[Tribune] La révolution énergétique est déjà en marche
Énergies renouvelables et technologies disruptives, Rolake Akinkugbe-Filani, responsable de l’énergie et des ressources naturelles chez FBNQuest Merchant Bank (Nigeria), propose avec optimisme des solutions pour rendre l’Afrique plus résiliente sur le plan énergétique, en dépit de forts contrastes sur le plan des infrastructures.
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Rolake Akinkugbe-Filani
Experte des secteurs de l’énergie et de la finance, spécialiste de l’Afrique subsaharienne et des marchés émergents.
Publié le 21 août 2019 Lecture : 5 minutes.
Il est entendu que les hydrocarbures ne peuvent répondre à eux seuls à la demande croissante d’énergie en Afrique. Les énergies renouvelables, le gaz naturel et, finalement, l’essor des véhicules électriques (VE) dans le secteur des transports sont, doucement mais sûrement, en train de révolutionner le secteur de la production électrique.
Étonnant quand on pense que le continent n’a pas encore trouvé le moyen de répondre efficacement à la demande de combustibles fossiles (essence et diesel), que ce soit pour le transport local ou pour répondre aux besoins domestiques en matière d’électricité.
Réorganisation des systèmes énergétiques
Mais malgré leurs déficiences, les marchés progressent. En Afrique, les énergies renouvelables représentent déjà 20 % de la capacité installée et, selon un rapport de la compagnie pétrolière BP, elles deviendront d’ici à 2040 la principale source de production d’électricité dans le monde. Pendant ce temps, le marché mondial des VE et du stockage est en nette augmentation (plus de 2 millions de véhicules vendus en 2018), et, bien que l’Afrique n’en représente encore qu’une fraction, le continent connaît une transition énergétique qui ne peut être ignorée.
Le départ annoncé, en juillet, de Harald Kruger de son poste de PDG de BMW, après vingt-sept ans de bons et loyaux services au sein de l’entreprise, avait largement été imputé à l’incapacité de la firme allemande à réagir à l’augmentation des VE haut de gamme fabriquées par l’américain Tesla. C’est un exemple classique de ce qui se passe lorsque les opérateurs historiques restent myopes.
Avec les technologies dites « disruptives », les signes avant-coureurs sont toujours les mêmes : évolution des préférences des consommateurs, industries en situation oligopolistique (qui étouffent l’innovation pour préserver le statu quo et sont donc prises de court par les nouveaux venus), alternatives efficaces et moins chères…
Sources de combustibles multiples
La conjonction de ces facteurs pourrait occasionner une réorganisation des systèmes énergétiques en place en Afrique, le gaz, les énergies renouvelables et les transports étant au cœur de ces systèmes. Si l’on additionne tous les déficits des opérateurs de services publics africains – estimés à 21 milliards de dollars par an –, on se rend compte rapidement de l’énorme quantité de pertes qu’implique le maintien d’un système qui s’appuie sur le réseau central et les combustibles fossiles.
De multiples sources de combustibles peuvent coexister en Afrique. Après tout, les technologies qui utilisent des sources d’énergie alternatives et plus propres n’ont pas évolué au même rythme dans tous les pays africains, et les infrastructures censées les soutenir ne se développent que lentement. Tel est le cas des carburants de transition comme le gaz. Le gaz naturel comprimé (GNC) est une technologie de transport qui existe depuis des décennies et qui devrait constituer un substitut naturel pour de nombreuses communautés rurales d’Afrique peu susceptibles de consommer un jour du gaz acheminé par gazoduc, en raison des coûts d’investissement énormes que celui-ci représente.
Mais les défis posés par l’acheminement par camions du GNC ont également limité sa consommation. Certains signes encourageants indiquent cependant une augmentation de son utilisation dans les transports. En janvier, deux fonds égyptiens ont signé un accord pour convertir des milliers de voitures à moteur diesel au GNC, dans le cadre d’une initiative gouvernementale visant à augmenter la consommation locale de gaz et à encourager celle de carburants à faible teneur en carbone. L’Afrique ne compte aujourd’hui qu’environ 260 000 véhicules fonctionnant au gaz naturel (GNV) en service, avec seulement 200 stations les desservant.
Toutefois, les déficiences du marché et les défis en matière d’infrastructure sont à la base même des tendances disruptives et des sauts technologiques (leapfrog) susceptibles de rendre d’autres sources d’énergie rentables. Ces éléments ont été l’un des principaux moteurs de la révolution de la téléphonie mobile en Afrique. Les VE, par exemple, pourraient bien devenir plus populaires que les GNV, voire les dépasser, dans certains pays africains, étant donné les défis posés par ces derniers.
Si les préférences des consommateurs d’énergie en Afrique n’ont pas radicalement changé ces dernières années, ceux-ci sont de plus en plus sensibles aux coûts et, dans de nombreux cas, à l’écologie. L’innovation et la nécessité forceront un changement des préférences et des choix, comme le montre l’essor des technologies hors réseau.
Des prix de plus en plus abordables ?
En quelques années, le marché de l’éclairage solaire domestique, de la recharge des téléphones et des appareils ménagers de base a connu une croissance rapide dans les pays en développement, avec plus de 24 millions d’unités vendues. La possibilité pour les clients de ces réseaux décentralisés de payer de petits montants pour des appareils au cours d’une période donnée constitue implicitement une révolution.
Cela a contribué à l’essor de compagnies utilisant le système pay-as-you-go (paiement au fur et à mesure), telles que M-Kopa, Off-Grid Electric, Bboxx ou Arnergy. Ensemble, elles ont levé plus de 360 millions de dollars et servent environ 700 000 clients, ce qui ne représente encore qu’une petite fraction du marché potentiel sur le continent.
Les énergies renouvelables, telles que l’énergie solaire photovoltaïque, devraient dépasser le charbon comme principale source de production d’électricité en Afrique d’ici à 2030
Le coût reste un facteur dissuasif à terme pour certains modes de consommation d’énergie dans les transports. Au Kenya, des recherches récentes ont montré que les usagers consacrent jusqu’à 30 % de leurs revenus au transport en raison du coût élevé du carburant. Sur le continent, en moyenne, les subventions s’élèvent à environ 1,4 % du PIB.
Avec des taux de croissance d’urbanisation de 4 % par an et une augmentation correspondante de la flotte de véhicules, les décideurs politiques africains devraient considérer comme inéluctable un passage progressif à des systèmes de transport à faibles émissions de CO2. Les VE deviendront moins chers à mesure que le prix des batteries reculera, tandis que le renforcement de la réglementation sur les émissions contribuera à façonner les nouvelles technologies de transport et à améliorer la qualité de l’air.
Les énergies renouvelables, telles que l’énergie solaire photovoltaïque, devraient dépasser le charbon comme principale source de production d’électricité en Afrique d’ici à 2030 grâce à la baisse de plus de 50 % du coût des panneaux solaires au cours de la dernière décennie.
Il demeure bien sûr des limites au rythme de la disruption de l’énergie en Afrique. Pas moins de 40 % des communautés qui utilisent l’énergie solaire dépendent encore des hydrocarbures comme énergie de secours, du fait de l’intermittence inhérente au solaire. En outre, les nouvelles découvertes d’hydrocarbures sur le continent impliquent que les gouvernements ne peuvent complètement abandonner les sources d’énergie existantes : les réserves prouvées de pétrole s’élèvent aujourd’hui à 125 milliards de barils et celles de gaz à 87 700 milliards de pieds cubes.
Une priorité à court terme devrait être de savoir comment exploiter ces ressources de manière durable et utiliser le fruit de leur production pour bâtir des économies inclusives et durables qui prospèrent grâce à un mix énergétique équilibré et plus propre.
Publié initialement dans The Africa Report
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