Faut-il croire à la paix ?
Le démantèlement de la « zone de confiance » semble mettre un point final à la crise. Mais, dans le camp présidentiel comme dans l’entourage du Premier ministre, la méfiance reste de mise.
Le président Laurent Gbagbo a voulu donner toute la solennité d’un moment historique à l’événement. Le lancement, à Tiébissou, dans le centre de la Côte d’Ivoire, du démantèlement de la « zone de confiance » (ZDC) – une bande de 12 000 km2 séparant le nord du sud du pays depuis 2002 – avait toutes les allures d’une grande fête. Ce 16 avril, le chef de l’État – qui ne s’y était pas rendu depuis l’annexion du nord du pays par la rébellion des Forces nouvelles (FN) il y a cinq ans -, son nouveau Premier ministre, Guillaume Soro, le gotha politico-administratif du pays, mais aussi les diplomates étrangers accrédités à Abidjan et les riverains de la ZDC ont célébré ensemble la paix retrouvée. Symboliquement, tout ce beau monde a assisté au démontage d’un check-point des Forces impartiales par un bulldozer siglé Onuci (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire). L’engin a détruit la guérite en bois du poste de contrôle, avant d’évacuer les blocs de béton et les barbelés qui l’entouraient. « La guerre s’en va, la paix est arrivée ! » scandait en chur l’assistance.
Gbagbo et Soro se sont ensuite rendus à N’Gattadolikro, à 20 km de Tiébissou, pour prendre contact avec la brigade mixte composée d’éléments des forces loyalistes et de l’ex-rébellion chargés de remplacer les forces internationales d’interposition. « Aujourd’hui est un grand jour pour la Côte d’Ivoire. La guerre est finie, mes chers compatriotes ! » se félicitait quelques heures plus tôt le chef de l’État, lors de l’inauguration, à Yamoussoukro, du Centre de commandement intégré (CCI), une structure paritaire formée par les états-majors des deux ex-belligérants et chargée à terme d’unifier les deux armées, loyaliste et rebelle.
Sur les bords de la lagune Ebrié, l’heure est donc à l’espoir. Depuis qu’une tentative de coup d’État a dégénéré en rébellion armée, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le pays d’Houphouët n’a jamais été aussi proche d’un retour total à la paix. La signature, le 4 mars à Ouagadougou, d’un accord couronnant le « dialogue direct » entre le pouvoir d’Abidjan et les insurgés a donné un véritable coup d’accélérateur au processus de sortie de crise englué dans des atermoiements politiciens depuis l’accord de Marcoussis de janvier 2003. En l’espace d’un mois, le chef des FN, Guillaume Soro, a été nommé Premier ministre et un nouveau gouvernement composé d’anciens rebelles et de fidèles au président Gbagbo a vu le jour.
Le président burkinabè Blaise Compaoré, maître d’uvre de l’accord de Ouagadougou, veille au grain, entretient un contact permanent avec Gbagbo et Soro, et croit dur comme fer que le processus est irréversible. « Toutes les conditions psychologiques du retour à la paix sont aujourd’hui réunies, a-t-il récemment confié à l’un de ses visiteurs. Les deux protagonistes de la crise éprouvent une certaine lassitude. Fatigué d’être le chef d’un État en crise permanente, le président Gbagbo ne veut plus de cette situation de guerre. Guillaume Soro n’en peut plus de gérer une rébellion qui, avec le temps, pose des problèmes de plus en plus complexes. »
La dynamique de paix bénéficie, en outre, d’un autre avantage de taille : le soutien de Thabo Mbeki. Le président sud-africain, qui a préparé en coulisse les négociations de Ouaga, souhaite en effet voir Laurent Gbagbo légitimé par les urnes dans une Côte d’Ivoire apaisée. Dans cette perspective, il l’a convaincu d’uvrer à la tenue d’élections qu’il a, selon lui, de grandes chances de gagner.
Quant à Guillaume Soro, soucieux d’entrer dans l’Histoire, il ne cesse de marteler à ses interlocuteurs : « J’avais pris les armes pour la démocratie. Aujourd’hui, j’entends bien accomplir ma mission : organiser les premières élections transparentes depuis les législatives de 1957 qui ont donné naissance à l’Assemblée territoriale, trois ans avant l’indépendance. » Des inquiétudes demeurent cependant
La réunification, symbolique, a elle-même toutes les allures d’une paix armée. Les forces impartiales qui surveillaient la ZDC ont cédé la place à six brigades mixtes (composées chacune de 10 hommes de l’armée loyaliste, 10 ex-rebelles et 4 éléments des forces internationales).
Le contingent français Licorne devrait passer de 3 500 à moins de 3 000 hommes. Mais son retrait définitif n’est pas encore à l’ordre du jour. « Les missions de la Licorne ne sont pas remises en cause, et celle-ci est toujours en mesure de les remplir », a réagi Jean-Baptiste Mattéi, porte-parole du ministère français de la Défense. En clair, Paris entend maintenir une présence militaire dans le pays jusqu’à la tenue d’élections transparentes, point final du processus.
La France n’est pas la seule à nourrir quelque suspicion. Des proches de Laurent Gbagbo soupçonnent Soro de vouloir profiter de la suppression de la ZDC pour infiltrer hommes et armes à Abidjan avant un éventuel assaut sur le palais. De son côté, l’entourage du chef de l’ex-rébellion accuse mezza voce le président d’avoir recruté des mercenaires angolais pour l’éliminer. Si les rapports entre le chef de l’État et le Premier ministre sont empreints de respect, la méfiance reste de mise. Ni l’un ni l’autre ne voudraient apparaître comme un « traître » dans son propre camp.
Mais les obstacles ne sont pas que psychologiques. Le retour à la paix dépend surtout de la conduite – délicate – du désarmement et de l’identification de la population en vue des élections. Chargé de piloter ces dossiers, Guillaume Soro a écrit à Gbagbo pour obtenir les pouvoirs nécessaires. De source sûre, les deux hommes s’étaient accordés lors de leur huis clos de Ouagadougou sur le contenu d’un décret de délégation des pouvoirs. Ils auraient également trouvé un consensus sur la répartition des rôles, aux termes duquel Soro gère le CCI, organise la fusion des deux forces belligérantes, pilote la réforme de l’armée, prépare la loi de programmation militaire… Et participe à la prise de toutes les décisions afférentes à la sortie de crise. C’est dans le cadre de la mise en uvre de ce gentlemen’s agreement que l’ordonnance portant amnistie et le décret du 16 mars créant le CCI ont fait plusieurs va-et-vient entre Gbagbo et Soro et subi des amendements de part et d’autre avant d’être finalement signés par le chef de l’État. Les deux protagonistes ont prouvé qu’ils pouvaient s’entendre. En sera-t-il toujours ainsi ?
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