Le laïc, l’islamiste et le tyran

Le psychanalyste Fethi Benslama stigmatise ceux qui font de l’islam un instrument de soumission.

Publié le 25 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Le titre est radical. Le petit ouvrage du psychanalyste Fethi Benslama se veut effectivement un instrument de combat. Pour les musulmans, mais aussi pour tous ceux qui refusent l’entreprise de destruction qui « n’épargne ni la vie humaine, ni les institutions, ni les textes, ni l’art, ni la parole » que mènent depuis des années « au nom de l’islam » les tenants de l’idéologie islamiste. Rédigé à l’origine pour nourrir la réflexion des nombreux signataires d’un « Manifeste des libertés » publié en février 2004, ce texte entend plus précisément aider « tous ceux qui se reconnaissent à la fois dans les valeurs de la laïcité et dans la référence à l’islam comme culture à sortir de leur isolement ».
Pour atteindre ce but, l’auteur pense qu’il faut, de toute urgence, redonner au « signifiant » islam sa double signification. Car il en est venu aujourd’hui à évoquer presque uniquement le fait religieux alors qu’il devrait renvoyer à toute une civilisation. Recréer cette distinction, c’est refuser la disparition de toutes ces littératures, ces philosophies, ces arts, ces savoirs scientifiques qui ne se sont jamais pliés aux injonctions de la religion dogmatique. C’est redonner toute leur place à ces penseurs de la liberté que furent dans la civilisation islamique les Avicenne, Averroès, Ibn Arabî et tant d’autres. Sur le plan sémantique, c’est encore, tout simplement, rappeler que le mot « islam » n’a pas le sens exclusif de la soumission à Dieu, puisqu’il est polysémique, signifiant aussi bien « la sauvegarde », « le salut » ou « la paix ». Donc que ce mot ne véhicule pas prioritairement l’idée d’un assujettissement – et encore moins la nécessité d’un asservissement au bénéfice de ceux qui prétendent agir en son nom.
C’est aussi s’attaquer aux complices contemporains de cette réduction désastreuse de l’islam à un instrument de soumission que sont de fait, autant que les islamistes, tous ces gouvernements tyranniques qui accaparent le pouvoir dans une grande partie du monde musulman. Des gouvernements qui ont délaissé la politique au sens fort du terme, en tant qu’art d’organiser au mieux le fait de vivre ensemble, pour défendre surtout des intérêts particuliers en opprimant les peuples. Et qui, par là même, ont conduit les individus, privés de liberté, déçus par les promesses non tenues des auteurs de discours progressistes, à se réfugier dans une sorte de délire identitaire qui a trouvé un exutoire dans l’obscurantisme islamiste.
Pour être efficace, il faut donc combattre simultanément les deux principaux agents de la « nouvelle barbarie » qui s’est répandue en terre d’islam. Tous les groupes et les individus qui tentent encore de lutter pour les droits humains et démocratiques dans le monde musulman font d’ailleurs face en permanence, quand ils n’ont pas été déjà anéantis, à la double terreur des mouvements islamistes et des pouvoirs en place. Ils sont pris dans un étau.
Pour les aider, il n’est pas inutile de rester vigilant même en Europe, où une bataille est à mener pour empêcher que les États reconnaissent des mouvements islamistes comme des interlocuteurs valables, ce qui a pour effet d’accroître leur légitimité dans les pays musulmans. Ne devrait-on pas d’ailleurs s’étonner de voir qu’on permet aux seules organisations religieuses le soin de représenter les musulmans dans un pays comme la France alors même que 65 % de ceux-ci – selon un sondage récent publié par le quotidien français Le Monde – déclarent à la fois ne pas être pratiquants et être ouverts aux principes de la laïcité dans l’Hexagone ?
Fethi Benslama intervient avec son ouvrage dans le champ politique, mais il n’est pas un homme politique. Avec ceux qui partagent ses idées, et qui semblent nombreux à en juger par les milliers de signatures qu’a recueillies le « Manifeste » qu’il soutient, il veut surtout mener un combat intellectuel. En fournissant, sous une forme lisible par toute personne cultivée, les éléments d’une réflexion historique, philosophique et politique sur cette évolution de l’univers islamique si inquiétante aujourd’hui. Ce qui n’implique pas, précise-t-il, de penser contre ou sans la dimension religieuse, mais de redéfinir une position face à elle, « ni intérieure ni de rejet ». Et de montrer, avec des arguments convaincants à l’appui, à quel point diverses batailles « idéologiques » apparemment sans rapport – par exemple pour l’émancipation des femmes, contre le racisme et plus particulièrement l’antisémitisme, pour la promotion du concept de citoyen, contre une lecture fondamentaliste des textes sacrés, etc. – visent en fin de compte le même objectif.
Vaste programme, direz-vous ? Encore plus, sans doute, que vous le pensez. Car l’auteur, qui s’est fait connaître par son ouvrage pionnier sur La Psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, n’oublie pas qu’il est un disciple de Freud. Et il rappelle donc que ce devoir d’insoumission qui incombe à tous ceux auxquels il s’adresse ne suppose pas seulement un refus de toutes les formes de servitude qui accablent aujourd’hui l’univers islamique. Il suppose aussi un travail de chacun « à l’intérieur de lui-même » afin de réveiller ce désir « insurrectionnel » qui permet de lutter pour la restauration de valeurs humanistes et plus généralement des Lumières dans cet univers.

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