« Faites ce que je dis »
Nous accordons de l’importance et consacrons de la place dans ce numéro de Jeune Afrique à « l’affaire Wolfowitz-Riza », car elle illustre, à nos yeux, ce que tente de nous imposer la bande de « néocons » qui a pris le pouvoir à Washington au début de 2001.
En prélude aux informations, analyses et commentaires que vous pourrez lire en pp. 20-27, je voudrais vous soumettre mon sentiment sur cette ténébreuse affaire.
Paul Wolfowitz est donc cet ancien numéro deux du Pentagone devenu célèbre depuis que le monde a appris qu’il a été l’architecte de la coûteuse et désastreuse invasion de l’Irak par les États-Unis.
Pour le récompenser de ses « bons et loyaux services », le président George W. Bush lui a offert, en mars 2005, la présidence de la Banque mondiale* sans tenir le moindre compte des réticences – le mot est faible – des 183 autres pays actionnaires de cette institution : quatre membres permanents du Conseil de sécurité (France, Royaume-Uni, Chine et Russie), de très grands pays comme l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, et plus de 150 autres pays moins importants d’Europe, d’Asie et d’Afrique.
« Ce sera lui et pas un autre, que cela vous plaise ou non », a dit en somme George W. Bush au monde entier.
En août de la même année, il récidivera en nommant l’inénarrable John Bolton ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, tout en sachant qu’il heurtait ainsi, outre son propre Congrès, tous les membres de l’Organisation.
Paul Wolfowitz, qui est un intellectuel de bon niveau, aurait pu, certains l’espéraient, chercher à gommer son parrainage (et son passé) pour les faire oublier et se faire accepter par l’institution où il se trouvait « parachuté ». Il lui aurait suffi de faire montre de modestie – et de respect pour les structures, les hommes et les femmes qu’il allait diriger.
Au lieu de cela, et comme s’il lui était impossible de se départir des mauvaises habitudes prises, il est entré dans la Banque comme le célèbre éléphant dans le magasin de porcelaine et comme les armées américaines en Irak : il a cassé les structures, en a chassé beaucoup de ceux et celles qui les faisaient fonctionner, les a remplacés par des « cow-boys » américains – hommes ou femmes, surpayés, inexpérimentés et investis de pouvoirs exorbitants.
Les mêmes méthodes menant aux mêmes résultats, il a suscité à la Banque ce qu’il avait provoqué en Irak : la révolte.
La direction et le personnel de cette institution soixantenaire, dotée par conséquent d’une tradition et d’une culture maison, se sont insurgés, ont cherché les points faibles de l’intrus et n’ont eu aucun mal à en trouver plus d’un.
Telle est la genèse de l’affaire Wolfowitz-Riza dont nous vous décrivons plus loin les tenants et les aboutissants.
Que faire pour contrer un Bush, un Cheney, qui croient encore pouvoir nous imposer une « philosophie » d’un autre âge : « Faites ce que nous vous disons de faire. Quant à nous, nous faisons ce que nous voulons sans nous soucier ni des règles, ni de la morale, ni de vos sensibilités » ?
Nous ne pouvons que les subir jusqu’à leur départ, qui n’est plus très éloigné. Et d’ici là, aider leurs mandants américains à les neutraliser, autant que faire se peut
Mais le cas Wolfowitz tel qu’il est posé depuis qu’a éclaté son affaire doit, lui, être traité à part : que faire avec la Banque mondiale si Wolfowitz refuse de démissionner et si George W. Bush s’obstine à l’imposer ?
Il faut à mon avis refuser de collaborer avec lui, maintenir l’exigence de son départ jusqu’à ce qu’il se réalise.
Sur décision de Bush lui-même, d’ici à son propre départ de la Maison Blanche dans dix-huit mois, ou bien, à défaut, de son successeur, dès sa prise de fonctions.
Nous avons peu à perdre, car voici ce que dit de la Banque l’économiste Jeffrey Sachs, qui en est bon connaisseur : « La campagne anticorruption de la Banque mondiale [initiée par Wolfowitz] a fait le contraire de ce qu’elle aurait dû faire : il faut combattre la corruption par des systèmes de management astucieux et des programmes habilement conçus, pas par une campagne à distance.
La Banque n’intervient pas dans des secteurs essentiels où elle pourrait beaucoup améliorer les choses : la lutte contre les maladies, la réforme de l’agriculture, les investissements dans l’infrastructure et l’amélioration de l’éducation.
La Banque parle trop et n’agit pas assez. »
Bush, Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz (et leurs compères) n’étant pas des imbéciles, on se doit de chercher la bonne réponse à la question qu’on ne peut pas éluder : pourquoi se comportent-ils, presque tout le temps, de façon aussi bête et contre-productive ?
Depuis qu’ils ont rassemblé entre leurs mains les énormes moyens politiques, militaires et financiers des États-Unis, ils ont en effet constamment privilégié l’usage brutal de la force et écarté le dialogue, la négociation et l’esprit de conciliation.
C’est assurément le fil conducteur de leur action et ce qui l’a caractérisée depuis 2001 : au Moyen-Orient en particulier, contre l’Irak d’abord, avec l’Iran ensuite, puis à l’ONU, à la Banque mondiale et sur les autres théâtres de confrontation, où ils se sont toujours complu à revêtir l’habit de va-t-en guerre et de jusqu’au-boutistes.
L’explication de cet étrange comportement est à rechercher dans la psychologie de ces personnages, je dirais même dans leur pathologie.
Il est bien connu des spécialistes des maladies mentales qu’il existe un type d’hommes et de femmes, assez répandu, hélas, qui ne voient en l’autre que son hostilité et la menace qu’il représente, et pensent que cet autre « ne respecte que la force ».
Ces hommes et ces femmes surestiment leur propre force, magnifient leurs atouts, font une fixation sur les mauvaises intentions de l’autre.
Discuter, faire des concessions leur est étranger. Ils vont plus aisément, et de préférence, vers l’affrontement, et ainsi très souvent au désastre.
Ils surévaluent en général leurs atouts et chances de gagner, sous-estiment les moyens et la détermination de leur adversaire.
Les psychologues appellent cette distance prise avec la réalité l’illusion de la maîtrise : ceux qui en sont atteints pensent avoir plus de contrôle sur les événements qu’ils n’en ont en réalité, et disposer d’assez de marge et de supériorité pour prévaloir.
L’illusion de la maîtrise conduit à un excès d’optimisme, à l’erreur d’appréciation : ses victimes croient à une victoire facile et rapide.
Beaucoup de généraux ou même de commandants en chef ont succombé à cette illusion et mené leurs armées et leurs pays à la défaite.
Les États-Unis en Irak et Israël au Liban, pour ne citer que les cas les plus récents, ont péché par excès d’optimisme et n’ont pas fini de payer les effets de leur illusion de la maîtrise.
Quant à Paul Wolfowitz – Alain Faujas décrit sa psychologie en pp. 22-23 -, il a dû penser en prenant les rênes de la Banque mondiale que ce front-là serait plus facile à maîtriser que l’irakien.
Tout laisse à penser qu’il s’est surestimé dans les deux cas et que son mal – l’illusion de la maîtrise – est chronique.
* L’usage établi réserve ce poste aux États-Unis, tandis que la direction générale du FMI est dévolue à un Européen.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?