Gaza : Sharon se trompe d’issue

Publié le 23 février 2004 Lecture : 4 minutes.

L’annonce par le Premier ministre Ariel Sharon de son intention d’évacuer unilatéralement la bande de Gaza ainsi qu’un petit nombre de colonies de Cisjordanie a provoqué une grande agitation dans les milieux politiques israéliens. Beaucoup de membres du centre-gauche, et tout particulièrement au Parti travailliste, ont applaudi des deux mains.
Un aussi large soutien n’est pas surprenant. Il est difficile de ne pas être favorable à une proposition qui promet de mettre fin à l’occupation du territoire palestinien le plus peuplé de la région. Mais l’enthousiasme – ou plus exactement le soulagement – israélien à la perspective d’une future évacuation de la bande de Gaza ne doit pas nous aveugler sur le risque que représente le projet de Sharon, ou sur l’autre choix qu’Israël devrait faire : une évacuation dans le cadre d’un accord de statut permanent.
Le plus grand risque d’une action unilatérale est le renforcement des extrémistes. En agissant unilatéralement, Sharon montre son mépris des Palestiniens pragmatiques avec lesquels il aurait pu négocier ce retrait. Il donne, en revanche, raison aux extrémistes qui prétendent qu’il ne sert à rien de négocier avec Israël, non pas parce qu’Israël ne bouge jamais, mais parce qu’il peut éventuellement le faire sans rien demander en échange.
En proposant d’évacuer Gaza unilatéralement, Sharon risque ainsi de rater l’occasion d’obtenir une forme de reconnaissance de la frontière sur laquelle les Israéliens ont l’intention de se retirer, sans donner aux Palestiniens une garantie que cette frontière ne sera pas violée. Ainsi, plutôt que d’aller dans le sens de l’apaisement – pour ne pas dire du règlement – du conflit, une évacuation unilatérale risque de le perpétuer et peut-être même de l’exacerber.
De même qu’avec l’échange de prisonniers, le mois dernier, Sharon offrait au Hezbollah ce qu’il aurait dû proposer à Mahmoud Abbas, quand ce dernier était le Premier ministre palestinien, de même, aujourd’hui, il offre au Hamas ce qu’il aurait dû offrir à l’actuel Premier ministre, Ahmed Qoreï.
C’est mauvais pour les Israéliens. C’est catastrophique pour les Palestiniens. Et l’on ne peut pas dire que Sharon apporte une contribution à la lutte contre le terrorisme mondial.
L’autre terme de l’alternative à une évacuation unilatérale est évident : un retrait dans le cadre d’un accord de statut permanent. Les conditions d’un tel accord ne sont un secret pour personne. Le président George W. Bush s’y est déclaré favorable dans un discours prononcé il y a plus d’un an et demi. Le quartet (États-Unis, Nations unies, Union européenne et Russie) a établi une « feuille de route » pour aider les parties à conclure cet accord. Plus récemment, un groupe de citoyens israéliens et palestiniens a reconnu que l’accord de Genève était un modèle. Il existe une version plus courte, qui est, elle aussi, l’oeuvre d’Israéliens et de Palestiniens : la pétition Ayalon-Nusseibeh.
Autrement dit, aboutir à un accord est possible, et le partenaire, en outre, est tout à fait disponible. De fait, comme l’accord de Genève devrait l’avoir clairement montré à Sharon, il y a des dirigeants pragmatiques influents du côté palestinien. Pour combien de temps ? Tout dépendra des Israéliens : décideront-ils de les démolir ou de leur tendre la main ? Ce qui est certain, c’est qu’à force de les discréditer les uns après les autres, il n’y aura bientôt plus de Palestiniens pragmatiques. Même si Sharon ne veut pas reprendre à son compte l’accord de Genève, il devrait entamer des négociations sur un statut permanent avec les dirigeants palestiniens sur tous les problèmes évoqués par la feuille de route. Les avantages d’un tel accord sont évidents : une reconnaissance mutuelle, une frontière mutuellement reconnue (y compris à Jérusalem), des dispositions de sécurité bilatérales, un règlement du problème des réfugiés palestiniens, et des relations normalisées entre Israël et l’ensemble du monde arabe. Il y a aujourd’hui, en Israël, un débat entre ceux qui croient à l’effort de compréhension et ceux qui n’y croient pas. Mais si Israël n’est pas obligé de construire le meilleur des mondes possible pour organiser sa vie et sa sécurité, il ne doit pas non plus être défaitiste au point de miser constamment, comme le fait tragiquement Sharon, sur le pire des mondes possible.
Il a fallu à la droite israélienne trop d’années pour comprendre qu’Israël n’avait aucun intérêt à s’accrocher à la bande de Gaza. Ces années-là ont provoqué des deux côtés des souffrances et des morts insupportables, aggravé l’affrontement et fait durer le conflit. C’est un incroyable paradoxe qu’à présent que cette droite accepte de regarder la réalité en face elle ne peut imaginer de le faire que dans un mélange de défi et de résignation, alors qu’elle pourrait le faire tranquillement dans le cadre d’un accord global. Pourquoi transformer en menace ce qui pourrait offrir tant de promesses ?

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