Coupables d’écriture

À Paris, la maison des journalistes héberge des professionnels menacés de mort dans leur pays, simplement pour avoir exercé leur métier.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 2 minutes.

« Nous essayons d’offrir aux journalistes réfugiés la vie la plus normale possible et la plus proche de celle d’un journaliste lambda », explique Philippe Spinau, cofondateur de la Maison des journalistes (MDJ), qui a ouvert ses portes en décembre 2003 à Paris. Dans cette usine désaffectée, quinze professionnels originaires d’Haïti, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, de Birmanie, du Pakistan ou encore d’Algérie et de Tunisie tentent effectivement de vivre comme si de rien n’était. Comme s’ils n’avaient jamais dû faire face aux menaces de mort. Comme s’ils n’avaient jamais dû quitter précipitamment leur famille et leur pays.
Chacun a sa chambre, sommairement meublée. Tous se retrouvent, le soir venu, dans les espaces collectifs, sobres mais modernes, de cette « maison » de 760 m2 nichée dans le 15e arrondissement. Ils racontent leurs mésaventures, partagent leur foi en la liberté d’expression, échangent leurs convictions et leurs doutes autour d’un tagine ou d’un curry. La journée, quand ils ne bataillent pas pour obtenir leurs papiers, ils écrivent dans L’OEil de l’exilé, le journal de l’association. Ou ils offrent leur plume à leur parrain, un support de presse français.
Les médias ont activement soutenu le projet de Philippe Spinau, ancien réalisateur, et de Danièle Ohayon, journaliste à la radio France-Info. C’est grâce à leurs dons, complétant le financement de la Mairie de Paris et de l’Union européenne (UE), qu’ils ont pu ouvrir une première structure, en mai 2002, à Bobigny, dans la région parisienne, en attendant que se terminent les travaux de réhabilitation de cette usine de la rue Cauchy. Le Monde, Le Canard enchaîné, TF1, Canal + et bien d’autres rédactions de l’Hexagone accueillent de temps à autre les journalistes exilés. Mais de là à leur offrir un travail… « Malheureusement, certains sont obligés de faire une croix sur leur carrière de journaliste une fois leur situation régularisée », déplore Philippe Spinau. D’autres aussi ne veulent plus faire ce métier qui leur a tout pris : leurs racines, leur liberté, leurs proches, leurs idéaux…
Après six mois passés à la MDJ, où ils disposent, en plus de l’hébergement, d’un soutien psychologique et social, d’un ticket alimentaire quotidien de 8,50 euros, de cartes de transport et de téléphone, les journalistes bâillonnés deviennent souvent serveurs, chauffeurs routiers ou livreurs de pizzas. Ce reclassement n’est pas vécu comme un échec par les dirigeants de la MDJ, car ils estiment que leur rôle consiste à offrir les meilleures conditions possibles aux journalistes en passe d’obtenir le statut de réfugié politique. Car c’est l’arrivée brutale, violente et non désirée dans un nouveau pays qui est particulièrement difficile. Philippe Spinau espère que la MDJ fera des petits, en Grande-Bretagne par exemple, autre terre d’asile, puis ailleurs dans le monde. « Il faudrait que d’autres professions, menacées elles aussi, comme les avocats ou les médecins, se mobilisent et créent le même type de maison d’accueil », rêve le directeur.

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