Paradoxe angolais
Malgré son retard en matière de développement humain, Luanda affiche de bonnes performances macroéconomiques.
Le vice-Premier ministre, Aguinaldo Jaime, a confirmé, le 11 janvier, les projections économiques faites par les autorités angolaises à propos de la croissance attendue pour 2006 : 21 %. S’il est vrai que les réformes économiques introduites par le gouvernement depuis avril 2002, date de l’entrée en vigueur de l’accord de paix avec l’Unita, ont provoqué une croissance annuelle à deux chiffres (+ 15 % en 2003 et une estimation de + 19,1 % pour 2005), le chiffre avancé par Aguinaldo Jaime laisse sceptiques de nombreux spécialistes de l’Angola. Mais le gouvernement du Premier ministre Fernando Dos Santos n’en a cure. Pour lui, l’important réside ailleurs : désormais, le pays n’est plus contraint de recourir à des préfinancements sur les revenus pétroliers pour obtenir des lignes de crédit. Jusque-là, Luanda se voyait refuser de manière systématique toute forme de prêt non garanti par les recettes pétrolières, cet endettement étant essentiellement destiné à assurer les salaires de la fonction publique et à entretenir une armée budgétivore. Cette méfiance tient à deux facteurs. Le premier est lié aux rapports entretenus par Luanda avec les institutions de Bretton Woods. Le Fonds monétaire international exige plus de transparence dans la gestion des revenus pétroliers, ce que le gouvernement interprète comme une ingérence intolérable dans ses affaires intérieures. Autre pomme de discorde : le programme de lutte contre la pauvreté dans le cadre des Objectifs du millénaire. En avril 2004, une mission du FMI élabore un staff monitored program (SMP), mais, trois mois plus tard, le gouvernement rend publique sa propre stratégie. La proposition est rejetée par le FMI. Autant d’accrocs qui ne font que retarder la tenue d’une conférence des donateurs, comme pour tous les pays sortant d’un conflit armé. Toutefois, José Pedro de Morais, inamovible grand argentier angolais, demeure optimiste, convaincu que l’argument de la transparence sur la gestion du pétrole n’est plus de mise (il est vrai que les chiffres de Sonangol sont régulièrement publiés sur Internet) et que la spécificité du cas angolais devrait ramener à la raison les experts du FMI. D’ailleurs, le ministre est persuadé qu’un accord avec le FMI sera trouvé d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2006.
Le second facteur de méfiance des banques et des investisseurs étrangers relève de l’image de l’Angola, classé parmi les pays les plus corrompus de la planète. Si les prébendes, les commissions occultes et les malversations demeurent une réalité, les observateurs relèvent une nette amélioration dans le climat des affaires et un recul notable de l’impunité en matière de scandales financiers. « Jamais les tribunaux angolais, assure un magistrat qui requiert l’anonymat, n’ont vu défiler autant de généraux pour des affaires de corruption qu’en 2005. » Désormais, la question n’est plus taboue, et même le très officiel Jornal de Angola, quotidien gouvernemental à grand tirage, traite régulièrement des affaires impliquant des barons du régime, des membres de l’entourage du président Dos Santos et des officiers supérieurs de l’armée. « Certes, tout cela demeure insuffisant, note un diplomate occidental, mais ces premiers pas sont prometteurs. »
Avec une pauvreté touchant 70 % de la population et un taux de chômage de près de 60 %, l’Angola se trouve toujours dans le bas du classement du développement humain (160e place) établi par le Pnud. Toutefois, flambée des cours pétroliers oblige, jamais les perspectives macroéconomiques n’ont été aussi favorables. Outre une croissance annuelle à deux chiffres, l’inflation a été contenue à 27 % en 2005. Cela peut paraître démesuré pour un pays lambda, mais c’est une performance pour l’Angola, qui a connu jusqu’à la fin de la guerre une inflation à trois chiffres. À côté de ces performances, la politique monétaire engagée par la Banque centrale a réussi à contenir la dépréciation du kwanza par rapport au dollar. La bonne tenue de ces fondamentaux, le recul de la corruption et surtout les formidables potentialités du sous-sol ont fini par aiguiser l’appétit de pays jusque-là absents ou indifférents à l’Angola. En premier lieu : la Chine populaire.
En 2004, le gouvernement est aux abois. Les portes des banques internationales restent inexorablement fermées, et les besoins de financement pour relancer la machine économique se font pressants. En juin, une ligne de crédit de 2 milliards de dollars est accordée par l’Eximbank chinoise. Outre ce montant inespéré, la convention a des vertus contagieuses. Le Brésil lui emboîte le pas avec un chèque de 500 millions de dollars. Israël et le Portugal suivent le mouvement, avec des sommes nettement plus modestes, mais tout est bon à prendre. La convention avec Pékin stipule que le montant sera libéré en deux tranches. La première est débloquée en 2005 et sert au lancement de grands chantiers d’infrastructures : réalisation d’un nouvel aéroport à Viana (au nord de Luanda), réhabilitation de 1 240 kilomètres d’axes routiers sur l’ensemble du territoire (240 millions de dollars), mais surtout rénovation, pour 350 millions de dollars, des 1 350 kilomètres de voie ferrée séparant Benguela (et le port de Lobito) des frontières zambienne et congolaise à l’est du pays. La réouverture de cette ligne, ayant servi à l’évacuation des produits miniers de Zambie et du Congo démocratique, aura immanquablement un impact économique sur toutes les régions qu’elle traverse. L’accord avec Pékin stipule que 70 % des projets financés par cette ligne de crédit doivent être confiés à des entreprises chinoises. Au vu des résultats de 2005, Pékin a donné, le 10 janvier, son accord pour la libération de la seconde tranche au cours du premier trimestre. Les succès de cette opération amènent les deux parties à envisager le doublement de la ligne de crédit (soit un total de 4 milliards de dollars sur vingt ans), avec un délai de grâce de cinq années. Il va sans dire que le taux d’intérêt est très intéressant pour les Angolais.
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