Soudan : joie et amertume pour la première fête de l’Aïd Al-Adha sans Omar el-Bechir
Pour la première fête d’Al-Adha en 30 ans au Soudan sans le président Omar el-Bechir, destitué sous la pression de la rue, l’ambiance est joviale à Khartoum, même si le menu reste frugal en raison du marasme économique.
Le mouvement de contestation inédit déclenché en décembre a certes créé une occasion historique pour un pouvoir civil au Soudan après la destitution le 11 avril par l’armée du général Béchir sous la pression de la rue. Mais durant ces mois, les prix ont fortement grimpé, gâchant un peu la grande fête musulmane.
Dans les marchés de Khartoum, le prix d’un mouton, qui doit être sacrifié lors de l’Aïd Al-Adha selon la tradition, a doublé depuis l’année dernière.
« Vous pouviez trouver un mouton pour 3 500 » livres soudanaises (54 euros), déclare Mohamed Abdellahi, un fermier habitant Tuti, entre les villes jumelles de Khartoum et Omdourman, où le Nil bleu et le Nil blanc se rejoignent.
Cette année, il a dû payer 8 000 livres. « J’ai trois enfants et je devais apporter quelque chose pour la fête », dit l’homme de 43 ans aux cheveux grisonnants.
Néanmoins, dans le quartier de Bori à Khartoum, considéré comme l’un des berceaux de la contestation, un marché pour l’Aïd réputé pour ses bas prix connaît une affluence record.
« Il y a un manque de liquidités au Soudan en ce moment. Nous utilisons beaucoup les cartes de crédit pour faciliter la vie aux gens », déclare l’un des commerçants, Maki Amir.
Taxes
« Plusieurs personnes sont heureuses à cause de la révolution et de la paix qui a été conclue, c’est pour cela qu’ils veulent une réelle célébration de l’Aïd », ajoute-t-il.
L’économie du Soudan est exsangue depuis la sécession du Sud en 2011 et les derniers huit mois ont aggravé la situation.
Le mouvement de protestation a d’ailleurs été déclenché par le triplement du prix du pain, avant que les manifestations ne se transforment en contestation du pouvoir de Omar el-Bechir.
Des négociations entre le pouvoir militaire qui lui a succédé et les chefs de la contestation ont abouti à un accord qui ouvre la voie à une autorité civile réclamée par les manifestants et qui sera signé le 17 août.
Sur le marché aux bestiaux à ciel ouvert de Bori, les échanges entre vendeurs de moutons et acheteurs examinant les bêtes avec attention sont parfois tendus.
Certains clients accusent les commerçants de profiter de la situation politique pour augmenter leurs prix. Mais ces derniers rétorquent ne pas avoir le choix, reprochant au gouvernement de leur imposer selon eux des taxes d’un niveau jamais vu auparavant.
« Porter le deuil »
Depuis la dernière dévaluation de la livre soudanaise en octobre, la monnaie a perdu 70% de sa valeur face au dollar sur le marché noir. Et si l’inflation est retombée à moins de 50% après avoir atteint 70% en décembre, il y a surtout un manque de liquidités. Même si l’accord politique est respecté, le pays reste au bord de l’effondrement économique selon des experts.
Au marché de Bori, Amir Abdallah est venu acheter une chèvre pour le compte d’un ami, expatrié, qui veut en faire don à une organisation caritative pour l’Aïd.
Mais il confie que lui-même n’a pas les moyens d’acheter un animal pour le sacrifice cette année. Il n’a de toute façon guère le goût de faire la fête, dit-il, alors que plus de 250 personnes ont été tuées dans la répression, selon des médecins proches du mouvement de contestation.
« Je porte toujours le deuil pour ceux qui ont perdu la vie », explique Amir Abdallah. « C’est clair, la situation devient pire, il n’y a pas de travail, pas de revenus et pas d’investissements (…) mais nous devons rester mobilisés pour atteindre les objectifs de la révolution : « liberté, paix et justice » ».
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