ibom a été régulièrement accusé d’avoir détourné les fonds de son Etat, sans n’avoir jamais été poursuivi en justice. Lai Mohammed, ancien ministre de la Communication qui devrait être reconduit est également montré du doigt.

« Pour que l’on prenne Buhari au sérieux dans son combat anti-corruption, il faudrait rayer beaucoup de noms de cette liste », dénonce Adeniran.

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