Réactions à la « Commission Védrine » (suite)
L’ancien chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, a brossé l’avenir des relations entre son pays et l’Afrique, dans nos colonnes (voir J.A. n° 2411). À ses yeux, la gauche française (dont il fait partie) est « partagée entre le paternalisme et la charité » alors que la droite rêve du « retour à la Françafrique ». Il a plaidé pour une approche « moins nombriliste » et pour un nouveau partenariat entre l’Afrique, la France et l’Europe. Pour ce faire, il propose la mise en place d’une « Commission de haut niveau, bipartisane, de gauche et de droite ». Mission : écouter pendant un an tous ceux qui comptent sur le continent, au pouvoir et dans l’opposition, responsables de l’Union africaine, des organisations régionales et leaders de la société civile. Voici le dernier volet des réactions suscitées par ce qu’on appellera peut-être la « Commission Védrine ».
Béji Caïd Essebsi* « Oublier ses fantasmes de colons et surmonter ses complexes de colonisés »
A la place d’Hubert Védrine, j’aurais davantage mis l’accent sur la relation Europe/Afrique plutôt que sur la relation franco-africaine, qui a un petit côté anachronique. L’Europe s’est partagé l’Afrique au Congrès de Berlin, en 1885, puis l’a colonisée presque intégralement. La décolonisation n’a pas radicalement changé la donne, à cause des liens de dépendance économique, culturelle et militaire. Même en Tunisie, il a fallu batailler pour faire évoluer les relations avec l’ancienne métropole et instaurer des relations de respect et d’indépendance. Le nouvel ordre mondial, né de la chute du Mur de Berlin, est encore en gestation. Il sera sans doute multipolaire. On s’oriente vers de grands ensembles, et l’Afrique aura vocation à s’arrimer à l’Europe, à s’inscrire dans sa mouvance, pour échapper à la marginalisation.
Compte tenu de son passé, il est dans l’intérêt de l’Europe mais aussi de son devoir de repenser ses relations avec l’Afrique sur des bases nouvelles. Avant de remettre à plat les relations, il faudra conduire une étude exhaustive, et poser un diagnostic sur les besoins et les attentes de chacun, comme le préconise M. Védrine. L’Afrique devra se pencher sur la question de sa gouvernance. Mais, avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faudra impérativement s’assurer de deux choses : que les Européens se sont définitivement débarrassés de leurs fantasmes de colons et que, de leur côté, les Africains ont surmonté leurs complexes de colonisés.
Les hésitations des Européens eux-mêmes, qui ne savent pas si leur vocation est de peser sur le cours des relations internationales ou, plus prosaïquement, de se transformer en vaste supermarché, constituent la limite de mon raisonnement. Dans ma perspective, la France a un rôle moteur à jouer pour entraîner ses partenaires, elle restera de toute façon un acteur très important et influent en Afrique.
*Ancien ministre des Affaires étrangères de Tunisie.
Cheickna Seydi Diawara* « Le pire, c’est l’absence de politique africaine »
Ce que Hubert Védrine propose est avant tout « une approche nouvelle pour définir la politique africaine de la France ». En analyste averti de la mondialisation, il sait que le pire c’est bien l’absence de politique africaine de la France, tant pour les Africains que pour la France elle-même.
La zone franc, l’aide, la présence militaire ont eu le mérite d’apporter une certaine stabilité en Afrique de l’Ouest francophone, mais les contre-exemples ne se limitent pas au seul Rwanda. S’y ajoutent une Algérie martyrisée, un Congo balkanisé, une Guinée bannie pendant vingt ans, une Côte d’Ivoire vulnérable. La stabilité est certes un atout. Mais elle peut aussi masquer le diagnostic des besoins de réforme et d’adaptation.
La comparaison que M. Védrine fait avec d’autres types de coopération (britannique, par exemple) devient franchement défavorable dès lors qu’on parle de croissance économique ou de taux d’alphabétisation. Et que l’on compare les vitrines africaines de la ?coopération française à d’autres États hors d’Afrique, qui avaient le même niveau de vie en 1960. Ce n’est, bien sûr, pas la faute de la France, mais d’abord celle des Africains.
M. Védrine a le mérite de proposer une démarche plus participative (consultation des Africains) qui ne rajoute pas de la polémique à la polémique, mais qui ne règle pas pour autant la question essentielle de la responsabilisation des Africains. La réponse des Africains aux questions posées permettrait aux Français de savoir ce qu’ils pensent. Mais la politique africaine de la France sera toujours définie en France et par les Français. Les Africains devraient s’organiser pour qu’elle ne soit plus subie, pour garder la liberté de l’accepter ou de la rejeter en toute souveraineté. Il faut pour cela que le continent s’en donne les moyens.
Certains disent aux Français qu’ils ont perdu l’Afrique. Est-ce grave ? Oui, évidemment. Car le simple fait de se poser la question veut dire que, cinquante ans après les indépendances, les Français sont restés propriétaires de leurs ex-colonies. Ne vaudrait-il pas mieux pour tout le monde que les Français perdent effectivement une certaine Afrique, éternel fardeau, pour en retrouver une autre, partenaire souverain et plus viable ?
*Ancien ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Hydraulique du Mali.
Zéphirin Diabré* « Évoluer vers une approche européenne »
J’ai lu avec intérêt l’article de M. Védrine. Comme lui, je considère que nous sommes à un tournant que les Africains devraient savoir négocier en premier. Ce qui m’a toujours frappé, c’est que le débat est articulé autour du concept « politique africaine de la France », alors qu’on a jamais entendu les Africains discuter d’une « politique française de l’Afrique ». Il faudrait que cette Commission comporte aussi des Africains – je ne lis rien de tel dans le texte – ou qu’elle ait comme vis-à-vis une Commission mise en place par les Africains. C’est ce que j’ai tenté, il y a un mois, à Ouagadougou, avec un colloque sur « la relation Afrique-France-Europe ». Je voulais que la droite et la gauche y participent. J’ai pris langue avec des personnalités de tout bord, y compris Hubert Védrine, qui m’a fait l’honneur de venir, la Fondation pour l’innovation politique (proche de l’UMP) et la Fondation Jean-Jaurès. À mon grand étonnement, la deuxième a décliné mon invitation parce qu’elle estimait que trop de choses la séparaient de la première. Charles Josselin a fait le déplacement, tout comme Michel Roussin, mais pas le Parti socialiste en tant que tel. Si la Commission voit le jour, au moins faudra-t-il un consensus droite/gauche, ce qui me paraît essentiel pour que les Français puissent définir leur nouvelle politique africaine.
Dernier point, je souhaite que nous sortions de ce tête-à-tête avec la France pour évoluer vers une approche européenne. Je pense qu’en lieu et place de l’actuel Sommet France-Afrique, il faudrait un Sommet Afrique-Europe. Tout comme je souscris à l’idée d’Eurafrique comme futur bloc qui donnerait le change à la Chine et aux États-Unis. La « Commission Védrine » doit avoir une dimension européenne.
*Ancien ministre des Finances du Burkina Faso et ancien administrateur adjoint du Pnud.
Hassen Fodha* « Un partenariat porté vers l’avenir »
La réflexion de M. Védrine dresse un diagnostic réaliste et pertinent de l’état des relations franco-africaines. Réaliste dans la mesure où il ne cède pas à la tentation paternaliste « donneuse de leçons » ; pertinent en ce qu’il invite les candidats à la présidentielle à se prononcer sur une nouvelle définition des relations franco-africaines, affranchie des états d’âme du passé, et dynamisée par un contrat de partenariat où les acteurs jouent « gagnant-gagnant ». Il est urgent de créer une Commission. Et peut-être salutaire car l’espace francophone africain – réputé être la chasse gardée de la France – s’ouvre à des puissances concurrentes, qui n’hésitent pas à pousser les intérêts français vers la sortie.
Que pourrait-elle préconiser ?
1. Définir un nouveau partenariat franco-africain en lui donnant un cadre d’action et un objectif précis : il doit fonctionner dans le respect des principes de gouvernance démocratique. C’est une condition essentielle de sa mise en uvre. Les signataires sont des acteurs égaux, responsables devant la loi et devant l’opinion. Fini les rapports de tutelle, de « donneur-charitable » à « bénéficiaire redevable ». Fini la loi du silence en cas de détournement ou de mauvaise gestion, il va falloir rendre des comptes grâce à un mécanisme rigoureux de contrôle et de suivi. Fini les dépenses militaires, les constructions somptueuses et les projets qui ne profitent ni à la croissance économique ni aux peuples.
2. Revitaliser la coopération politique franco-africaine en adaptant les mandats des institutions francophones aux nouvelles relations internationales. L’Organisation internationale de la francophonie dispose de moyens importants, qui ne se reflètent pas dans des résultats concrets. Elle pourrait rayonner autrement qu’en faisant le comptage des francophones. En bâtissant, par exemple, un front uni pour contribuer à la résolution des conflits dans le monde.
C’est ainsi que j’imagine une coopération franco-africaine portée vers l’avenir, et de laquelle la France et l’Afrique pourront tirer mutuellement profit, tout en pesant sur les affaires du monde.
*Diplomate tunisien, ancien directeur régional de l’ONU en Europe à Paris.
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