Au revoir Paris, « good morning » Washington

Publié le 23 février 2004 Lecture : 3 minutes.

A Dakar, les traces de la présence française sont encore partout visibles. Plus de quarante ans après l’indépendance, quelque vingt mille Français résident encore au Sénégal. La France a octroyé à son ancienne colonie une aide importante, installé des bureaucrates dans tous les grands ministères et conservé une base militaire avec vue sur l’océan Atlantique. La distribution d’eau et d’électricité reste assurée par des entreprises françaises, les automobiles Peugeot sont innombrables et les rayons des supermarchés proposent des bouteilles de pouilly fumé. Au total, un quart des importations du Sénégal viennent de France.
Depuis le déclenchement de la guerre contre le terrorisme, les choses sont cependant en train de changer. L’Afrique figure à nouveau sur les cartes stratégiques de la Maison Blanche, et ce pays musulman qu’est le Sénégal estime avoir beaucoup à gagner à collaborer avec les Américains, les positions françaises dans le pays dussent-elles en souffrir. D’autant qu’il y a des facteurs aggravants : de la réduction du montant de l’aide de la France à la force d’attraction du hip-hop américain, en passant par l’amertume provoquée à Dakar par la politique française d’immigration. Ayant du mal à digérer un certain nombre d’humiliations – réelles ou perçues comme telles -, les Sénégalais sont tout prêts à se jeter tête baissée dans les bras d’un nouvel empire dont le centre, cette fois, se trouve à Washington. Oh ! certes, l’influence de la France ne va pas s’évanouir d’un coup. Ce pays reste le premier donateur et le premier partenaire commercial du Sénégal, mais les relations que celui-ci est en train de nouer avec les États-Unis font passer sur l’axe Paris-Dakar un frisson d’inquiétude.
Officiellement, les responsables des deux pays jurent que tout va pour le mieux. Mais nombre d’observateurs comparent volontiers la situation à une passe difficile dans la vie d’un vieux couple. Ou à une relation d’amour-haine qui ne peut naître que d’une grande familiarité. « Quand deux partenaires s’efforcent de s’adapter à une nouvelle donne, cela crée forcément des frictions », estime Mamadou Diouf, un historien d’origine sénégalaise qui travaille à l’université du Michigan. Cette « nouvelle donne » est autant le résultat du spectaculaire renforcement de la puissance américaine que de la dilution de celle de la France dans l’Union européenne. Pourtant, la France a autant besoin de ses anciennes colonies que celles-ci ont besoin d’elle. Son influence en Afrique lui permet, sur le ring du monde, de « boxer au-dessus de sa catégorie ».
Mais l’influence a évidemment un coût. Or le prix à payer pour soutenir un grand nombre de pays africains est aujourd’hui trop élevé. Du coup, l’aide française diminue inexorablement. Au Sénégal, le nombre des « assistants techniques » français affectés dans les ministères est passé de 750 il y a dix ans à 124 en 2003. Côté sénégalais, les signes du changement sont subtils. Ils se fondent davantage sur des suppositions et des impressions que sur autre chose. Le ressentiment du Sénégalais lambda à l’égard de tout ce qui est français est nourri par ce qu’il connaît le mieux : les difficultés qu’il rencontre pour obtenir un visa pour venir étudier ou travailler en France. Et, bien sûr, il n’a pas encore une expérience suffisante des services d’immigration américains… Pour les plus ambitieux, New York est désormais la terre promise. Il est beaucoup plus à la mode d’être titulaire d’un diplôme de Harvard que de la Sorbonne. La grande majorité des membres du cabinet du président Abdoulaye Wade ont fait leurs études ou travaillé aux États-Unis.
Le gouvernement cherche par tous les moyens à renforcer ses liens avec Washington. Le Sénégal s’est résolument engagé dans la lutte contre le terrorisme et, à la demande du président George W. Bush, a signé un accord mettant les citoyens américains à l’abri de poursuites éventuelles devant la Cour pénale internationale. Sur la question de la guerre en Irak, il reste muet. Reste à savoir ce qu’il obtiendra en échange. À ce jour, le montant de l’aide économique et militaire américaine reste modeste, et les entreprises d’outre-Atlantique ne se bousculent pas au portillon pour faire des affaires à Dakar. Il faut dire que le Sénégal ne produit que des arachides, pas du pétrole ! Il est vrai que, selon certains, l’alliance avec Washington vise moins des avantages supplémentaires des Américains qu’à se soustraire à l’emprise de la France.

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