Le casse-tête Bemba

Le retour au pays de l’ex-chef rebelle fait débat au sein du camp présidentiel.

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Le 11 avril au soir, quand il est arrivé avec sa femme et leurs cinq enfants dans sa belle villa de Quinta do Lago, près de Faro sur la côte portugaise, Jean-Pierre Bemba a eu un petit moment de découragement. « La maison n’est pas chauffée et la télé est en panne », a-t-il grogné au téléphone auprès de l’un de ses proches. Puis Bemba le politique s’est vite ressaisi. « J’espère rentrer au Congo pour tenir le rôle que tout opposant doit jouer en démocratie », a-t-il déclaré. Le Sénat lui a donné une autorisation de sortie de soixante jours. Théoriquement, s’il ne veut pas perdre son siège de sénateur, il doit donc rentrer avant le 10 juin. Le temps de soigner une vieille fracture du tibia de la jambe gauche. Trois heures d’opération le 19 décembre dernier dans un hôpital de Lisbonne. Et aujourd’hui, séances de musculation et de flexion de la jambe tous les jours jusqu’en juin
« J’espère », dit-il. Bemba est donc lucide. Il sait que les « durs » de l’entourage du président Kabila vont tout faire pour l’empêcher de rentrer. Dès le jour de son départ, le procureur général de Kinshasa a demandé la levée de son immunité parlementaire. Motif : l’ancien vice-président serait « l’auteur intellectuel » des violents affrontements armés qui ont causé la mort de plus de deux cents personnes les 22 et 23 mars dernier à Kinshasa. « C’est complètement faux, réplique l’intéressé. Le 22 mars à 11 heures, quand les tirs ont commencé autour de ma résidence, mes enfants étaient à l’école belge de Kinshasa. Est-ce que je les aurais envoyés à l’école si j’avais prémédité une opération militaire ? » Le scénario semble déjà écrit : Bemba condamné, puis interdit de candidature à la présidentielle de 2011. Mais l’opposant a l’intention de se battre. Il faut un vote des deux tiers du Sénat pour lever son immunité. Or l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP) ne compte que 58 sièges sur 108. Et beaucoup de sénateurs pro-Kabila restent indécis. « Je ne sais pas encore ce que je vais faire, confie l’un d’eux. Cela dépend de Bemba. Il faudrait qu’il arrête d’insulter Kabila et de remettre en cause sa légitimité à tout bout de champ. »
Jean-Pierre Bemba est-il tenté par un retour au maquis ? Apparemment, non. « En 1998, quand on a pris les armes, il y avait un consensus international contre le régime de Kabila père, dit un de ses proches. Aujourd’hui, Kabila fils est assez bien vu. » Bemba lui-même lit Clausewitz et aime à dire : « La guerre est le dernier moyen quand toutes les solutions politiques ont été épuisées. » Aujourd’hui, l’ancien vice-président se bat donc sur le terrain parlementaire. Depuis le 13 avril, cent vingt-cinq députés de l’opposition boycottent les travaux de l’Assemblée. Ils ne supportent plus que la garde présidentielle vienne piller leurs domiciles sous prétexte de « perquisitions ». Bemba est en contact permanent avec eux par téléphone. Il espère bien qu’ils ne retourneront pas dans l’Hémicycle tant que son cas ne sera pas réglé. Mais comme tous les grévistes, les députés boycotteurs risquent de perdre leur salaire : 1 300 dollars par mois. L’opposant aura-t-il les moyens de leur verser une compensation ?
« En fait, la seule force de Bemba, c’est la diplomatie », dit une autre figure de l’opposition congolaise. De fait, l’homme qui a obtenu 42 % des suffrages à la présidentielle du 29 octobre a quelques sérieux appuis à l’étranger. « On n’aide pas le Congo en étant complaisant », a lancé le ministre belge des Affaires étrangères, Karel de Gucht, le 12 avril, à Kinshasa, à ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir choisi clairement le camp Kabila. « Comme nous avons financé les élections, il est normal que nous ayons un droit de regard sur la suite », affirme l’ambassadeur britannique à Kinshasa. En clair, les Occidentaux ne veulent pas que le régime congolais glisse vers une dictature. Pour eux, Bemba est le contrepoids nécessaire. Il doit donc rentrer.
Retour ? Pas retour ? Au Palais, le débat fait rage. Les uns disent : « Il faut se débarrasser de Bemba. » Les autres : « Attention. On va en faire un martyr. » Les conseillers à la présidence, Samba Kaputo et Katumba Mwanke, passent pour des « durs ». Et le président de l’Assemblée, Vital Kamerhe, pour un « modéré ». Mais les lignes bougent. Commentaire d’un opposant : « Kabila joue mal. Si ses militaires avaient arrêté de harceler l’opposition après le départ de Bemba, celui-ci aurait été vite oublié. Maintenant, c’est le contraire qui se produit. Les gens commencent à regretter l’époque où la milice de Bemba faisait contrepoids à la garde présidentielle ! »

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