Vers une Afrique de la défense ?

Le Sommet extraordinaire de Syrte, les 27 et 28 février, se prononcera notamment sur un projet de « politique africaine commune de défense et de sécurité ».

Publié le 23 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Les ministres de la Défense des États membres de l’Union africaine (UA) se sont réunis le 20 janvier 2004 dans la capitale éthiopienne. Et ils devaient se revoir les 21 et 22 février à Syrte, en Libye. Deux rencontres en quatre semaines, c’est beaucoup. D’autant que, depuis la création de la défunte OUA, en 1963, les ministres africains de la Défense ne se sont jamais rencontrés !
Bien sûr, cette soudaine « réunionite » n’est ni le fruit du hasard ni un caprice. Le 28 février, à Syrte, le Sommet extraordinaire de l’UA doit en effet approuver la mise en place d’une « politique africaine commune de défense et de sécurité » (PACDS), dont l’application sera confiée à une nouvelle structure, le Conseil de paix et de sécurité. Ledit Conseil, qui comprendra quinze membres, devrait voir le jour avant la fin du mois de mars. Son règlement intérieur et les modalités de l’élection de ses membres sont d’ores et déjà arrêtés.
Lors du IIe Sommet de l’UA, à Maputo, en juillet 2003, la composition de cette instance avait suscité une vive controverse, certaines délégations souhaitant octroyer aux « puissances régionales » (Algérie, Afrique du Sud, Égypte, Éthiopie et Nigeria) un statut de membre permanent, sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU, d’autres – la majorité – y étant farouchement hostiles. Autre point de désaccord : la question des quotas. Certains jugeaient anormal que l’Afrique du Nord, qui ne compte que cinq pays, dispose au Conseil du même nombre de représentants que l’Afrique de l’Ouest, qui en compte seize. Sur le premier point, un compromis a finalement été trouvé : il n’y aura pas de membres permanents, mais deux statuts différents, certains pays étant élus pour deux ans et les autres pour trois ans. En revanche, les cinq régions continueront d’être représentées chacune par trois pays. C’est le Conseil des ministres des Affaires étrangères qui, au mois de mars, élira les membres de la Commission. Les candidatures se multipliant, la bataille promet d’être rude.
Le 18 janvier, au siège flambant neuf de l’UA, à Addis-Abeba, un projet de texte a été soumis aux chefs d’état-major des cinquante-trois pays membres, qui n’ont procédé qu’à quelques corrections de détail. Le travail des experts ayant été jugé, dans l’ensemble, « excellent », le projet a été soumis, deux jours plus tard, aux ministres de la Défense. Et là, surprise : la délégation libyenne a estimé que ce document était la conséquence directe d’une idée lancée, il y a un an et demi, par Mouammar Kadhafi : la création d’une « armée commune » africaine. Cette question ne figurait évidemment pas à l’ordre du jour, et la majorité des participants la croyait même définitivement enterrée. Autre surprise : la Commission a soumis aux ministres un texte reprenant à son compte une suggestion de Denis Sassou Nguesso, le chef de l’État congolais, en vue de la conclusion d’un pacte de non-agression entre l’ensemble des pays membres. La question ne figurant pas davantage à l’ordre du jour, son examen a été repoussé, mais les ministres sont quand même convenus de se revoir pour en discuter, le 21 février à Syrte, une semaine avant le Sommet extraordinaire.
Cette idée d’une politique commune de défense et de sécurité remonte à la création même de l’organisation continentale, le 8 juillet 2002, à Durban, en Afrique du Sud. Retour en arrière.
Les festivités organisées au stade Absa à l’occasion du lancement officiel de la nouvelle Union s’achèvent et les chefs d’État se retrouvent à l’International Conference Center pour le premier Sommet de l’organisation. Comme à l’accoutumée, Kadhafi met un point d’honneur à surprendre son auditoire : « Maintenant que nous avons réussi à réaliser l’Union, déclare-t-il, nous devons nous pencher sur les questions de Défense. La Jamahiriya propose d’achever notre édifice institutionnel par la création d’une armée commune. » Comme on pouvait s’y attendre, la proposition suscite un certain émoi. Au cours du débat qui s’ensuit, la majorité des intervenants évoque les difficultés techniques auxquelles une telle initiative ne manquerait pas de se heurter. Pour les uns, la défense est une prérogative exclusive des États qu’il n’est pas concevable de dissoudre dans un ensemble continental. Pour d’autres, l’idée même d’une armée commune est irréaliste, dans la mesure où elle ne tient pas compte des alliances et des traités de défense conclus par de nombreux États membres avec des partenaires extérieurs au continent. Pour tenter de sortir de l’impasse, Yoweri Museveni, le président ougandais, intervient : « Plutôt que d’évoquer une armée commune, dit-il, mieux vaudrait mettre en place un cadre permanent de concertation. » Il suggère que le Sud-Africain Thabo Mbeki, président en exercice, soit chargé de réfléchir à une « politique africaine commune de défense » (PACD). L’idée est retenue.
Entre le Sommet de Durban et celui de Maputo (juillet 2003), Mbeki réunit à deux reprises, à Sun-City, des experts civils et militaires. Ceux-ci se mettent d’accord pour adjoindre à la notion de défense celle de sécurité, de manière à associer au processus le monde du renseignement et du contre-espionnage : la PACD devient la PACDS. Le document rédigé par les experts comporte trois points essentiels : définition de la notion de défense et de sécurité communes ; élaboration des objectifs de la future politique commune ; et préparation des instruments appropriés à sa mise en oeuvre. Il se réfère exclusivement aux textes fondamentaux de l’UA (notamment à son Acte constitutif), lesquels sont loin de faire l’impasse sur les questions de défense et de sécurité. Il suffit de « mettre à niveau » les textes existants, de les actualiser pour tenir compte des développements les plus récents : armes chimiques et biologiques, mines antipersonnel, enfants-soldats, etc.
En juin 2003, toujours à Sun-City, une session extraordinaire réunit les ministres des Affaires étrangères, sous la présidence de la Sud-Africaine Dlamini Zuma. Le projet de texte leur est soumis, mais il est sans doute trop technique pour qu’ils puissent l’évaluer avec précision. C’est ainsi que, lors du Sommet de Maputo, l’idée est née de réunir les ministres de la Défense…

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