La solution M6

Le Maroc a déposé le 16 avril aux Nations unies son nouveau projet de définition du statut de la région. Le plan d’autonomie présenté connaîtra-t-il un meilleur sort que les propositions précédentes ?

Publié le 23 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Il est un point, un seul, sur lequel le Maroc, l’Algérie et le Front Polisario s’accordent en ce mois d’avril, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU se saisit à nouveau de l’inextricable dossier saharien : face à la menace terroriste, le Maghreb n’a vraiment pas besoin de ce conflit-là, aussi énergivore que paralysant. Pour le reste, l’océan des divergences est aussi vaste que le Sahara, à commencer par l’analyse des interactions entre cette querelle trentenaire et les risques qu’al-Qaïda fait peser sur la région.

Vu de Rabat, la persistance du conflit empêche toute coopération antiterroriste efficace entre les services de sécurité des deux voisins. Vu d’Alger et de Tindouf, où l’on oublie volontiers que ce n’est pas tant le déploiement de son armée sur le mur de défense que le développement du territoire qui coûte cher au Maroc, le poids financier du conflit pour le royaume serait tel qu’il générerait une misère urbaine, elle-même productrice d’islamisme radical.
Ces cinq dernières années se sont soldées par une sorte de match nul entre les deux parties. Le Maroc a accepté le plan Baker 1 de règlement du conflit saharien [un accord-cadre d’autonomie sans référence au référendum d’autodétermination, NDLR], plan refusé par l’Algérie et le Polisario, lesquels ont accueilli avec faveur le plan Baker 2 [une fois le corps électoral sahraoui identifié, il prévoyait une période d’autonomie de cinq ans suivie cette fois par la tenue d’un référendum, NDLR], écarté par le Maroc. Entre ces deux initiatives, une proposition officieuse algérienne de partition du territoire a fait long feu devant les réticences conjointes de Rabat, de l’ONU et des Sahraouis indépendantistes de Tindouf. Il fallait donc bouger, donner l’impression du changement. C’est ce qu’a fait en premier lieu le Maroc en déposant le 16 avril à New York une « Initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara ».

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Concoctée depuis la mise en place, il y a un an, du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas), cette proposition prévoit la création d’une « Région autonome du Sahara » – du type Catalogne ou Québec – dans laquelle l’État marocain ne conserverait que le drapeau, la monnaie, la Défense et les Relations extérieures, tout le reste étant du ressort de cette nouvelle entité. Une très large autonomie donc, avec à sa tête des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire endogènes et indépendants. Composé pour moitié d’élus au suffrage universel et pour moitié d’élus sur une base tribale – l’objectif étant d’assurer aux Sahraouis les trois quarts des sièges, une sorte de discrimination positive à la marocaine -, le Parlement de Région élirait un chef de gouvernement, lequel nommerait à son tour ministres et administrateurs. Champ de compétences : tout, sauf les attributs de la souveraineté suprême du royaume. Autant dire qu’il est vaste : police, administration, budget, fiscalité, infrastructures, habitat, éducation, santé, économie et plus spécifiquement revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles du territoire, etc.

« Initiative pour la négociation » précise l’intitulé du plan marocain, qui se présente comme une offre ouverte, modulable, soumise à un accord politique préalable entre les parties. Une fois cet accord trouvé, les populations concernées seront consultées par référendum – histoire de se conformer au schéma de règlement classique de l’ONU -, puis la Constitution marocaine sera révisée, afin d’y incorporer ce statut spécifique d’autonomie. Réalisé auprès des Sahraouis vivant sur le territoire ou en exil (Algérie, Mauritanie, Mali, Espagne…), ce référendum sera donc symbolique et confirmatif, puisqu’il devra sanctionner un accord politique conclu entre le Maroc, le Polisario et l’Algérie. « Un accord gagnant-gagnant », selon les mots du ministre marocain délégué aux Affaires étrangères Taïeb Fassi-Fihri. Pour bien démontrer sa volonté de tourner la page, la partie marocaine prévoit de décréter une amnistie générale pour les dirigeants du Polisario et s’engage à faciliter au maximum le rapatriement et la réinsertion des Sahraouis réfugiés depuis plus de trente ans dans les camps de la Hamada de Tindouf.

Au moment où le Maroc remettait son initiative au secrétaire général de l’ONU, le Polisario déposait la sienne, via son représentant à New York. Intitulé « Proposition du Front Polisario pour une solution politique mutuellement acceptable assurant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental », ce document de quatre pages n’a rien de particulièrement novateur. Pour une raison simple : le Polisario n’a jamais varié dans ses options et se contente de renvoyer au plan Baker 2, qui prévoit l’organisation d’un référendum à trois options : indépendance, intégration au Maroc ou autonomie. Concession indispensable : le Front offre quelques garanties de bon voisinage au Maroc dans l’hypothèse – qui est pour lui une certitude – d’une indépendance du territoire. « Mise en valeur et exploitation en commun des ressources naturelles existantes », octroi de la nationalité sahraouie « à tout citoyen marocain légalement établi sur le territoire » depuis dix ans ou plus, « arrangements sécuritaires » (sans autre précision) avec le royaume. Plus cette concession – qui fait sourire à Rabat, où l’on fait le compte de l’argent investi en trente ans dans le développement, à partir de zéro, de la région -, l’équivalent de 2 milliards d’euros : « renonciation à toute compensation pour les destructions matérielles qui ont eu lieu depuis le début du conflit du Sahara occidental ».
Pour que son propre projet d’autonomie interne s’impose, le Maroc compte un peu sur la lassitude des membres du Conseil de sécurité, beaucoup sur l’appui de pays clés comme la France, la Chine et les États-Unis, ainsi que sur la bienveillance à son égard de l’Espagne, mais surtout sur sa propre image. L’initiative marocaine s’inscrit en effet dans un double contexte : une ouverture démocratique globale du royaume et la volonté de ne plus considérer les Sahraouis comme une population de seconde zone à assimiler. Le Maroc reconnaît que la « récupération » du Sahara occidental lui a apporté un changement de dimension géopolitique majeur, ainsi qu’une unité renforcée autour de la monarchie. En échange, le statut accordé à la « Région autonome du Sahara » sera totalement spécifique, sans crainte d’un effet de contagion déstabilisateur pour le reste du royaume.

De son côté, le Polisario mise à la fois sur le départ, immédiat ou à terme, de chefs d’État considérés comme favorables au Maroc – Jacques Chirac et George Bush – ainsi que sur le changement de secrétaire général de l’ONU. Ban Ki-moon, en effet, ne semble pas se situer tout à fait, pour l’instant, sur la même longueur d’onde que Kofi Annan, lequel avait fini par se rapprocher des thèses marocaines. Autant les indépendantistes avaient crié au « complot » lors de la publication, en avril 2006, du rapport sur le Sahara signé par le Ghanéen, autant ils jugent « équilibré » celui que le Sud-Coréen vient de remettre au Conseil de sécurité, lequel met à nouveau en exergue le référendum d’autodétermination et les négociations bilatérales. S’oriente-t-on vers un nouveau match nul et la prolongation de cette « impasse illimitée » dénoncée en son temps par Kofi Annan ? Sans doute. Après avoir examiné les deux propositions au cours de la dernière semaine d’avril, il y a fort à parier que le Conseil de sécurité va se contenter d’en prendre note et de renouveler le mandat de la Minurso. Le coût de cette petite opération de maintien de la paix (moins de deux cents hommes), en cours depuis seize ans, est en effet jugé supportable (4 millions de dollars par an), infiniment plus supportable dans tous les cas qu’un conflit ouvert entre le Maroc et l’Algérie.

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Car c’est bien de cela qu’il s’agit, au-delà de cette réalité virtuelle qu’est la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et son parti unique, le Front Polisario. Tant que les relations entre le Maroc et l’Algérie seront ce qu’elles sont depuis près d’un demi-siècle -entre le mauvais et l’exécrable -, le conflit du Sahara, qui est l’une des conséquences et non pas la cause de cette mésentente, ne connaîtra pas de solution. Le Polisario dans les camps de toile de son refuge algérien et le Maroc poursuivant à son rythme le processus unilatéral d’autonomie, perçu de plus en plus comme la seule solution viable sans que pour autant la communauté internationale n’ose la valider officiellement – ne serait-ce que parce qu’elle ne se conforme pas aux schémas prêt-à-porter d’une décolonisation classique : tel est, à grands traits, l’avenir prévisible de ce dossier. L’Union du Maghreb arabe n’est pas prête de sortir des limbes…

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