Des ayatollahs « made in USA »

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Une République islamique d’Irak ? Une République islamique de Palestine ? J’espère que nous pourrons éviter ce scénario du pire. Mais c’est une vraie possibilité, étant donné l’incapacité où a été jusqu’ici l’équipe Bush de mettre en place un processus politique qui permette de créer, de conforter et de légitimer un centre politique modéré en Irak ou en Palestine – un centre capable de contrer l’influence grandissante du Hamas et du Hezbollah auprès des Palestiniens et de celle du clergé chiite en Irak.

Commençons par les Palestiniens. Le Premier ministre israélien Ariel Sharon a fait éclater une bombe, l’autre semaine, en annonçant qu’il projetait d’évacuer la plupart des colonies israéliennes de la bande de Gaza et d’en déplacer d’autres en Cisjordanie. Il n’est pas surprenant que cette initiative vienne de Sharon, puisqu’il a assigné à résidence les deux autres principaux acteurs du drame arabo-israélien.
Sharon a en effet consigné le leader palestinien Yasser Arafat dans son bureau de Ramallah, et le président George Bush dans le Bureau ovale. Autour d’Arafat, Sharon a disposé des tanks, et autour de Bush, des lobbyistes juifs et chrétiens pro-israéliens, un vice-président, Dick Cheney, prêt à faire tout ce que Sharon lui dictera, et des magouilleurs politiques qui conseillent au président de ne mettre aucune pression sur Israël pendant une année électorale – tous faisant front pour être sûrs que le président ne fera rien.

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Parce que Sharon est le seul à bouger et parce qu’il s’est brusquement retrouvé obligé de bouger – à la fois pour détourner l’attention du scandale de corruption où sa famille et lui sont compromis, et pour calmer un électorat israélien qui ne supporte plus un statu quo sanglant -, nous pourrions avoir un retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza. Cela fait apparemment partie d’un plan plus large de Sharon visant à créer unilatéralement un État palestinien provisoire qui comprendrait environ la moitié de la Cisjordanie et la totalité de la bande de Gaza, et laisserait le reste à Israël.
C’est un pas dans la bonne direction, mais tout n’est pas aussi simple. Pourquoi ? Parce que, ces deux dernières années, Sharon a réduit à l’impuissance l’Autorité palestinienne corrompue d’Arafat, mais n’a pas levé le petit doigt pour renforcer l’autorité de Palestiniens plus responsables, comme Mahmoud Abbas et Mohamed Dahlan. Cela a créé un vide de pouvoir à Gaza et en Cisjordanie, qui a été occupé par les islamistes du Hamas. Et, l’autre semaine, Sharon a remis quatre cents prisonniers palestiniens à la milice libanaise islamiste du Hezbollah, dans le cadre d’un échange de prisonniers, ce qu’il n’a jamais fait avec des dirigeants palestiniens modérés.
Le message est celui-ci : ayez recours à la violence, comme le font le Hamas et le Hezbollah, et vous obtiendrez quelque chose d’Israël. Faites preuve de modération, et vous n’aurez rien. Si Sharon se contente d’évacuer Gaza et la moitié de la Cisjordanie, lui et l’équipe Bush qu’il a dans sa poche récolteront ce qu’il a semé : la prise de pouvoir par le Hamas ou la guerre civile.

Martin Indyk, qui fut l’un des principaux conseillers du président Bill Clinton pour le Proche-Orient, dit que l’équipe Bush aurait intérêt à avoir quelques idées personnelles lorsque Sharon viendra à la Maison Blanche présenter ses plans. Selon lui, les États-Unis et leurs alliés de l’Otan devraient remplir le vide qu’est en train de creuser l’initiative de Sharon avec leur projet de « mandat » visant à mettre en place dans la bande de Gaza et en Cisjordanie un centre politique modéré valable. « Lorsque l’Amérique ou Israël dénoncent leurs ennemis sans renforcer leurs amis, ils n’aboutissent qu’à conforter le soutien populaire de leurs ennemis », fait remarquer le spécialiste du Proche-Orient Stephen Cohen.
Dans l’Afghanistan post-talibans, l’équipe Bush a amorcé la mise en place d’une solution modérée avec Hamid Karzaï. En Palestine, elle n’a à peu près rien fait, et c’est le Hamas qui en profite. En Irak, elle s’efforce de constituer un centre modéré. Mais, après les erreurs déjà commises – la décision absurde de disperser l’armée irakienne, l’absence de plan réaliste de transition politique et la date limite du 1er juin pour transmettre le pouvoir à Bagdad aux Irakiens -, le succès n’est pas garanti. On pourrait donc se retrouver, là aussi, avec des ayatollahs maîtres du jeu ou bien avec la guerre civile.

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