On votera plus tard

En trente années d’indépendance, les Angolais n’ont voté qu’une seule fois. Le possible report des prochains scrutins, initialement ?prévus en septembre 2006, n’émeut pas la classe politique.

Publié le 24 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Dans son message de vux de fin d’année, adressé à la nation le 29 décembre, le président Eduardo Dos Santos, a déclaré que les élections générales auraient lieu en temps opportun. L’échéance de septembre 2006, annoncée depuis des mois, n’est certes pas remise en question de manière explicite, mais les propos ambigus du chef de l’État laissent planer un doute sur le respect du calendrier initialement admis par l’ensemble de la classe politique. Pourquoi le président Dos Santos reporte-t-il sans cesse un vote qui, selon tous les pronostics (y compris ceux de l’opposition), lui est acquis ? « Des raisons objectives l’imposent, analyse Paulo Jorge, l’un des derniers compagnons de route du père de l’indépendance, Agostinho Neto, encore en activité. Nous voulons absolument réussir ce scrutin, réunir toutes les conditions pour sa transparence et sa régularité. C’est pourquoi nous prendrons le temps nécessaire pour y parvenir. » L’explication est convaincante ; d’ailleurs les chancelleries à Luanda admettent volontiers la bonne foi du président Dos Santos.
Pour mieux comprendre la situation politique de ce pays complexe, un bref retour en arrière s’impose. En trente années d’indépendance, le citoyen angolais n’a usé de son droit de vote qu’une seule fois, en 1992, à l’occasion d’élections générales (municipales, législatives et présidentielle). Ce bref moment démocratique avait été rendu possible grâce à un répit, tout aussi éphémère, intervenu dans la guerre civile qui secouait le pays depuis son accession à l’indépendance. Le conflit, qui opposait le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) à l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), n’a pris fin qu’avec l’élimination, en février 2002, de Jonas Savimbi par une unité d’élite des Forces armées angolaises (FAA). Deux mois plus tard, l’Unita et le MPLA ont définitivement scellé la paix à travers des accords par lesquels le mouvement rebelle s’engageait dans un processus politique et déposait les armes.
Le conflit ayant jusqu’ici empêché tout renouvellement des institutions élues, la paix retrouvée allait enfin permettre la tenue de nouvelles élections. C’était sans compter les dégâts occasionnés par la guerre civile.
En 2002, le pays était exsangue, les routes minées, des millions de personnes déplacées, sans parler d’une administration locale inexistante, d’une fonction publique sinistrée, d’une législation inadaptée et d’un état civil en retard d’une guerre (aucun acte de naissance ou de décès n’avait été enregistré depuis le départ de l’administration coloniale en 1975). Pour répondre à tous ces déficits, le président Dos Santos a adopté la stratégie suivante : obtenir un consensus de la classe politique sur la méthode à suivre, dépoussiérer la législation, élaborer le fichier électoral et trouver les 380 millions de dollars (selon une estimation du Programme des Nations unies pour le développement, Pnud, de décembre 2004) nécessaires à l’organisation du processus électoral. Le tout, orgueil national oblige, sans recourir à l’assistance étrangère, qu’elle soit technique ou financière.
En 2004, le chef de l’État angolais a entamé une série de consultations avec les leaders de l’opposition. Premier à être reçu : Isaias Samakuva, président de l’Unita depuis 2003. Le successeur de Jonas Savimbi est peu charismatique. Il est même contesté par une partie de la jeune garde de l’Unita, à laquelle appartient Abel Chivukuvuku, connu pour son fort tempérament depuis qu’il a tenu tête, en 1998, à Jonas Savimbi. C’est donc un Samakuva fragilisé qui est reçu au Palacio, le nouveau palais présidentiel. Il donne facilement son accord. Quant au Front de libération nationale de l’Angola (FLNA), il est laminé par des dissidences internes que provoque la succession du vieux leader Roberto Holden. Le Parti de la rénovation sociale (PRS, fortement implanté dans les provinces diamantifères du Nord-Ouest) ne fait pas davantage de résistance. Pas plus que la constellation de petites formations politiques agréées par la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays.
En novembre 2004, le MPLA diffuse un document : l’agenda national du consensus, fruit des consultations avec l’opposition. Le chantier électoral, avec l’adoption d’une batterie de textes législatifs, est enfin lancé. La loi électorale elle-même est adoptée, après moult tergiversations, en août 2005. Quant à l’élaboration du fichier électoral (le nombre de votants est estimé à plus de 7 millions d’électeurs), elle ne débute qu’en janvier 2006, pour cause d’hivernage. Cette opération est confiée à Fontes Pereira, ministre de l’Administration territoriale. Au mieux, elle pourrait s’achever en juillet 2006. Dès lors, l’échéance de septembre semble difficile à tenir. La nouvelle législation stipule que le corps électoral doit être convoqué par le chef de l’État au moins trois mois avant la tenue du scrutin. Voilà pourquoi les propos de Dos Santos du 29 décembre 2005 n’ont ému ni la classe politique ni l’opinion publique et qu’ils n’ont pas provoqué le courroux des partenaires de l’Angola. Tous les acteurs politiques, pouvoir et opposition, ainsi que la rue angolaise ont, pour l’heure, d’autres priorités, notamment la reconstruction du pays et l’édification d’un nouvel État aux institutions solides. Il s’agit surtout d’éviter la réédition du scénario catastrophe que l’on a connu au lendemain de l’indépendance. Les urnes peuvent bien attendre. C’est d’ailleurs l’expression à la mode aujourd’hui en Angola.

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