Washington-Pékin : je te tiens, tu me tiens

Entre le premier consommateur du monde et le plus grand atelier de la planète, c’est un véritable lien d’interdépendance qui est en train de se nouer.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Vingt-cinq ans après le rétablissement des relations diplomatiques entre Pékin et Washington, les États-Unis ont posé, le 10 février, la première pierre de leur nouvelle ambassade dans la capitale chinoise. Ce complexe diplomatique, qui devrait être achevé en 2008 pour les jeux Olympiques de Pékin, sera l’édifice le plus grand et le plus coûteux jamais construit à l’étranger par le département d’État : 275 millions de dollars pour des bâtiments capables d’accueillir plus de sept cents personnes. L’empire du Milieu s’apprête lui aussi à construire une nouvelle ambassade à Washington pour fêter l’anniversaire de cette réconciliation. « Ces chantiers sont la preuve que les relations sino-américaines vont s’améliorant », a déclaré Zhou Wenzhong, le vice-ministre chinois des Affaires étrangères. Les ennemis d’hier seraient-ils en passe de devenir les alliés, ou, à tout le moins, les partenaires de ce début de millénaire ?
Aux yeux de nombre d’économistes, dont ceux de la banque américaine Morgan Stanley, les deux empires ont déjà conclu une alliance économique et monétaire de facto. Et c’est un véritable lien d’interdépendance qui est en train de se nouer entre le premier consommateur du monde et le plus grand atelier de la planète. D’un côté, 290 millions d’Américains qui n’aspirent qu’à acheter toujours davantage ; de l’autre, 1,3 milliard de Chinois qui ne demandent qu’à grossir les rangs des entreprises à forte main-d’oeuvre pour échapper à la misère agricole. Résultat : les produits Made in China, dont le coût de production est de sept à huit fois inférieur à ceux fabriqués en Occident, inondent le marché américain. D’autant plus que l’arrimage du yuan au dollar y garantit leur compétitivité.
L’important excédent commercial qui en découle a fait de l’empire du Milieu le deuxième détenteur de devises de la planète, derrière le Japon. Ces réserves sont utilisées par Pékin pour financer le déficit budgétaire américain qui n’en finit pas de se creuser depuis l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, dont la politique a fait des États-Unis l’un des pays les plus endettés de la planète. Et la Chine, qui détient déjà plus de 20 % des bons du Trésor américains, est sur le point de devenir son principal créancier.
Cette situation est naturellement loin d’être idyllique. Principal motif de crispation entre les deux puissances : le fameux déficit commercial des États-Unis par rapport à la Chine, qui devrait atteindre près de 130 milliards de dollars en 2003. Un record ! Washington ne cesse d’implorer Pékin de réévaluer le yuan, qui serait aujourd’hui sous-évalué de 15 % à 20 %, selon les estimations, et a demandé aux autorités chinoises de prendre des mesures correctives. Mais le président Hu Jintao s’est contenté de signer des contrats d’acquisition d’une valeur de 1,5 milliard de dollars pour ses industries agroalimentaire et électronique. On est loin du compte. D’autant plus que le déséquilibre de la balance commerciale sino-américaine est devenu un thème de précampagne présidentielle aux États-Unis.
Il faut dire que l’industrie américaine est échaudée par la perte de 2,6 millions d’emplois depuis 2000, volontiers imputée à la concurrence déloyale de la Chine. L’empire du Milieu, loin d’être l’unique responsable de la crise traversée par le secteur productif, est devenu pour les entrepreneurs d’outre-Atlantique le véritable point de fixation de l’anxiété économique. Une inquiétude qui n’a pas échappé aux responsables politiques, qui se livrent volontiers au dernier exercice rhétorique en vogue aux États-Unis : le China bashing (« tabassage de la Chine »).
Le gouvernement de George W. Bush, soucieux de ne pas trop mécontenter son électorat potentiel, a adopté quelques mesures répressives à la fin de 2003. Pour calmer la colère des États sudistes, il a établi des quotas à l’encontre de certains produits textiles chinois. Les droits de douane sur les téléviseurs ont également été revus à la hausse, pour lutter contre les pratiques de dumping de certaines entreprises chinoises. De plus, Washington a menacé plusieurs fois de saisir l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Car depuis son adhésion à l’OMC, en 2001, Pékin semble en récolter les bénéfices sans réellement se plier aux règles de libéralisation de ses échanges. La Chine tarde en effet à respecter ses engagements en matière d’ouverture d’un marché intérieur qui suscite toutes les convoitises.
En dépit de ces tensions, on insiste des deux côtés du globe sur la nécessité d’entretenir de bonnes relations économiques, dans l’intérêt de chacun. Y compris des entreprises américaines, qui semblent parfois oublier qu’elles sont les premières bénéficiaires de cette situation. En délocalisant leur production, qu’elles réimportent ensuite à prix réduit, elles ont considérablement augmenté leurs bénéfices. Et certaines sociétés qui se livrent en public au China bashing sont en réalité bien implantées sur la côte chinoise.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires