Tunisie – Basma Khalfaoui : « Les querelles d’ego sont le principal obstacle à surmonter »
Veuve du leader de gauche Chokri Belaïd, assassiné en 2013, l’avocate Basma Khalfaoui se présente dans la circonscription de Tunis 1 pour les élections législatives du 6 octobre. Elle évoque pour Jeune Afrique ses ambitions politiques, mais aussi les failles de la révolution et l’enquête relancée sur la mort de son mari.
Les débuts de la transition tunisienne ont été marqués par des violences politiques, dont l’assassinat de Chokri Belaïd. La veuve de ce dernier, Basma Khalfaoui, a un temps été le porte-drapeau de son parti, avant de rejoindre une nouvelle coalition. Elle partage aujourd’hui sa vie entre recherche de la vérité et engagement politique.
Avocate et militante, elle n’a de cesse de poursuivre le combat politique de son défunt époux. Pour la première fois, elle candidate comme tête de liste aux élections législatives, dans la circonscription de Tunis 1, sous l’étiquette de l’Union démocratique sociale (UDS).
Jeune Afrique : Depuis l’assassinat de votre mari, vous avez d’abord milité au sein du parti dont il était secrétaire général et porte-parole, le Watad (parti unifié des patriotes démocrates), avant de vous éloigner provisoirement de la politique. Pourquoi ce choix ?
Basma Khalfaoui : Mon objectif premier après le décès de Chokri était de connaître la vérité sur les circonstances de son assassinat. Je voulais que toutes les parties civiles se réunissent en un comité de défense, ce qui n’était pas le cas du Watad. Je l’ai donc quitté en 2015 pour continuer au sein du comité de défense familial. Je me suis consacrée à cette quête et à mes filles. J’avais d’autant plus besoin de prendre du recul qu’à cette époque, la sphère politique était gangrenée.
Vous avez alors rejoint le mouvement « Tunisie en avant », avant de rallier l’UDS. Pensez-vous que ces alliances de circonstance puissent perdurer au-delà des élections ?
Tunisie en avant réunissait des mécontents du parti des patriotes démocrates et portait le projet de Chokri. En février 2019, ses cadres m’ont demandé de présider leur congrès. J’étais prête à reprendre ma place sur la scène politique. L’idée était d’unifier plusieurs formations autour d’un programme commun, en mettant de côté notre orgueil.
Je pense que l’installation de coalitions est une étape normale du processus de transition
D’abord au sein de Tunisie en avant, puis de l’Union démocratique et sociale, qui réunit des composantes connues comme Al-Massar, Joumhouri, le Mouvement des démocrates socialistes, ou le groupement de la société civile Qadiroune. Je pense que l’installation de coalitions est une étape normale du processus de transition. Les querelles d’ego sont le principal obstacle à surmonter.
Vous avez fait part de votre intention de vous présenter au scrutin législatif dans la circonscription Tunis 1. Ce sera votre première campagne personnelle. Vous aviez exclu cette option en 2014, pourquoi donc y aller maintenant ?
Car je suis prête. À mon sens, le précédent parlement n’était pas à la hauteur des attentes des politiques et du peuple. En tant que juriste, je veux participer à toute une stratégie politique économique et sociale à travers l’élaboration de lois à l’Assemblée. Je ne veux pas juste passer le reste de ma vie à critiquer.
Huit ans après la révolution, quel bilan tirez-vous de la transition démocratique ?
Nous sommes dans un processus très difficile, très loin des buts de la révolution qui étaient la stabilité sécuritaire, économique et sociale, mais aussi la dignité. Les partis au pouvoir depuis 2011 n’ont pas fait en sorte de créer de nouveaux équilibres. C’est lié à leur absence de stratégique économique. Ils se sont plutôt concentrés sur les magouilles et disputes internes, ou encore l’instauration d’une sorte de réconciliation avec l’ancien régime, en exploitant ses symboles, sans passer par des étapes nécessaires comme la demande de pardon.
Des avancées ont tout de même été réalisées sur le plan institutionnel. Le cadre actuel vous semble-t-il suffisamment solide pour protéger la démocratie ?
Non, car ce système a été créé sur mesure pour ceux qui étaient au pouvoir. Il y a bien sûr eu la rédaction d’une nouvelle Constitution, mais le texte comporte de nombreuses lacunes et certains points ouvrent la voie à des interprétations parfois dangereuses.
Le fait que l’armée ne se soit pas impliquée sur la scène politique est par contre un atout. La création de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) est aussi un bon acquis. Néanmoins, de nombreuses institutions manquent encore, comme une Cour constitutionnelle.
Une classe politique pluraliste commence à se structurer. Pensez-vous que les partis vont pouvoir dépasser leurs divisions internes ?
Après l’Indépendance, la Tunisie a connu une petite période de bouillonnement politique. Mais tout a très vite été étouffé, si bien qu’on a ensuite passé plus de cinquante ans sous le règne du parti unique. Huit ans, c’est très peu pour construire une vie partisane. Les divisons sont un passage obligé.
Le saucissonnage judiciaire de l’enquête sur l’assassinat de Chokri Belaïd est très grave et nuit à ce que la vérité éclate
Vous vous êtes battue pour obtenir la vérité sur l’assassinat de votre mari, Chokri Belaïd, et dénoncez des lenteurs. Où en est l’enquête ?
Grosso modo, le dossier a été divisé et se retrouve différentes chambres. Ce saucissonnage est très grave et nuit à ce que la vérité éclate. Les lenteurs semblent voulues. Nous pensons que le premier juge d’instruction, Béchir Akremi, comme d’autres, sont manipulés par Ennahdha. Le comité de défense ne fait pas seulement un travail juridictionnel, mais tout un travail d’investigation. Nous avons ainsi dénoncé l’existence d’un appareil de sécurité parallèle au sein d’Ennahdha. On constate un déni du pouvoir politique face à la nécessité de se saisir de ce dossier.
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