Panne sèche

Les constructeurs croyaient avoir trouvé une nouvelle poule aux ufs d’or. Problème : le public les juge inutiles et trop chers

Publié le 25 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

C’est le plus beau mirage industriel que l’automobile ait connu depuis que Mitsubishi a inventé les quatre roues directrices au milieu des années 1980… Mais il y a peu de gloire à jouer les devins à rebours. En vérité, lorsque les « minispaces » ont surgi du néant, l’illusion a été collective. Les constructeurs concernés – Opel, Fiat, Renault et Peugeot -, mais aussi l’ensemble des journalistes, ont célébré en chur l’avènement d’un nouveau genre automobile.
Pensez donc : les grands monospaces avaient déjà conquis le public dans les années 1980 avec leur vaste habitacle surélevé et leurs vertus familiales. Suivis, dans les années 1990, par les monospaces compacts, un cran plus bas. Plus courts (environ 4,30 m), moins chers, mais tout aussi capables de transporter cinq personnes et leurs bagages, voire sept dans le cas de l’Opel Zafira, les monospaces compacts ont déclenché un raz-de-marée commercial. Chez Renault, par exemple, la famille Mégane compte six carrosseries : un monospace nommé Scénic, une berline 4 portes, une 5 portes, un break, un coupé, et un coupé-cabriolet. Le monospace, à lui seul, représente 60 % des ventes de la famille. Soit plus que les cinq autres versions réunies.
Il suffisait donc de prolonger le trait un peu plus loin. D’inventer, après les grands monospaces et les monospaces compacts, les monospaces urbains, aussitôt baptisés « minispaces » par les constructeurs. Opel a lancé la mode en 2003 avec le Meriva (4,04 m). Fiat lui a aussitôt emboîté le pas avec l’Idea (3,93 m), dupliqué en Lancia Musa chez la marque sur. Renault, grand prêtre du monospace, a rejoint le bal en septembre 2004 avec le Modus (3,79 m), et Peugeot, en avril 2005 avec le 1007 (3,73 m). La présence de Renault valait à elle seule garantie de succès. Chaque fois que le constructeur français a sorti un monospace, l’acier s’est transformé en or : Espace (1984), Twingo (1993), Scénic (1996). Alors pourquoi pas le Modus, dernier-né et chaînon manquant d’une lignée qui n’a connu que des triomphes ? D’autant que lorsque quatre constructeurs de renom s’engagent quasi simultanément dans une même voie, il ne s’agit plus d’une mode, mais d’une tendance lourde. Sauf que la voie du minispace menait droit dans une impasse
Louis Schweitzer, alors PDG de Renault, s’en est aperçu trop tard. Avec le recul transparaît en effet une inquiétude dans les propos qu’il tenait lors de la présentation officielle du Modus, en mai 2004 : « À taille égale, un monospace coûte forcément plus cher qu’une berline : il est plus haut, sa surface vitrée est plus importante. » Un détail aurait dû mettre la puce à l’oreille des journalistes présents. Contrairement à l’habitude, Renault présentait un modèle sans en préciser son prix. L’information ne fut donnée que dans un second temps, quelques semaines avant la commercialisation du Modus. On comprend pourquoi : premier tarif à 12 900 euros, soit 2 500 euros de plus qu’une Clio II (3,81 m) qui rend peu ou prou les mêmes services. Sans oublier quelques euros supplémentaires encore à chaque plein de carburant, puisqu’un Modus, avec ses 1 200 kilos et sa forte surface frontale, consomme évidemment plus qu’une Clio.
Même s’il est parfois envoûté par le chant des sirènes du marketing, le public n’est pas sot. Et sait faire ses comptes. Lorsqu’il a une famille à transporter, un automobiliste est prêt à débourser davantage, à l’achat comme à la pompe, pour un véhicule qui lui offre un espace intérieur supérieur à celui d’une berline. Mais pas pour une citadine plus courte qu’une Clio II L’incompréhension du public à l’égard du Modus a encore grimpé d’un cran lorsque Renault a présenté la Clio III en septembre dernier : 3,99 m pour 12 300 euros. À bien comparer les deux modèles, le client comprend mal qu’un Modus, avec dix centimètres de moins, coûte plus cher qu’une Clio III. Et, surtout, ne voit pas son utilité : trop court pour loger une famille, trop onéreux pour être la deuxième voiture d’un ménage. Résultat : la Clio III est un succès, tandis que les ventes du Modus s’effondrent.
Initialement, l’usine Renault de Valladolid, en Espagne, avait été calibrée pour assembler 300 000 unités par an. Depuis, ce rythme a été deux fois corrigé à la baisse : 250 000, puis 200 000. Et devrait passer à 150 000 en avril prochain, soit moitié moins que l’objectif prévu. Le groupe PSA, plus prudent, tablait sur une production annuelle de 130 000 Peugeot 1007. Même punition : les prévisions pour l’année 2006 sont passées à 70 000 exemplaires. Opel Meriva et Fiat Idea ne se portent pas mieux.
Les quatre constructeurs, sans doute grisés par la réussite des monospaces compacts, se sont mépris sur le potentiel commercial des minispaces. Certes, ils offrent une position de conduite élevée, un design dans l’air du temps et une forme de modernité, surtout perceptible chez la Peugeot 1007, qui innove dans la catégorie des citadines avec ses portes coulissantes. Mais ces arguments sont ceux d’un modèle dit premium, c’est-à-dire positionné au sommet de son segment, comme la Mini ou la Mercedes Classe A chez les citadines. Mais, par définition, une premium s’adresse à une part réduite de la clientèle, pas à la majorité. Surtout dans la catégorie des petites voitures, où l’acheteur est très sensible au prix.
Toyota, qui se trompe rarement, le savait déjà. La Yaris Verso, version monospace de la Yaris, avait été célébrée en son temps par les journalistes et avait grandement contribué à apporter à la Yaris, en 2000, le titre envié de « Voiture européenne de l’année ». En 2001, la Verso représentait 22 % des ventes totales de la Yaris. Un début encourageant. Mais, ensuite, sa part a chuté à 6 %. C’est la trajectoire commerciale classique d’un véhicule qui répond à une mode éphémère : il trouve rapidement son premier public, mais ne va pas au-delà. Opel, Fiat, Renault et Peugeot auraient été bien avisés de méditer cet échec avant de lancer leurs minispaces, philosophiquement proches de la Yaris Verso. D’ailleurs, Toyota vient de présenter la Yaris de deuxième génération. En précisant qu’elle ne connaîtrait pas de déclinaison Verso
La morale de l’histoire est assez saine. Les constructeurs, pour stimuler le marché, ne cessent d’inventer de nouveaux concepts automobiles. Hommes de marketing et publicitaires essaient de persuader le public que ces modèles sont à la pointe de la modernité. Les journalistes, conseilleurs, mais pas payeurs, tombent parfois dans le panneau. Mais le dernier mot, toujours, appartient au client.

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