[Tribune] Côte d’Ivoire : pourquoi l’union ne fait pas la force

À la fin du mois de juillet, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, deux anciens présidents ivoiriens, se sont rencontrés à Bruxelles. À l’approche de la présidentielle de 2020, l’attelage qui se dessine peut-il réussir ? Et à quelles conditions ?

Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo (photos d’archives). © Photomontage: Vincent Fournier/Jeune Afrique / Peter Dejong/AP/SIPA

Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo (photos d’archives). © Photomontage: Vincent Fournier/Jeune Afrique / Peter Dejong/AP/SIPA

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  • Arthur Banga

    Docteur en relations internationales et en histoire des stratégies militaires. Enseignant-chercheur à l’Université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan.

Publié le 28 août 2019 Lecture : 3 minutes.

La rencontre organisée à Bruxelles, le 29 juillet, entre Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo a fait la une de la presse continentale. Et pour cause : ce rendez-vous entre les deux anciens présidents témoigne de la recomposition politique en cours en Côte d’Ivoire et illustre à la perfection ces coalitions improbables qui ont jalonné la vie politique locale depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993. Car même si le mot « alliance » ne figure pas dans le communiqué final, les états-majors des deux hommes ayant préféré brandir la réconciliation et la fraternité retrouvée, il est présent dans tous les esprits à l’approche de l’élection présidentielle de 2020. La question est maintenant de savoir si l’attelage qui se dessine peut réussir et, si oui, à quelles conditions.

Le schisme de 1994 au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui a donné naissance au Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, a entraîné une tripolarisation de la vie politique. Conséquence : aucune des trois formations qui dominent l’échiquier ivoirien ne peut être assurée de détenir, à elle seule, la majorité absolue. Les alliances se nouent et se dénouent donc au gré des conjonctures politiques et – parfois – au mépris des convictions, des collaborations antérieures, voire des aspirations des militants.

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Cela n’est pas nouveau. Souvenons-nous du Front républicain, né des accords passés entre le Front populaire ivoirien (FPI) et le RDR avant la présidentielle de 1995. Bédié n’avait pas hésité à le qualifier d’« alliance contre-nature », au regard du fossé idéologique qui séparait le FPI socialiste et le RDR libéral. De fait, les militants de ces deux partis avaient beau avoir connu – et souvent ensemble – la prison, le Front qu’ils avaient constitué n’avait pas résisté au partage des postes au sein du gouvernement de transition et à la compétition pour le fauteuil présidentiel en 2000.

Le risque d’un affrontement entre deux coalitions

Quelques années plus tard, l’échec du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) – il s’agit ici du groupement politique créé en 2005 avec, pour principaux piliers, le RDR et le PDCI, et non de l’actuel parti unifié – a été encore plus cuisant et révélateur du caractère court-termiste des coalitions politiques ivoiriennes. Ce RHDP-là aurait pu trouver le ciment d’une alliance forte et pérenne dans la convergence idéologique (toutes ses composantes se réclamant de droite ou de centre droite), dans l’héritage d’Houphouët, dans les années d’opposition et, plus encore, dans les victoires électorales. Las, les appétits de pouvoir ont une fois encore eu raison de tous ces éléments fédérateurs.

Il est intéressant de constater que ces échecs successifs n’ont pas entamé la volonté de construire de nouvelles alliances (en Côte d’Ivoire, cela confine au fétichisme !). Mais l’élection de 2020 risque de se résumer en un affrontement entre deux coalitions : le RHDP d’une part et, de l’autre, cette plateforme non idéologique que Bédié décrit avec enthousiasme comme une invincible armada et à laquelle il n’a pas renoncé à rallier Guillaume Soro.

Guillaume Soro (à g.) et Henri Konan Bédié, le 17 décembre 2018 à Daoukro. © Service communication du PDCI

Guillaume Soro (à g.) et Henri Konan Bédié, le 17 décembre 2018 à Daoukro. © Service communication du PDCI

C’est la visée purement électoraliste de cette plateforme, au détriment de l’histoire récente du pays et de l’idéologie, qui est son talon d’Achille. Certains partisans de Gbagbo n’ont toujours pas digéré le fait que Bédié ait appelé à voter pour Ouattara au second tour en 2010. À l’inverse, plusieurs anciens cadres du PDCI, dont Jeannot Ahoussou-Kouadio, l’actuel président du Sénat, disent avoir rejoint le parti unifié pour marquer leur opposition à une alliance avec un homme – Gbagbo –qui fut l’un des plus farouches adversaires d’Houphouët.

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Comment reprocher aux Ivoiriens d’avoir la mémoire des échecs passés et d’être dubitatifs ? Pourtant, il ne fait pas de doute que seule une plateforme politique pourra espérer constituer une alternative au RHDP. Mais la clé de la réussite résidera dans la communauté de valeurs et dans le respect des aspirations des Ivoiriens. La réconciliation, l’État de droit et la gouvernance tant vantés par le communiqué rédigé à Bruxelles sont d’excellents points de départ. Mais au-delà des mots, il faudra des propositions et des actes concrets pour susciter l’enthousiasme et l’adhésion. Faute de quoi rien ne pourra ébranler la machine RHDP qui, s’appuyant sur d’influents barons régionaux, a déjà été lancée il y a plusieurs mois.

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