Sorciers en danger

La législation congolaise pourrait évoluer pour mettre fin aux crimes de sorcellerie, en augmentation depuis la fin des années 1990.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

« De 1999 au 31 août 2003, 87 assassinats de présumés sorciers ont été enregistrés dans les villes du département de la Cuvette », déclarait, en octobre dernier, le préfet Gastono Yokka Iccoulah. Consulté pour son aptitude à guérir ou à nuire par des rituels magiques, le sorcier, autrefois respecté, est de plus en plus souvent accusé de tous les maux au Congo-Brazzaville. Et les personnes que l’on suppose dotées de ces pouvoirs occultes sont pourchassées et souvent assassinées. Le phénomène prend de l’ampleur depuis la fin des années 1990. Le plus grave, c’est que l’on accuse sans fondement et pour n’importe quel motif les prétendus sorciers, en général des personnes âgées. Il s’agit de proches qui ont une emprise sur la famille, comme un oncle, un père ou une tante. On reproche notamment à ces anciens de recourir à la sorcellerie pour enrayer la réussite sociale ou économique. Lorsque survient un décès, les parents considèrent que les véritables raisons de la mort sont à chercher dans l’entourage du défunt. Et ce même si la personne est décédée du sida ou d’un accident de voiture.
Pour éviter la multiplication des crimes, les autorités ont invité en décembre à Brazzaville des chercheurs, des psychologues, des sociologues, des hommes d’Église et des juristes à réfléchir sur ce problème de société.
Jean-Claude Gakosso, le ministre des Arts, de la Culture et du Tourisme, qui a parrainé cette rencontre, dresse un terrible constat : « Nos villes, nos villages et nos quartiers bruissent de récits d’oncles décapités sans autre forme de procès, de pères poignardés par la funeste coalition des enfants, de grands-pères étranglés par leurs propres descendants. La croyance dans les charlatans et la toute-puissance des sorciers déchire de nombreuses familles. »
Or ces crimes punitifs ne sont que très rarement sanctionnés pénalement. « Les exactions commises contre les sorciers font l’objet d’un consensus social. Il y a donc peu de dépôts de plaintes de l’entourage des défunts », précise Dieudonné Tsokini, responsable du département de psychologie de l’université de lettres et des sciences humaines de Brazzaville.
En pointant du doigt la sorcellerie, on cherche souvent à gérer des situations conflictuelles au sein de la famille. L’abbé Francis Wamba, qui intervient comme « désenvoûteur », estime pour sa part que 90 % des malades qui se disent ensorcelés ne le sont pas : « Le véritable combat spirituel de l’homme reste le combat contre ses propres péchés. »
Antoine Yila, enseignant à l’université Marien-Ngouabi, défend une thèse plus polémique. Pour lui, le phénomène qui conduit des fonctionnaires, des technocrates ou des jeunes instruits à commettre de tels crimes sur leurs parents, qu’il qualifie de fictions parricides, est lié à la faillite de la nation. « L’État, ce père institutionnel, éprouve ses fils et ses filles en les soumettant à la loi impitoyable de la sélection et de la compétition… Ceux qui ne peuvent s’assumer face à ces impératifs et exigences du Père s’en trouvent désarmés, n’y voient que surnaturel, magie et sorcellerie », dit-il en substance. Ils font alors un transfert de culpabilité. L’État est moins le bourreau que l’ancêtre aux tempes grisonnantes, à qui l’on fera expier les faits dont très souvent on n’est pas parvenu à établir la véracité.
Plusieurs participants au séminaire de Brazzaville ont appelé la justice à plus de sévérité et demandé au Parlement d’engager un débat afin de compléter le dispositif législatif nécessaire à la répression des faits de sorcellerie. L’État doit également établir une codification juridique pour le traitement des cas de violences récurrentes qui sévissent dans la société congolaise. Les participants ont aussi demandé la mise en place d’un laboratoire pluridisciplinaire d’analyse de la sorcellerie. En attendant, Dieudonné Tsokini constate que, depuis ce séminaire, il n’entend plus parler de nouveaux cas de meurtres contre les sorciers. Le fait d’évoquer la question sur la place publique aurait-elle fait évoluer les esprits ?

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