Brazzaville : ombres et lumières

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Denis Sassou Nguesso sait accueillir ses pairs africains. En dehors du timing, aucunement respecté, les organisateurs ont donné au double sommet des chefs d’État d’Afrique centrale tout le faste qu’il mérite. Tapis rouge, garde républicaine, danseurs traditionnels, berlines de luxe, fanfare, hymne à la gloire des deux communautés de coopération économique et monétaire d’Afrique centrale qui tenaient leur sommet annuel à Brazzaville du 26 au 29 janvier (voir J.A.I. n° 2248).
Dans les allées et les couloirs du palais du Parlement, tout le gouvernement congolais a fait le déplacement. Au pays de la sape, les hommes ont sorti leurs plus belles tenues d’apparat. Un ancien vendeur de fringues devenu ministre me confie que les Congolais aiment l’élégance et raffolent des nouveautés vestimentaires. À l’époque où florissait son commerce, il commandait les derniers costumes et chemises en Europe en pièces uniques pour garantir à ses clients fortunés « l’exclusivité du modèle ».
Tout ce tralala et cette grandiloquence tranchent avec la vie dans les quartiers populaires de la ville, à Poto-Poto et Bakongo. Sorti du goudron principal, on retrouve les travées boueuses en cette petite saison des pluies, l’insalubrité, l’indigence… D’un monde à l’autre, les tenues vestimentaires évoluent vite. Les dernières Berlutti sont remplacées par les sandalettes en plastique, les onéreuses montres européennes laissent la place aux breloques asiatiques, les costumes de flanelle aux jeans et autres pantalons délavés…
À Bakongo, les toits de tôle n’ont pas bougé alors que les bâtiments du centre-ville opèrent, un à un, leur mue… signe du retour des hommes d’affaires dans le pays. Certes, Brazzaville, avec ses 800 000 habitants, n’a rien à voir avec les bidonvilles d’autres grandes capitales d’Afrique ou d’Amérique du Sud. Mais le manque d’assainissement, les nombreux délestages électriques, les difficultés d’approvisionnement en eau sont autant de complications quotidiennes pour ses habitants.
Un passage par la villa mise à disposition pour le pasteur Ntoumi, l’empêcheur de tourner en rond du régime, à l’entrée de Bakongo est révélateur des maux de la société congolaise. Ils s’appellent Caïs Ntumi, Claude Leroy, Giscard Tapson, douanier Mousse Koumouna, Abib Trapetta, François… Certains portent leur vrai patronyme, d’autres des noms de guerre. Ils constituent la garde rapprochée de celui que l’on prend pour le messie et occupent la maison qu’il laisse vacante, préférant rester dans le Pool.
Adolescents soldats, ils représentent certainement l’image la plus consternante véhiculée par le continent. Les visages de ces jeunes qui ont, pour la plupart, entre 15 et 20 ans, sont fermés. Ils arborent un masque froid, difficile à percer aux premiers échanges. Les mots ont du mal à couler… et pourtant ils arriveront après quelques minutes de discussion. Surveillés de très près par l’opération Espoir (rassemblement de plusieurs corps de l’armée et de la police) à quelque trois cents mètres de leur lieu de résidence, ils accumulent les frustrations. Facilement reconnaissables à leur dreadlocks, ils n’osent pas se balader dans la ville, par peur des représailles des forces de l’ordre. Cantonnés dans leur nouveau bastion, ils tuent le temps devant le petit écran et discutent entre eux une bonne partie de la journée. Pas d’entraînement militaire au programme comme pour les troupes de régiment, chez eux la guerre semble innée, comme arrivée trop tôt dans leur enfance.
Pourquoi ont-ils rejoint le pasteur Ntoumi ? Certains en avaient assez de se faire humilier par les milices présentes dans la ville, d’autres voient dans le pasteur celui qui leur a redonné honneur et légitimité. Que veulent-ils faire après la guerre ? Beaucoup d’entre eux désirent se lancer dans l’agriculture, l’élevage ou la pisciculture. D’autres veulent reprendre des études à peine commencées. Caïs joue avec un vieil appareil photo et ne pipe mot. « Tu veux devenir photographe ? » Ses compatriotes ne lui laisseront pas le temps de répondre : « Il sait bien que l’on ne peut pas vivre de ce métier au Congo », lancera l’un deux.
L’État congolais ne fait pas encore assez pour ses enfants. Après une guerre éprouvante où ils sont restés terrés telles des bêtes sauvages dans la forêt, ils se sentent toujours exclus de la société. Le Congo parviendra-il à refermer définitivement les plaies de la guerre civile sans panser les maux de ses fils et de ses filles ? « L’État doit soigner leur âme et leur donner un avenir », me dira, dans l’avion du retour, cette mère de famille congolaise en lutte contre les violences sexuelles à l’encontre des femmes. Les politiques ne doivent pas oublier leurs devoirs et les belles paroles prononcées lors du Forum pour la réconciliation, l’unité et la reconstruction de janvier 1998.

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