Mohand Laenser

Pour le ministre de l’Agriculture, la refonte du secteur passe par une réorganisation complète de la profession et un changement des mentalités.

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Au moment où s’achève le deuxième Salon international de l’agriculture au Maroc (Siagrim, du 19 au 24 avril à Meknès), le ministre marocain de l’Agriculture, du Développement rural et des Pêches maritimes fait le point sur la réforme agricole en cours et répond aux critiques formulées contre les accords de pêche conclus avec l’Union européenne (UE) et entrés en vigueur le 1er mars.

Jeune Afrique : Après l’excellente saison agricole de 2006, quelle tendance se dégage pour la campagne de 2007 ?
Mohand Laenser : Pour la production céréalière, utilisée comme étalon parce qu’elle est la plus affectée par les aléas climatiques, l’année s’annonce médiocre. Les pluies ont été insuffisantes et irrégulières. Je pense que la récolte sera inférieure à 40 millions de quintaux, contre une moyenne habituelle comprise entre 55 et 60 millions de quintaux. En revanche, dans toutes les autres filières, 2007 sera une année normale, puisqu’il s’agit en grande partie de cultures irriguées, et que le taux de remplissage des barrages est à peu près le même que l’an dernier.
La croissance va cependant en pâtir
C’est certain, parce que l’agriculture représente toujours une part importante de notre PIB : 14 % environ. L’idéal serait qu’elle passe sous la barre des 10 %.
Ces récoltes en dents de scie ne remettent-elles pas en cause le principe de sécurité alimentaire auquel le Maroc était attaché ?
Non, il reste pour nous une priorité. C’est le concept que nous avons fait évoluer. Nous avons longtemps considéré que la sécurité alimentaire, c’était l’autosuffisance. Beaucoup d’efforts ont donc été faits en ce sens dans le passé, mais souvent au détriment du bon sens, en mettant en céréaliculture des surfaces inappropriées. Désormais, nous considérons que la sécurité alimentaire passe plutôt par l’équilibre de notre balance commerciale agricole et privilégions donc les spéculations rentables destinées à l’exportation.
Cette nouvelle conception reste pourtant dépendante des évolutions climatiques et de la disponibilité de la ressource en eau
C’est pourquoi nous travaillons au développement d’une stratégie destinée à valoriser celle-ci.
Laquelle ?
Sur les terres non irrigables, soit 80 % de la surface agricole utile (SAU), nous tentons de concentrer la céréaliculture sur les meilleurs terroirs, et de reconvertir les terrains les moins adaptés, comme les montagnes, les piémonts ou les zones pierreuses. Nous voulons les rendre à l’élevage ou à la forêt, et y développer l’arboriculture. L’objectif est d’étendre les cultures de l’olivier, du caroubier et de l’arganier, qui ne consomment que très peu d’eau. Nous visons une réduction des superficies céréalières de 2 millions d’hectares (ha). En parallèle, il faut évidemment augmenter les rendements pour qu’ils atteignent 25 à 30 quintaux par ha, afin de garantir la stabilité de la production.
Quid des terres irrigables ?
Nous essayons non seulement d’y généraliser les systèmes d’irrigation économes en leur octroyant des subventions, mais, là aussi, de privilégier les cultures et les espèces les moins consommatrices, ainsi que les cultures de niche. Autre objectif : faire totalement disparaître les céréales de la zone. Le Maroc compte encore 400 000 ha de terres consacrées à la céréaliculture irriguée : c’est beaucoup trop.
Sur 1,5 million d’agriculteurs marocains, 70 % possèdent une exploitation éclatée en six parcelles, dont la superficie totale n’atteint pas 5 ha en moyenne. La refonte de l’agriculture passe aussi par une profonde réforme des structures foncières
Elle passe, en réalité, par une réorganisation complète de la profession. Le premier axe concerne effectivement la restructuration des terres agricoles. Nous essayons d’en uniformiser les statuts tout en incitant au remembrement. Nous avons ainsi décidé de donner en pleine propriété les terres de la réforme agraire distribuées au lendemain de l’indépendance et qui ne peuvent, jusqu’à présent, faire l’objet d’un héritage. Nous cherchons également à résoudre le problème des terres collectives, sur lesquelles personne ne veut investir parce qu’elles n’appartiennent à personne. Mais le processus est lent. Il se heurte à de nombreux obstacles, notamment les mentalités. Ensuite, nous nous attachons à organiser la profession pour avoir des interlocuteurs viables. Le secteur agricole est constitué d’une multitude de petites associations. Nous estimons qu’il est nécessaire de promouvoir des regroupements pour éviter l’effritement, car, seul, l’État ne peut rien.
Et le troisième axe ?
Il s’agit du financement. Longtemps, l’ancienne Caisse nationale de crédit agricole, à fonds uniquement publics, était le seul établissement financier agricole. Son statut étrange – elle n’était pas une banque – l’a conduite à avoir de sérieux problèmes, car les agriculteurs ne remboursaient pas leurs emprunts. Mais aujourd’hui, elle a été assainie. Son statut a été corrigé. Nous travaillons donc à lui redonner sa vocation d’outil de financement de l’agriculture sous diverses formes.
Ne faut-il pas envisager l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM) pour adapter les cultures au réchauffement climatique ?
Si la législation marocaine interdit l’importation et l’utilisation d’OGM, nous n’avons pas de dogme en la matière. Nous attendons simplement un consensus de la communauté scientifique internationale sur les risques qu’ils présentent, pour voir s’ils sont acceptables ou non. Alors, nous aviserons.
Le Maroc ne compte aujourd’hui qu’entre 16 000 et 20 000 ha consacrés à l’agriculture biologique. Ne doit-il pas développer cette filière s’il veut valoriser ses spéculations les plus rentables ?
De façon marginale seulement, parce qu’elle pose d’importants problèmes de coûts. Produire bio, c’est un investissement. Seuls les agriculteurs qui assurent déjà la rentabilité de leur exploitation grâce à des productions classiques peuvent se lancer sur le créneau. Quant au marché, il reste très concurrentiel et très étriqué. Enfin, le royaume a une grande chance aujourd’hui : les quantités d’engrais chimiques et de pesticides qui y sont utilisés sont très loin des normes internationales. Le Maroc n’utilise que 30 kg d’engrais par ha en moyenne, contre 150 kg en Pologne !
Côté pêche, une bonne partie de la profession estime que le Maroc a mal défendu ses intérêts lors de la signature de l’accord avec l’UE. L’Europe n’a-t-elle pas effectivement réussi à délocaliser ses problèmes de ressources dans le royaume ?
Non, nous pensons que c’est un accord gagnant-gagnant, qui ne mettra en danger ni la ressource ni la profession. Contrairement à celui de 1999, il ne s’agit pas d’un simple accord d’exploitation. Pour la première fois, il prend en compte la mise à niveau du secteur de la pêche et la sauvegarde de la ressource. La compensation de 163 millions d’euros sur quatre ans ne servira pas à renflouer les caisses de l’État, mais à moderniser notre flotte.
Quant au nombre de bateaux autorisés à venir dans nos eaux, il est quatre fois inférieur à celui de 1999. Ils sont aujourd’hui 119, artisanaux pour la plupart, contre 440 auparavant. Enfin, je tiens à souligner que toutes les zones de pêche sensibles, comme la Méditerranée, et que toutes les espèces menacées ont été écartées.
En définitive, que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’exploiter inconsciemment les richesses naturelles du pays ?
Je leur dis simplement que l’agriculture et la pêche sont des secteurs où l’on ne peut pas voir les réformes porter leurs fruits au bout de six mois. Une usine peut être rénovée rapidement, mais l’agriculture demande du temps.

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