Réduire la facture

Les traitements induisent des dépenses considérables pour les malades et grèvent les budgets. Au point d’affecter la croissance du continent.

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

« J’ai fait un neuropaludisme avec coma en 1999. Et personne ne peut me dire si je pourrai retrouver un jour une vie normale ! » s’inquiète Mariam sur un site Internet consacré aux questions médicales. La malaria (Plasmodium falciparum) contractée par la jeune femme pourrait bien compromettre son avenir. En extrapolant ce cas individuel à tout le continent, c’est l’économie même de l’Afrique qui est pénalisée par la maladie. Dans quelles proportions ? Qu’entend-on réellement par l’« impôt palu » souvent mentionné dans les conférences internationales ?
Entre 10 % et 20 % des enfants qui contractent le neuropaludisme meurent des suites de la maladie. Et 7 % des jeunes atteints qui, comme Mariam, ont survécu, risquent de souffrir de problèmes neurologiques jusqu’à la fin de leur vie : déficiences physiologiques, cécité, troubles de l’élocution et épilepsie. Pour ces enfants, les chances de s’instruire et de mener plus tard une vie indépendante sont compromises. Bien sûr, des soins appropriés peuvent en atténuer les séquelles. Mais en Afrique, combien d’enfants y ont réellement accès ?
Pour les formes moins dangereuses de paludisme, les conséquences sont tout aussi préjudiciables. Un enfant en zone fortement impaludée sera régulièrement absent de l’école (deux à cinq crises pendant la saison des pluies), ce qui compromettra inévitablement son instruction. Pour un ménage, le coût des soins demeure exorbitant. Selon une étude menée au Ghana par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en décembre 2004, un seul épisode de paludisme coûte environ 15 dollars (6 dollars correspondent aux dépenses directes, dont la moitié pour les médicaments, et le reste étant réparti entre le coût de transport jusqu’au centre de soins, les frais d’enregistrement, de consultation et de tests de laboratoire). Mais l’étude a également chiffré la perte du temps productif, non seulement pour les patients actifs, mais également pour les personnes s’occupant du malade. Dans un ménage, elle a été estimée à 9 dollars par épisode.
Pour éviter ces coûts, la prévention est efficace mais représente une autre source de dépenses. Toujours selon cette étude, les ménages consacrent en moyenne 1,30 dollar par mois pour des produits tels que les bombes d’insecticide ou les spirales antimoustiques. La fameuse moustiquaire imprégnée est hors de portée des budgets des familles. Neuf ans après le lancement du programme des Nations unies Roll Back Malaria (« Faire reculer le paludisme »), seulement 3 % des enfants africains dorment sous une moustiquaire imprégnée. Sur une année, on estime que les ménages consacrent 25 % de leur budget au paludisme.
Un ménage « palu » est bien moins « productif » qu’un autre. Il cultivera seulement 40 % de la surface agricole d’une famille en bonne santé. Un adulte effectuera de une à cinq crises dans l’année, qui l’empêcheront de travailler dix jours – toujours au moment des travaux des champs, lorsqu’il pleut et qu’il fait chaud – s’il n’est pas très résistant.
Au-delà des individus et des foyers, la lutte contre le paludisme grève sérieusement les budgets publics. Dans les 45 pays fortement impaludés d’Afrique, 3 à 5 lits d’hôpitaux sur 10 sont occupés par des patients qui souffrent de la maladie. Celle-ci représente jusqu’à 50 % des consultations externes. Et 40 % des dépenses publiques sont consacrées à la malaria, incluant l’entretien des services de santé et des infrastructures sanitaires, la lutte antivectorielle ou encore l’éducation et la recherche.
Les entreprises aussi paient un lourd tribut à la maladie. En 2006, le Forum économique mondial (FEM) a publié les résultats d’une enquête réallisée auprès de 8 000 dirigeants d’entreprise de 100 pays sur le coût de la malaria : 72 % des entreprises africaines participantes ont indiqué que cette maladie avait une incidence sur leurs activités. Aussi sont-elles de plus en plus nombreuses à manifester leur intérêt pour la lutte contre la maladie. Une façon de valoriser « leur sens des responsabilités sociales », mais surtout d’accroître leur productivité en réduisant l’absentéisme ainsi que le nombre d’évacuations médicales et de décès liés au palu.
Au Ghana, l’entreprise AngloGold Ashanti, qui gère la plus grande mine d’or à ciel ouvert du monde, affichait un excédent de personnel de 20 % en 2000. Un surplus maintenu en permanence pour remplacer les salariés en congé maladie pour avoir contracté le paludisme. La compagnie a donc décidé de lancer un programme de lutte antipaludique pour ses employés et pour les communautés environnantes. Des pulvérisations ont été faites dans plus de 130 000 structures, permettant de réduire les cas de paludisme et d’absentéisme de plus de 50 %.
De même, sur son site au Mozambique, le géant sud-africain de l’aluminium Mozal avait enregistré en deux ans plus de 6 000 cas de paludisme, 300 évacuations médicales et 13 décès. À la suite d’un programme intégrant pulvérisation à effet rémanent à l’intérieur des locaux et traitement précoce, le nombre de cas est tombé de 6 000 à 1 064. De la même manière, lors de la construction du pipeline long de 1 000 km entre le Cameroun et le Tchad, ExxonMobil a mis en place un programme antipalu qui leur a permis d’économiser 3,8 millions de dollars.
Plus globalement, à l’échelle du continent, les pertes annuelles liées au palu sont estimées à 12 milliards de dollars. « Le paludisme a réduit de 1,3 % par an le taux annuel de croissance économique des pays africains, entraînant ainsi, sur une période de trente-cinq ans, une baisse du PIB de 32 % par rapport à ce qu’il aurait pu être sans le paludisme », déclarait l’OMS en avril 2000 à Abuja au Nigeria, lors du lancement de la campagne Roll Back Malaria.
Ainsi, la croissance économique des pays de forte transmission a toujours été inférieure à celle des pays sans paludisme*. Et au fil des années, cet écart se creuse. Selon l’Unicef, le coût moyen supporté par chaque pays d’Afrique pour la mise en uvre de programmes antipaludiques peut être évalué à au moins 300 000 dollars par an.
Mais les chiffres ne permettent d’évaluer parfaitement le réel impact économique et social du paludisme dans un pays. Comment mesurer, par exemple, les pertes de devises engendrées par les touristes qui renoncent à un voyage dans un pays par peur du paludisme ? Comment apprécier le manque à gagner d’une région négligée par des commerciaux qui craignent de tomber malade à chaque fois qu’ils s’y rendent ? Comment chiffrer les pertes financières des agriculteurs qui choisiront des cultures vivrières plutôt que des cultures plus rentables, mais qui exigent plus de main-d’uvre, en raison des effets du paludisme sur les travaux pendant les récoltes ?

* Gallup and Sachs. The Economic Burden of Malaria. American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, 2001.

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