Unis contre la maladie

Sept ans après le lancement de la Journée africaine de lutte contre le paludisme, l’hécatombe se poursuit. Malgré la mobilisation internationale, les résultats se font attendre. Comment changer la donne ?

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Les chiffres sont tragiques. Chaque année, toujours un peu plus. Depuis 2000, le 25 avril, proclamé Journée africaine de lutte contre le paludisme, se joue la même rengaine, au risque d’émousser l’effet de sensibilisation attendu. Parmi les statistiques les plus terrifiantes : 3 000 enfants meurent chaque jour en Afrique. Et combien sont-ils, ceux qui survivent au mal, mais dont le cerveau a été altéré par le parasite et qui ne seront jamais plus aussi performants que les autres dans leur apprentissage scolaire ? Sans compter les femmes, encore plus vulnérables en période de grossesse lorsque le parasite se loge dans le placenta menaçant la vie de la mère et du bébé à naître. Au-delà de l’aspect médical, les conséquences sociales et économiques restent considérables.
Sept ans déjà se sont écoulés depuis la prise de conscience internationale suscitée par l’OMS. Sept années de mobilisation suivies attentivement par Jeune Afrique qui a publié plusieurs grands dossiers (en 2000, 2003 et 2005) consacrés à la progression de la lutte contre cette maladie désormais inscrite par la communauté internationale parmi les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Sept ans, et le paludisme tue toujours. Alors que toutes les composantes de la malaria ont été identifiées depuis les découvertes d’Alphonse Laveran en 1880, les recherches portant sur de nouveaux médicaments pouvant lutter efficacement contre un parasite devenu résistant aux rares thérapies existantes font toujours défaut. En trente ans, aucun vaccin n’a pu voir le jour. Ces échecs suscitent bien des interrogations. Pourquoi sept ans après le lancement de la Journée africaine de lutte contre le paludisme aucune baisse des taux de mortalité et de morbidité liés à la maladie n’est encore perceptible ?
On a beaucoup incriminé – non sans raison – l’industrie pharmaceutique insensible aux maladies « non rentables ». Une étape pourtant vient d’être franchie : la prolifération des partenariats entre secteurs public et privé apporte de l’argent pour la recherche. Les premières lueurs d’espoir sont perceptibles.
La 7e Journée africaine du paludisme, qui a pour slogan « Unis contre le paludisme », ne laisse-t-elle pas filtrer une injonction ? Les pays nantis ont commencé à prendre au sérieux le péril palustre au point de mettre la main à la poche et d’alimenter les fonds nécessaires à la lutte antipaludique. Mais tiennent-ils réellement leurs promesses ? Celles faites au Fonds mondial de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – des maladies qui tuent à elles trois six millions de personnes par an – sont-elles vraiment honorées ? Dans les pays du Nord, l’intérêt devrait en tout cas grandir avec le réchauffement climatique annoncé. L’anophèle, le moustique responsable de la transmission du plasmodium, serait déjà de retour au sud de l’Europe
« Unis » pour faire reculer le paludisme de moitié d’ici à 2010 est une tâche difficile sinon utopique. Le partenariat international Roll Back Malaria (RBM), qui chapeaute les grandes campagnes de sensibilisation en Afrique, doit déployer force arguments pour décider les gouvernements du continent à se mobiliser. Un grand nombre de dirigeants des pays d’endémie n’a pas encore franchi le pas, n’a toujours pas adopté de nouvelles politiques sanitaires susceptibles d’apporter des soins efficaces à la population : personnel formé, médicaments de qualité accessibles à toutes les bourses, moustiquaires imprégnées qui font baisser l’infestation de 25 % chez les enfants Pourtant, certains pays commencent à réagir comme le Burkina, le Niger, le Togo, l’Érythrée, la Tanzanie et l’Afrique du Sud. Prémices d’un changement de comportement sur le continent ?
Les inquiétudes demeurent. Bien souvent, les Africains considèrent encore le paludisme comme une fatalité. Or les familles savent qu’un foyer équipé d’un climatiseur protège davantage les enfants d’un danger de mort. D’aucuns craignent, en revanche, que tous les grands partenariats qui font appel à de nouvelles mannes financières (Fonds mondial, Fonds Bill et Melinda Gates, Initiative du président Bush, Fonds Clinton, Fonds de l’Union européenne, de la Banque mondiale, etc.) ne démobilisent les dirigeants – le Gabon n’a-t-il pas supprimé des subventions destinées à l’achat d’antirétroviraux pour les enfants malades du sida ? Les grands partenariats public-privé, émanation des pays du Nord, impliquent-ils suffisamment les chercheurs des pays d’endémie ?
L’Afrique a voix au chapitre quand elle s’en donne les moyens. En témoigne le Centre de recherche sur la malaria (MRTC) de Bamako, qui fait beaucoup parler de lui. La recherche africaine peut être à la pointe du progrès : le MRTC, dirigé par le professeur Ogobara Doumbo, travaille actuellement sur « cinq candidats-vaccins » avec les plus grands instituts de recherche internationaux. Parallèlement – on n’est pas à un anachronisme près -, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a remis en selle le vieux DDT pour la pulvérisation des murs intérieurs des habitations. Depuis la Convention de Stockholm de 2001, cet insecticide figure pourtant sur la liste des douze pesticides organiques à effet persistant qu’il faudrait éliminer progressivement. Et certains scientifiques de l’Amérique du Nord incriminent des risques de cancers hormonaux Au nom du « bénéfice-risque », le docteur Bernard Pécoul, un médecin impliqué dans la lutte contre le palu, en recommandait la réhabilitation. Selon lui, il est désormais nécessaire d’en finir avec les « dogmes » qui privent le monde d’un moyen efficace d’empêcher 3 000 décès d’enfants chaque jour.
Qui croire ? Nul doute que les scientifiques rendraient un service inestimable à l’humanité en se mettant d’accord sur les bienfaits et les risques mesurés de ce pesticide. En Afrique, il y a toujours un proverbe pour stimuler la réflexion. Il en est un que les experts des Nations unies auraient pu adopter à la veille du 25 avril : « Avec une seule lance, on n’abat pas l’éléphant. »

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