Quelle mouche a piqué le dinosaure ?

Cacique du régime depuis près d’un quart de siècle, Zacharie Myboto est entré en dissidence. On ne sait s’il ira jusqu’à se présenter contre Bongo Ondimba à la prochaine élection présidentielle.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 4 minutes.

La prochaine élection présidentielle n’aura lieu qu’en décembre 2005, mais elle alimente déjà la rumeur librevilloise. Paradoxalement, ce n’est pas l’opposition qui suscite le plus de conjectures. « Le principal problème risque de se poser dans le camp de la majorité, explique un dirigeant du Parti démocratique gabonais (PDG), la formation au pouvoir. La position de Zacharie Myboto par rapport à cette échéance ne doit pas être sous-estimée. » Longtemps considéré comme l’un des barons du régime, ledit Myboto (65 ans) est aujourd’hui en rupture de ban avec sa famille politique.
En janvier 2001, après une carrière ministérielle de près d’un quart de siècle, il a démissionné du gouvernement et pris ses distances avec le chef de l’État. Lequel n’a rien fait pour le retenir. Certes, cet ancien instituteur conserve son mandat de député PDG de Mounana, dans le Haut-Ogooué, mais il critique le régime avec une telle virulence qu’il fait aujourd’hui figure d’ultime opposant dans un paysage politique où la contradiction n’existe pratiquement plus.
Principale cible de ses attaques : la réforme de la Constitution votée au mois de juillet dernier. Et notamment la disposition qui autorise le chef de l’État à solliciter autant de mandats qu’il le souhaite. Il n’était auparavant rééligible qu’une seule fois, ce qui n’autorisait Omar Bongo Ondimba à demeurer à son poste que jusqu’en décembre 2012 (il aura alors 77 ans). Si le coeur lui en dit, celui-ci pourra donc « rempiler », dans huit ans. Ce que regrette ouvertement Myboto : « La fonction présidentielle constitue une charge trop pesante pour qu’un individu puisse l’exercer plus d’une quinzaine d’années », estime-t-il.
Autre modification constitutionnelle : l’instauration d’un mode de scrutin à un seul tour. Officiellement, l’objectif est de réduire les coûts d’organisation en empêchant « les candidatures fantaisistes et les alliances contre nature ». Mais le député de Mounana redoute que cette mesure ne soit avant tout destinée à marginaliser les candidats jugés gênants par le pouvoir. En outre, en cas d’égalité parfaite entre deux candidats, rien n’a été prévu pour les départager, ce qui révèle, selon lui, « la précipitation avec laquelle cette réforme a été menée ».
De crainte d’être privé de tribune, Myboto a entrepris de mettre en place des relais dans l’administration et les milieux intellectuels librevillois. Et de se doter d’un organe de presse. Le premier numéro de L’Autre Journal est sorti le 15 novembre, mais la publication a été suspendue cinq jours plus tard, à la demande du Conseil des ministres, en raison du caractère « diffamatoire » de ses articles. L’un d’eux évoquait notamment les « absences répétées et prolongées du chef de l’État ». Quant au n° 2, il a été saisi le 12 décembre.
En tentant de constituer ses propres réseaux, Myboto est-il en train de se placer hors du PDG ? Manifestement, les militants en sont convaincus. Les instances dirigeantes pourraient être conduites, dans les prochaines semaines, à prendre à son encontre une mesure d’exclusion, afin de « clarifier les choses ». Une fois « sans étiquette », l’ancien ministre d’État serait contraint de quitter l’Assemblée nationale, où l’on ne peut siéger que sous les couleurs d’un parti. Une législative partielle pourrait alors l’opposer, dans sa circonscription de Mounana, à un candidat du PDG. Dans cette perspective, Myboto aurait pris contact avec l’Union du peuple gabonais (UPG) de Pierre Mamboundou, l’un des adversaires les plus résolus du régime.
Pour l’heure, chacun s’interroge sur l’ampleur du séisme que ne manquerait pas de provoquer un divorce Bongo-Myboto. Tout en imaginant mille moyens d’en limiter les effets. Jusqu’ici, Myboto continue d’exercer son leadership sur le groupe nzébi, dont il est issu. Mais le parti lui a déjà désigné un successeur en la personne d’Egide Boundono Simangoye, l’ancien patron de la Société nationale des bois du Gabon (SNBG), qui, en janvier 2001, lui a succédé au ministère de l’Équipement, de la Construction et de la Ville. La tâche de celui-ci est claire : maintenir l’électorat nzébi dans le giron du PDG. Le discret travail de sape entrepris depuis plusieurs mois a déjà donné ses fruits : lors des municipales de janvier 2002, Myboto a perdu la mairie de Mounana au profit d’un candidat de l’Alliance démocratique et républicaine (Adere), soutenu en sous-main par certains cadres du PDG.
Reste à savoir si le député rebelle franchira le Rubicon en posant sa candidature à la présidentielle. Les avis sur ce point sont partagés. Pour les uns, Myboto n’est qu’un opportuniste : « Comment peut-on, du jour au lendemain, condamner un système que l’on a servi pendant plus de vingt ans, à divers postes ministériels ? » Pour d’autres, il a au moins le mérite d’aller jusqu’au bout de sa logique : « Plusieurs caciques du PDG se verraient bien à la place du chef. Mais aucun autre que lui ne prendra le risque de s’opposer à Bongo avant que sa succession ne soit officiellement ouverte. »
Pourquoi Myboto a-t-il donc décidé de s’affranchir de la tutelle présidentielle, quand d’autres personnalités de premier plan, comme l’ancien Premier ministre Léon Mebiane, choisissent de prendre paisiblement leur retraite ? Les fonctions qu’il a exercées en tant que numéro deux du parti unique – il a été secrétaire exécutif du PDG de longues années durant – lui ont permis, plus qu’à d’autres, de tutoyer l’Olympe. Certains estiment donc qu’il ressent sa mise à l’écart avec une particulière amertume. Pour d’autres, le conflit relève d’un problème de génération : « Myboto et Bongo ont sensiblement le même âge. Le premier ne peut donc attendre que le second prenne sa retraite pour lui succéder, car il risque alors d’être lui-même trop vieux pour diriger le pays. »
Bref, l’échéance approche sans que l’on sache encore si l’ex-allié ira jusqu’au bout de sa dissidence. De toute façon, rien n’est jamais définitif, au Gabon. Avant lui, d’autres dinosaures ont quitté le sérail en claquant la porte, avant d’y revenir discrètement, quelques années plus tard !

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