Yvon Siméon

Responsable pour l’Europe de la Convergence démocratique haïtienne (opposition)

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Ancien professeur à l’université de Libreville (Gabon) et ex-représentant d’Haïti, notamment auprès de l’Union européenne et du royaume de Belgique, cet économiste aujourd’hui installé en France revient sur la crise dans son pays.

Jeune Afrique/l’intelligent : Haïti bascule dans la guerre civile, peu après avoir commémoré le bicentenaire de son indépendance…
Yvon Siméon : La tragédie actuelle tient pour beaucoup à la personnalité d’Aristide, à ses méthodes de gouvernement et à la nature même de son régime. Voilà un homme qui se défie du suffrage universel, pourchasse ses adversaires, concentre entre ses mains la totalité des prérogatives constitutionnelles. Pis : lorsque, par extraordinaire, des élections se tiennent, Aristide s’empresse d’en inverser les résultats. Ce fut le cas lors des législatives de mai 2000. Les observateurs internationaux ont protesté. Ils lui ont même suggéré d’organiser un second tour de scrutin. Mais, au lieu de saisir cette occasion, il a préféré proclamer immédiatement la victoire de ses partisans. Dans la foulée, en novembre 2000, il s’est fait réélire à la magistrature suprême, avec la complicité d’une commission électorale à sa dévotion, au terme d’une consultation boycottée par l’opposition.
J.A.I. : Depuis les législatives, l’opposition refuse toute discussion avec le pouvoir…
Y.S. : Peut-on négocier avec un homme dont l’unique ambition est de rester au pouvoir ? Aristide n’a nulle envie de trouver un compromis avec nous. Il veut conserver son fauteuil et continuer de s’enrichir, avec le concours des cabinets de conseil en communication américains.
J.A.I. : Parmi ses soutiens étrangers, il y a le Black Caucus, qui regroupe les élus noirs du Congrès américain…
Y.S. : Savez-vous comment on appelle les membres du Black Caucus en Haïti ? Les « Blacks coquins ». Ils sont acquis à Aristide et sont grassement rémunérés pour cela. Certains d’entre eux ont même proposé leurs services à quelques leaders de l’opposition, qui ont, bien entendu, décliné l’offre. Comment des parlementaires d’un pays démocratique peuvent-ils soutenir un homme impliqué dans des assassinats politiques et le trafic de drogue ?
J.A.I. : Avez-vous des preuves de ces allégations ?
Y.S. : Ce ne sont pas des allégations, mais des faits avérés et connus des Haïtiens, des ambassadeurs étrangers accrédités à Port-au-Prince et de l’ONU. Des navires colombiens mouillent à longueur d’année sur nos côtes pour charger de la cocaïne en direction, notamment, de l’Amérique du Nord. Les témoignages ne manquent pas. Par ailleurs, Haïti est, à ma connaissance, le seul pays au monde où des criminels vont à la télévision à visage découvert pour annoncer qu’ils vont assassiner quelqu’un, mettent leur menace à exécution, puis reviennent sur le plateau, une fois leur forfait accompli, pour en informer la nation. Cela s’est passé une bonne dizaine de fois ces dernières années.
J.A.I. : La classe politique haïtienne, toutes tendances confondues, n’est-elle pas responsable du chaos actuel ?
Y.S. : Aristide n’est pas l’unique responsable de nos malheurs. Ceux d’entre nous – c’est mon cas – qui l’ont soutenu à ses débuts doivent faire leur mea-culpa.
J.A.I. : Aristide est resté populaire au sein de certaines couches très modestes…
Y.S. : C’est ce que prétendent les agences qui s’occupent de son image à l’étranger. En réalité, ses sorties publiques sont préparées longtemps à l’avance. Il réquisitionne les cars, met à demeure les fonctionnaires d’y participer sous peine de sanctions, distribue de l’argent à tire-larigot. Chaque manifestant reçoit ainsi 50 gourdes [0,91 euro], une petite fortune dans un pays comme Haïti.
J.A.I. : Que pensez-vous de ceux qui ont choisi de renverser Aristide par les armes ?
Y.S. : L’opposition est composite, mais nous sommes pour la plupart des non-violents. Pour autant, nous ne combattrons pas ceux qui ont pris les armes contre Aristide. Il n’y a pas que des voyous au sein de la rébellion, il y a également ceux qui en ont marre de la répression et de l’état lamentable dans lequel se trouve notre pays.
J.A.I. : Vous ne dénoncez donc pas le recours à la lutte armée ?
Y.S. : Non ! Mieux, on la comprend. Il ne faut pas oublier que la plupart des garçons qui composent le Front de résistance révolutionnaire de l’Artibonite étaient, il n’y a pas longtemps encore, des nervis d’Aristide. Ce sont des compatriotes qui, le moment venu, devront rendre des comptes à la justice s’ils se sont rendus coupables d’actes répréhensibles.
J.A.I. : Que veut au juste l’opposition ?
Y.S. : Rétablir l’État, mettre en place des institutions démocratiques et modernes, organiser des élections pluralistes et transparentes. Tout cela passe, bien entendu, par le départ d’Aristide.

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