« Pourquoi j’ai choisi Sidi »

Inattendu, tardif et déterminant, le ralliement de Messaoud Ould Boulkheir à Cheikh Abdallahi suscite toujours critiques et interrogations. Réponse de l’intéressé, pour qui les tabous d’hier sont tombés.

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Pour les uns, il a vendu son âme au diable. Pour les autres, il a fait preuve d’un sens politique aigu. Le 19 mars, dans l’attente fébrile de la seconde manche de la présidentielle, Messaoud Ould Boulkheir orchestre un véritable coup de théâtre : l’opposant invétéré au régime de Maaouiya Ould Taya et à tous ses avatars annonce son ralliement à Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’adversaire de ce dernier, Ahmed Ould Daddah, perd alors un soutien déterminant : ayant raflé 9,8 % des voix au premier tour, « Messaoud » est l’un des derniers candidats de poids à annoncer son choix. Comme l’attestent les résultats du second tour, il est le faiseur de rois
Impétueux, frondeur, haut en couleurs, le chef de l’Alliance populaire progressiste (APP), 65 ans, est allé là où on ne l’attendait pas. À la veille des élections législatives et municipales de novembre dernier, son parti avait rejoint celui d’Ahmed Ould Daddah, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), dans la Coalition des forces du changement démocratique (CFCD), un regroupement de formations appartenant à l’ancienne opposition. À l’époque, le jeu des alliances semblait clair : les compagnons d’opposition marcheraient main dans la main.
Le choix de Messaoud a d’autant plus surpris que, farouche défenseur de la cause des Haratines (descendants d’esclaves), et Haratine lui-même, il s’est pratiquement toujours placé dans le camp des opprimés : au début des années 1990, il épouse la cause des Négro-Mauritaniens, victimes de répression par le pouvoir en place ; en 1991, il appelle au boycottage du référendum constitutionnel et est mis en résidence surveillée ; au début des années 2000, son parti, représenté au Parlement, est interdit La période de diabolisation fut nettement plus longue que ses deux années de grâce quand il fut, de 1984 à 1986, ministre du Développement rural de Maaouiya Ould Taya et, à ce titre, le premier Haratine à occuper une fonction ministérielle.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi faisant figure de président de la continuité avec l’ancien régime, nombreux sont ceux pour qui Messaoud a rallié ses ennemis d’hier et bradé ses engagements. Vindicatif, le très probable prochain président de l’Assemblée nationale s’en explique.

Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous choisi de vous allier à Sidi Ould Cheikh Abdallahi ?
Messaoud Ould Boulkheir :La politique se construit sur des alliances, en fonction des circonstances, il n’y a rien de figé. Sous le régime prétendument démocratique de Maaouiya Ould Taya, j’étais dans l’opposition. Je ne partageais aucune de ses idées. Sa conception de l’État n’était pas la mienne. Ould Taya attisait les haines entre communautés, privilégiant systématiquement les Maures blancs au détriment des Haratines et des Négro-Mauritaniens. Cela, je ne pouvais le cautionner. Mais depuis le 3 août 2005, les choses ont changé. Les inégalités entre les citoyens, les violations des droits de l’homme, le racisme, le népotisme : les tabous d’hier sont tombés. L’évolution de la situation m’a donné l’espoir que ces dossiers seraient réglés. Je n’avais donc plus de raisons de m’opposer.
Vous auriez toutefois pu choisir Ahmed Ould Daddah.
Entre les deux tours de la présidentielle, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a eu la courtoisie de nous envoyer des délégations de haut rang pour négocier. Ahmed Ould Daddah, lui, ne nous a envoyé qu’un vice-président accompagné d’un émissaire dont j’ignore encore le rôle. L’équipe de Sidi avait lu notre programme et était capable de dire : « ce point-là, on peut le satisfaire, celui-là, non ». Du côté d’Ahmed Ould Daddah, les émissaires disaient « oui » à tout. Leur attitude était pour le moins suspecte.
Voulez-vous dire que vos rapports avec Ahmed Ould Daddah ont influencé votre décision ?
Oui. Ahmed et moi n’avons jamais été des amis. Il ne m’a jamais considéré ni comme un collègue politique ni comme un leader, encore moins comme un compatriote pouvant aspirer aux mêmes droits que lui. Et il m’a toujours reproché de n’avoir pas accepté sa candidature à la présidentielle de 1992. Quand il est entré dans l’opposition, après sa défaite, je lui ai promis de le soutenir corps et âme s’il défendait la cause des Haratines. Je me souviens précisément de notre conversation. Mais jamais il n’a manifesté une quelconque préoccupation à l’égard de la condition des descendants d’esclaves.
L’entourage de Sidi Ould Cheikh Abdallahi compte tout de même des caciques de l’ancien régime auquel vous vous êtes opposé.
Je suis las de cette rengaine ! On trouve des caciques de Ould Taya aussi bien dans le camp de Sidi que dans celui de Ahmed.
D’aucuns soupçonnent un calcul de votre part : vous choisissez Sidi plutôt qu’Ahmed en tablant sur le fait que le premier sera trop âgé pour briguer un second mandat et vous laissera donc la voie libre en 2012.
Ce calcul est ridicule. Nous sommes en démocratie et personne ne peut dire qui sera candidat dans cinq ans ni qui le peuple choisira.
Serez-vous candidat en 2012 ?
Si mon parti m’investit, je ne me déroberai pas.
Quels sont les termes de votre accord avec Sidi ?
Je sais que les spéculations vont bon train et que beaucoup disent que j’ai été acheté. C’est d’ailleurs une rumeur que l’on n’entend qu’à mon sujet. Les autres chefs de parti qui ont rallié Sidi n’ont pas droit à ce traitement de faveur, si je puis dire. Mais je vous le dis haut et fort, je ne suis pas achetable.
Avez-vous reçu la promesse de la présidence de l’Assemblée nationale ?
D’après nos accords, Sidi doit uvrer auprès de la majorité au Parlement pour que le perchoir me revienne.
Quelles sont les autres conditions ?
Je ne serai pas un faire-valoir, Sidi en est conscient. J’ai exigé que la question de l’esclavage soit résolue. J’ai des engagements écrits signés de la main de Sidi à ce sujet. Bien sûr, je sais que le problème ne disparaîtra pas comme ça. Mais le jour où je sentirai une volonté de blocage, rien ne m’empêchera de claquer la porte.
Comment combattre la pratique de l’esclavage, maintes fois abolie par la loi ?
Reconnaître d’abord qu’elle existe. Ensuite, promulguer des lois la criminalisant, caractérisant et réprimant les faits assimilés. Puis mettre en place des programmes socio-économiques et d’instruction en faveur des groupes concernés. C’est ce dont nous avons convenu avec Sidi.
Avec 7,94 % des voix au premier tour, le candidat peul Ibrahima Sarr a obtenu un score nettement plus élevé que prévu. Ce résultat a conduit les analystes à parler d’un « vote identitaire ». Qu’en pensez-vous ?
On ne peut dire le contraire. Mais je suis contre l’alignement derrière un candidat pour sa couleur de peau ou son appartenance à telle ou telle communauté linguistique. Je préfère que l’on s’engage sur la foi d’un programme. C’est cela, et seulement cela, qui rapprochera les Mauritaniens condamnés à vivre ensemble. Et non les relents identitaires qui ont fait le lit des bévues du passé. La nation n’en a pas besoin.
Quel bilan faites-vous de la transition ?
Dans l’ensemble, il est positif. Mais il comporte tout de même quelques ratés regrettables. Notamment l’implication du Conseil militaire pour la justice et la démocratie aux côtés d’un candidat, même si nous sommes aujourd’hui dans le camp de ce dernier. Également, la position de l’ex-chef de la junte, Ely Ould Mohamed Vall, sur l’esclavage, dont il nie la réalité. Et aussi, l’éducation. Elle a besoin d’un vrai projet. Le problème le plus vaste et le plus profond reste celui de la fragilité de l’État.

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