Saint-Just et Tartuffe

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

En privé, Paul Wolfowitz est de commerce agréable mais, dès les premiers mots échangés, on comprend que l’homme est timide, tant il parle d’une voix terne. Il ne se détend qu’après avoir vérifié que son interlocuteur n’est pas hostile. Alors, il ose une pointe d’humour, ou se met à parler un français hésitant et cet hommage à son visiteur n’est pas une posture. En fait, « Wolfie », comme l’appelle George W. Bush, est un idéaliste, c’est-à-dire quelqu’un qui croit au pouvoir des idées. De là viennent l’affaire de népotisme où il se débat et l’hostilité absolue du personnel de la Banque mondiale à son égard. Car ses idées semblent être devenues dangereuses.
Il y a chez lui du Saint-Just, ce révolutionnaire français qui entendait guillotiner tous ceux qui s’opposaient à la mission libératrice de la République. Wolfowitz a été celui qui a le plus poussé le président américain à envahir, en 2003, l’Irak, où il voulait installer, par la guerre, démocratie, modernité et justice. Ce goût pour le nettoyage en force, il l’a appliqué à la Banque mondiale en pourchassant les gouvernants corrompus qui détournent l’argent destiné aux plus pauvres. Il a ainsi suspendu des programmes d’aides au Bangladesh, au Cambodge, au Tchad ou au Kenya. Il a tenté de bloquer l’annulation de la dette du Congo-Brazzaville. Jusqu’à ce que ce puritanisme suscite l’hostilité des Européens, scandalisés qu’il punisse les peuples pour les fautes de leurs dirigeants.
Wolfie illustre parfaitement le mot de Nietzsche selon lequel « la certitude rend fou ». Il a cru qu’il était seul capable de régler le problème de sa maîtresse, obligée de quitter une institution où elle travaillait avant qu’il n’en devienne le président. Il n’a pas vu que les promotions et les augmentations extraordinaires qu’il lui octroyait constituaient un cas de népotisme caractérisé. Avant son entrée en fonctions, il n’a pas compris ce qu’avaient d’indécent les douze amendements qu’il avait fait apporter à son contrat. Il avait demandé et obtenu que lui soient payés les livres et les discours écrits dans le cadre de ses fonctions, et exigé que son salaire soit aligné sur celui du directeur général du FMI, traditionnellement mieux payé.
Parce qu’il se méfie de tout le monde à la Banque, où il a été accueilli fraîchement, il a fait venir une garde rapprochée de « néocons » avec des contrats aussi anormalement « généreux » que celui de sa compagne (voir p. 21).
Ils sont quatre à s’interposer entre le président et son personnel. Surnommée la « Dragon Lady », Robin Cleveland, ancienne directrice du budget des programmes pour la sécurité nationale à la Maison Blanche, est le véritable numéro deux de la Banque. Kevin Kellems est chargé de la stratégie, notamment en matière de communication, et il excelle à manipuler les journalistes. Suzanne Rich Folsom, qui avait travaillé pour Ronald Reagan et Bush père, dirige la « police » de la Banque, le très redouté département de l’Intégrité. Enfin, Karl Jackson surveille de près le « bras financier » de la Banque, la Société financière internationale (SFI).
Chez ces quatre personnes, la méfiance est la règle. « Un jour, raconte un ancien, nous avons communiqué à Cleveland les statistiques sur le paludisme qu’elle réclamait. Les collègues de l’USAid nous ont appelés pour nous dire qu’elle leur avait demandé si nos chiffres étaient corrects. Comme si nous avions intérêt à les truquer ! » Cette paranoïa s’estompe comme par enchantement lorsque Wolfowitz visite les pauvres, particulièrement en Afrique, où il s’est rendu quatre fois. Là, pas d’ennemis à affronter, mais des bienfaits à répandre à foison. Notre néocon se mue alors en homme charitable et compassionnel. Depuis des mois, il n’a plus à la bouche et en tête que l’Afrique, au point que son conseil d’administration lui a reproché, fin janvier, de limiter ses objectifs stratégiques à cette partie du monde. Un administrateur lui a même lancé : « L’Afrique n’est pas un objectif, mais un continent ! »
Les conséquences de ce méli-mélo psychopolitique sont redoutables. Elles induisent une méchanceté à l’égard de tous ceux qui ne pensent pas, ou sont supposés ne pas penser, comme le président. On a assisté aux évictions successives de hauts dirigeants qui avaient dit ce qu’ils pensaient de tel ou tel dossier, comme l’ouverture d’un bureau à Bagdad. Quand on interroge l’équipe du président sur les raisons qui l’ont poussé, fin 2006, à exiler le vice-président Moyen-Orient au Kazakhstan, la réponse tombe, glaciale : « Pas d’atomes crochus ».
L’hypocrisie est inévitable chez ces « vertueux ». Wolfowitz se régale de faire savoir que le président congolais Denis Sassou Nguesso a dépensé des centaines de milliers de dollars pour régler des notes d’hôtel à New York, notes obligeamment transmises par des fonds « vautours ». En revanche, il engage le cabinet Williams & Connolly pour démasquer les traîtres qui ont rendu public le contrat de Riza et invite le personnel de la Banque à les dénoncer. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais, comme le murmurent tous les tartuffes
Enfin, Wolfowitz est incapable de reconnaître ses torts. Il n’avouera jamais que l’invasion de l’Irak était une faute. La reconnaissance de son « entière responsabilité » dans l’affaire Riza lui a été dictée par son conseil d’administration, le 12 avril. Pourtant, il persiste à penser qu’il a adopté la bonne attitude. Il ne voit pas du tout pourquoi les pays donateurs refuseraient de lui confier les 25 à 30 milliards de dollars nécessaires à l’aide multilatérale entre 2008 et 2011 à cause de cette affaire Riza qui, selon lui, n’en est pas une. C’est pourquoi ceux qui le connaissent prédisent qu’il ne démissionnera pas et que, s’il le fait dans les heures ou les jours qui viennent, ce sera contraint et forcé par George W. Bush en personne.

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