Cassius Clay devient champion du monde

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

« I’m the king ! I’m the greatest ! » Sur le ring du Convention Hall, à Miami Beach, Cassius Clay hurle, les yeux exorbités. Il vient de terrasser le monstre et de décrocher son premier titre de champion du monde des poids lourds. Le futur « plus grand boxeur de tous les temps » est sur orbite. Dans son coin, son adversaire baisse la tête. Le terrifiant Charles « Sonny » Liston ne comprend pas ce qui vient de lui arriver. Normal, il n’a jamais rien compris à rien : c’est une cervelle de colibri dans un corps de grizzly. « Dites-lui bonjour, il cherchera la réponse un bon moment », dit-on de lui. Ce fauve plusieurs fois encagé dans un pénitencier fédéral déteste l’humanité entière. Surtout son père et sa mère. Dans le genre, seul Mike Tyson à ses débuts pourrait lui être comparé.

Grandissime favori de tous les spécialistes, Liston-le-démolisseur possède un punch qui remplit d’effroi ses adversaires avant même qu’ils ne montent sur le ring. Même son jeune et arrogant challenger, pas plus rassuré que les autres en dépit de ses rodomontades, doit en convenir : « Je dis qu’il est con et moche, je n’ai jamais prétendu qu’il ne frappait pas. » Depuis des mois, Clay accable de ses sarcasmes cet « ours mal léché » de Sonny Liston, harcelé jusqu’à son domicile et dans son camp d’entraînement. Une véritable guérilla psychologique. Une campagne de déstabilisation sans précédent dans l’histoire de la boxe. Le champion sortant est au bord de la crise de nerfs : « Il devenait fou et ne pensait plus qu’à me tuer. Du coup, il en oubliait de boxer », commentera son vainqueur.
Car Cassius Marcellus Clay n’est pas seulement un génie de la boxe, un gladiateur vif et imprévisible, maître de l’esquive et du contre-pied. C’est une « grande gueule », un provocateur matois et plein d’humour, doué d’un sens inné de la « communication » – comme on ne disait pas encore. Avec John F. Kennedy, il sera la première star de l’ère médiatique naissante. Seul handicap, mais de taille dans l’Amérique du début des années 1960 : il est noir, fils d’un peintre d’enseignes et d’une femme de ménage. Après son triomphe aux jeux Olympiques de Rome, en 1960, il est devenu la coqueluche de la jet-set internationale, mais, de retour dans son Kentucky natal, il a brutalement replongé dans la sordide réalité ségrégationniste du Deep South. Presque malgré lui, le showman s’est mué en révolté. Dès 1961, il s’est converti secrètement à l’islam, a troqué son « nom d’esclave » pour celui de Mohamed Ali et s’est lié à Elijah Muhammad et à Malcolm X, les chefs de file des Black Muslims, le premier mouvement noir américain radical. Prudent, il attendra quand même d’être devenu champion du monde pour annoncer publiquement sa conversion.
Pendant ce temps-là, l’Amérique blanche tremble sur ses bases. Deux ou trois cent mille GI’s sont embourbés au Vietnam, le mouvement antiguerre aux États-Unis prend de l’ampleur et les ghettos noirs s’embrasent. Bientôt, un vent de contestation va balayer les campus… La réaction est brutale. Plusieurs membres de l’entourage de Clay, dont Alberta Jones, son avocate, sont assassinés. Malcolm X le sera l’année suivante. Dans l’opinion conservatrice, l’image du jeune Noir trop arrogant se dégrade rapidement. Il devient « l’homme que vous aimerez haïr ». Ses commanditaires, un aréopage de dix milliardaires blancs du Kentucky, s’inquiètent pour leur investissement, et l’organisateur du combat contre Liston songe à tout annuler. Mais il est déjà trop tard pour arrêter le destin.

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L’affrontement a lieu et il tient ses promesses. Dès le coup de gong, Liston se rue à l’assaut, assène des coups d’une violence inouïe qui, le plus souvent, se perdent dans le vide. Précis, élégant, Clay remise sans s’affoler. Dès le premier round, le champion sortant se blesse au biceps. Au deuxième, sa pommette éclate. Au cinquième, les yeux brûlés par le liniment répandu sur la blessure de son adversaire, Clay, presque aveugle, s’en tire miraculeusement. Au sixième, c’est l’hallali. L’« ours mal léché » s’effondre pour le compte.
Six ans plus tard, il succombera à une overdose. Son corps sans vie ne sera découvert que dix jours plus tard. Son vainqueur conservera son titre jusqu’en 1967. Déchu après son refus de combattre au Vietnam, il reprendra son bien en 1974 à l’issue d’un combat épique, à Kinshasa, contre George Foreman et ne le cèdera qu’en 1978. C’était le plus grand.

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