Sous le voile, ça (dé)coiffe !

Les femmes voilées n’en accordent pas moins une grande attention à leur chevelure. Comme en témoignent les coiffeuses d’un salon marocain.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

En France, les politiques n’en finissent pas de débattre des méfaits comparés du voile et du bandana sur les écolières. À la sortie des mosquées, on étoffe à la hâte l’attirail des sourates et autres hadiths destiné à protéger les cous des musulmanes de l’universelle concupiscence des mâles. La presse regorge de minois voilés qui posent à l’opinion publique la question de l’identité plus sûrement que des palmarès d’universités ou des photos de bidonvilles. Pendant ce temps-là, il est, au Maroc, des boutiques qui ne désemplissent pas. Des lieux où les lois de la nature se conjuguent harmonieusement avec les contraintes de la religion et de la culture, voire les exigences du commerce.
À Rabat et à Casablanca, au salon de coiffure Jacques Dessange – marque française mais patrons marocains -, qu’elles soient, ou non, couvertes jusqu’aux yeux, il n’y a que des clientes dont il s’agit de s’occuper avec cette « passion de l’excellence » affichée sur les publicités du groupe. Le salon VIP est réservé aux femmes voilées. À l’abri des convoitises de la rue, une escouade d’hôtesses filtrent les entrées, et la longue file de silhouettes enfoulardées, rendez-vous après rendez-vous, accède au cabinet privé. C’est là que les dames de la « haute » – les princesses se font, elles, coiffer à domicile -, les militantes islamistes les mieux loties et la progéniture des religieux de la grande ville viennent faire chouchouter leur toison capillaire, délivrée du voile qui la cache aux regards indiscrets.
Dans la cabine close, on se retrouve « entre soeurs ». Ce sentiment est si vif qu’il abolit, si l’on en croit le témoignage des coiffeuses, toute distance sociale : les clientes s’épanchent plus encore que de coutume dans le giron des shampouineuses, promues, pour une heure ou deux, au rôle de « suivantes » qu’on étreint, à qui on caresse la main en leur faisant des confidences quand on ne leur demande pas des services qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’art capillaire. Pour certaines, le sanctuaire du salon autorise même toutes les audaces et il n’est pas rare – c’est une employée qui le dit – qu’elles ne se contentent pas d’ôter leur foulard, les jours de forte chaleur, en prenant leurs aises pour mieux jouir des soins que l’on apporte à leur chevelure…
Quand un homme pénètre dans la forteresse, ce ne peut être, bien sûr, qu’un mari pressé, un peu gêné, venu récupérer son épouse. On en a vu plus d’un, pétrifié par le spectacle de sa femme sur son fauteuil, les épaules nues, toutes boucles déployées, lui chuchoter à l’oreille : « Crois-tu vraiment qu’il est nécessaire de remettre… ? » avant de se faire vertement rabrouer et de filer à la caisse en compagnie d’une créature dont pas un cheveu ne dépasse de son tchador noué, aux bords effilés comme un rasoir. Il semble qu’ici le conflit se déroule à fronts renversés, par rapport aux idées reçues : souvent les hommes contestent le voile – surtout après les vagues de répression anti-islamistes qui ont suivi, au Maroc, les attentats du 11 septembre à New York et ceux du 16 mai à Casablanca – et les femmes le revendiquent.
Les autres gaillards sont tenus à distance. Il est parfois des barbus qui viennent rôder devant les vitrines pour évaluer le potentiel de nuisances du lieu, mais, jusqu’à ce jour, sans incident. La protection policière dont le commissariat prend l’initiative pendant les périodes de tension n’a donc pas – encore ? – eu à démontrer son utilité.
On aurait pu croire que le port du voile rendrait vaine la coquetterie féminine sur une partie du corps destinée à devenir invisible à tous, sauf aux copines et aux membres du cercle familial. Il n’en est rien : pour la coloriste de Dessange, les femmes voilées sont encore plus attentives à leurs cheveux que les autres. Et tout aussi sensibles aux modes. Une seule chose les sépare de celles qui vont tête nue : dès que les soins sont terminés, elles se détournent du miroir où, jusque-là, elles scrutaient la moindre mèche, nouent leur foulard et se pressent vers la sortie, sans adresser un dernier coup d’oeil à leur reflet.
Si, comme l’écrivait le poète libanais Khalil Gibran, « la pudeur est un bouclier contre l’oeil de l’impur », elle n’en fait pas pour autant oublier les vertus de la beauté !

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