Algérie : incarcération de Tayeb Louh, dernier ministre de la Justice d’Abdelaziz Bouteflika
Après la chute, la prison. L’ancien ministre du Travail (2002-2013) et de la Justice (2013-2019), Tayeb Louh, a été transféré jeudi 22 août à la prison d’El Harrach, où il rejoint plusieurs de ses ex-collègues au gouvernement.
« En date du 18 août 2019, le parquet général de la Cour suprême a été destinataire, de la part du procureur général de la Cour d’Alger, du dossier de procédures engagées à l’encontre de l’ex-ministre de la Justice, Garde des sceaux, Tayeb Louh, et d’autres personnes comparant avec lui dans des affaires punies par la loi », indiquait un communiqué du procureur général de la Cour, diffusé la veille de sa comparution.
Entendu toute la journée de jeudi par les enquêteurs de la Cour Suprême, Tayeb Louh a été placé en détention provisoire pour « abus de fonction, entrave au bon fonctionnement de la justice, incitation à la falsification de procès-verbaux officiels, incitation à la partialité ». L’intéressé avait déjà fait l’objet, en juillet dernier, d’une interdiction de quitter le territoire national. L’Office central de répression de la corruption (OCRC) avait alors été chargé d’ouvrir une enquête préliminaire à son encontre, pour des faits à caractère pénal relatifs à la corruption.
Cador du système Bouteflika
Le symbole est fort. Celui qui a dirigé le département de la Justice pendant presque six ans se retrouve aujourd’hui poursuivi dans une affaire de corruption présumée. Ancien magistrat et ex-président du Syndicat national des magistrats (SNM), Tayeb Louh rejoint l’équipe présidentielle en 1999 en intégrant la commission de la réforme de la justice, initiée par le chef de l’État et confiée au professeur Mohand Issad et dont les conclusions n’ont jamais été prises en compte par le président Bouteflika. « Je ne crois pas à l’indépendance de la justice. La justice, c’est moi », avait en effet déclaré le raïs lorsqu’il avait reçu le mémorandum.
Sa mission ? Verrouiller les dossiers de corruption dans lesquels sont impliqués plusieurs membres du gouvernement
L’ascension de Tayeb Louh, originaire de l’Ouest – comme bon nombre d’anciens ministres et hauts cadres de l’État – , commence en juin 2002 quand il hérite du portefeuille du ministère du Travail et de la protection sociale, qu’il dirigera pendant presque dix ans. Proche du cercle présidentiel, il monte en grade en septembre 2013 en s’emparant du maroquin de la Justice. Sa mission ? Verrouiller les dossiers de corruption dans lesquels sont impliqués plusieurs membres du gouvernement, notamment Chakib Khelil, ancien ministre de l’Énergie, poursuivi dans plusieurs scandales liés à la gestion du groupe pétrolier Sonatrach.
Ironies du sort
Surtout, il a pour ordre de protéger les ministres impliqués dans des dossiers de prévarication, ainsi que les hommes d’affaires proches du cercle présidentiel. Ironie du sort, ceux que Tayeb Louh était chargé de soustraire à la justice vont désormais partager la même prison que lui. Ancien président de l’Assemblée nationale, Abdelaziz Ziari, a confirmé les soupçons qui pesaient sur Louh quant à la mission dévolue à ce dernier. « Le ministre de la Justice avec qui j’ai siégé au gouvernement (Mohamed Charfi en 2002) a déclaré qu’on lui a demandé de mettre le dossier de Chakib Khelil dans le tiroir pour qu’il reste ministre. Charfi peut en parler », affirmait en avril Ziari au site Tout sur l’Algérie (TSA).
Évincé du gouvernement en septembre 2013 pour être remplacé par Louh, Charfi avait refusé de disculper Chakib Khelil dans l’affaire Sonatrach. Louh a donc fait le boulot que son prédécesseur a refusé d’accomplir. De retour en Algérie en 2016, Chakib Khelil a ainsi été blanchi des accusations qui lui avait valu un mandat d’arrêt international émis contre lui en août 2013.
C’est également sous la magistrature de Tayeb Louh que l’ancien procureur d’Alger, Belkacem Zeghmati, celui-là même qui avait annoncé le 12 août 2013 les poursuites judiciaires contre Khelil et des membres de sa famille, avait été démis de ses fonctions. Preuve en est que Louh a été missionné pour solder les comptes de dossiers de corruption qui menaçaient bon nombre de hauts responsables proches ou faisant partie du cercle présidentiel. L’autre ironie du sort est que Zeghmati, dégradé et mis au placard, a été réhabilité et est aujourd’hui ministre de la Justice.
À l’époque où il dirigeait d’une main de fer le département de la Justice, Tayeb Louh nourrissait l’ambition de succéder un jour au président Bouteflika. Sa tactique ? Étendre ses réseaux au sein du FLN, dont il était un membre éminent. Peine perdue. Bouteflika n’ayant jamais toléré qu’un autre que lui puisse prétendre à sa succession, Tayeb Louh a dû ronger son frein. La révolution du 22-février, qui a poussé le patient de Zéralda à la démission, et accéléré le démantèlement du système sur lequel il s’est appuyé pour gouverner pendant vingt ans, ont scellé le sort de Tayeb Louh, remercié de ses fonctions le 1er avril 2019.
Onzième ministre emprisonné
Tayeb Louh rejoint ainsi les dix anciens ministres déjà placés en détention provisoire à la prison algéroise d’El Harrach, soupçonnés de corruption dans différents dossiers.
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