Le monde selon Mbeki

Zimbabwe, violence, ANC… Dans un entretien accordé au Financial Times, le chef de l’État s’exprime sur les crises qui secouent son pays et sa région.

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Le président sud-africain Thabo Mbeki est dans l’il du cyclone. Le Zimbabwe s’enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos. Toutes les semaines, des centaines de réfugiés traversent le fleuve Limpopo pour échapper à l’hyperinflation (1 700 %) et au régime répressif de Robert Mugabe.
La situation catastrophique de son voisin ne semble pourtant pas ébranler le successeur de Nelson Mandela. Fils d’un des leaders du Congrès national africain (ANC), Mbeki reste persuadé du bien-fondé de la discrétion et de la négociation dans la résolution des problèmes du monde. Notamment avec le Zimbabwe.
Pour lui, la solution de la crise réside donc dans la tenue d’élections libres en mars prochain. Fort d’un nouveau mandat de médiateur que lui ont accordé ses pairs d’Afrique australe, il concentre ses efforts sur l’obtention d’un compromis entre la Zanu-PF au pouvoir et le Movement for Democratic Change (MDC, principal mouvement d’opposition). « Jamais nous ne favoriserons un changement de régime, explique-t-il. Quoi qu’en pense le reste du monde, ce n’est, pour nous, même pas envisageable. »
Depuis 2000, Mbeki privilégie ce genre d’approche. Mais, cette fois-ci, argue-t-il, la démarche est régionale et pas uniquement sud-africaine. L’homme fort de Pretoria se considère moins comme un Teddy Roosevelt moderne que comme un « bon pasteur » qui prônerait le dialogue plutôt que le maniement du bâton. « De toute façon, nous n’avons pas de bâton », avoue-t-il en aparté. Les sanctions économiques sont donc exclues et ne feraient qu’aggraver la situation au Zimbabwe. Mbeki ne mentionne que rarement son homologue par son nom. Pas plus qu’il n’évoque les dures conditions de vie des Zimbabwéens. En revanche, si Mugabe venait à faire échouer encore une fois une tentative de compromis, il n’exclut pas un durcissement de la diplomatie sud-africaine.
Lorsqu’on lui demande s’il pense que le président Mugabe, 83 ans dont vingt-sept passés au pouvoir, pourrait se retirer tranquillement, il répond : « Je crois que oui. Le président Mugabe et les leaders de la Zanu-PF pensent qu’ils dirigent un pays démocratique. Il existe une opposition élue à la tête de grandes villes comme Harare ou Bulawayo. Vous pouvez remettre en question la réelle transparence des élections Mais c’est à nous justement de les aider à organiser des élections libres et justes. »
La Zanu-PF n’est pas le seul parti de libération qui fait aujourd’hui l’objet d’une guerre de succession. Au sein de l’ANC aussi, on bataille ferme au sujet de l’identité et des idées de son prochain dirigeant. En décembre, le parti devra élire un nouveau président, et désigner son candidat à la présidentielle de 2009. Pour les opérateurs économiques et pour la base du parti, c’est un moment crucial. Mbeki ne peut pas se représenter à la présidence de la République, mais peut briguer un autre mandat à la tête du parti, ce qui lui permettrait de tirer encore les ficelles du pouvoir.
Alors que certains membres de l’ANC prétendent que leur leader a déjà pris la décision de se présenter, l’intéressé reconnaît seulement laisser toutes les portes ouvertes. « Quoi qu’il arrive à la conférence de l’ANC en décembre prochain, puis lors de l’élection de 2009, je suis presque sûr que le parti conservera ses valeurs fondamentales et sa ligne de conduite. »
Il aurait tort de ne pas le faire. L’Afrique du Sud se porte plutôt bien, même si son président avoue que le taux de chômage élevé constitue un frein à son développement. « Notre pays n’est pas l’Inde ni la Chine ou le Brésil. Mais nous devons les rattraper. » Aucun Sud-Africain n’osera le contredire sur ce point
Une bonne partie de ses compatriotes s’est en revanche offusquée de ses déclarations de janvier dernier, lorsqu’il a prétendu que la criminalité était désormais contrôlée. Dans un des pays où la violence est l’une des plus élevées au monde, les propos du président ont ravivé les critiques de ses détracteurs qui l’accusent de faire la sourde oreille aux problèmes cruciaux du pays. Pis, en mars, il a expliqué que la peur ressentie par les Blancs était nourrie du racisme qu’ils éprouvent encore vis-à-vis des Noirs. Beaucoup y ont vu alors une « reracialisation » de la politique. Malgré l’impopularité d’un tel discours, le président persiste : « L’apartheid a entretenu chez les Blancs la peur qu’un jour ils seraient dévorés par les Noirs. Certaines idées véhiculées aujourd’hui sur la criminalité sont encore guidées par ce sentiment. »
La polémique est en passe de devenir aussi importante que celle déclenchée en 2000 sur sa gestion du sida. Sur cette question, Mbeki choisit ses mots, répète qu’il n’est pas dans le déni, qu’il a été mal compris et qu’il souhaitait seulement favoriser une approche plus globale des traitements contre le VIH.
Le chef de l’État est cependant beaucoup plus à son aise quand il aborde les grandes questions internationales. S’il encourage par exemple l’engagement de la Chine en Afrique, il n’hésite pas à avertir du risque éventuel d’une nouvelle relation coloniale. Mais ces derniers mois, l’Afrique du Sud a plusieurs fois irrité ses partenaires. Mbeki croit à un monde multipolaire où il est impossible de résoudre les problèmes indépendamment les uns des autres. Selon lui, les ambitions nucléaires de Téhéran ne peuvent être séparées du rôle de l’Iran en Irak et du conflit au Moyen-Orient.

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