Le général de l’armée morte
C’est à Mutobo, non loin de Ruhengeri, au pied du volcan Karisimbi, dans ce Nord-Ouest qui fut la matrice du régime déchu de Juvénal Habyarimana, que les ex-rebelles hutus des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) effectuent le stage de « rééducation » obligatoire de deux mois qui suit leur retour au pays. Avant de regagner leurs collines d’origine, ces combattants rapatriés de la RD Congo, où certains survivaient depuis plus de dix ans, sont tenus d’assister, quotidiennement, de 5 heures à 22 heures, à des cours sur l’histoire du Rwanda, le génocide, la justice, la morale ou la prévention du sida. « Ils sont assidus », assure le directeur du camp, Franck Musorena, un ancien officier, anglophone, de l’APR [la branche armée du FPR au pouvoir], « ce n’est pas du lavage de cerveau, juste une remise à niveau. »
Il est vrai que les quelque 150 hommes présents sous les dortoirs de tôle le jour de notre visite n’ont pas vraiment le choix. Parmi eux, le « général » Amani – de son vrai nom Séraphin Bizimungu -, un ancien chef rebelle de 40 ans qui s’est rendu le 15 décembre 2005 avec 286 hommes en franchissant la frontière du côté de Kamanyola. Ce diplômé de l’École supérieure militaire de Kigali, formé par des conseillers français au début des années 1990, était lieutenant dans les Forces armées rwandaises au moment du génocide de 1994. Affecté dans le parc national de la Kagera, blessé, il accompagne les FAR dans leur fuite éperdue vers le Zaïre, participe à la sanglante tentative des maquis de l’Ouest rwandais, puis se replie dans le Sud-Kivu où il s’allie avec le commandant Maï-Maï Padini. Le ralliement de son chef, le général Rwarakabije, fin 2003, puis la signature, fin août 2005, de la médiation conduite par la communauté de Sant’Egidio le font réfléchir. « J’ai décidé de rentrer car il n’y avait plus de perspectives », dit-il. De quoi survivait-il dans les forêts du Congo ? « De pillages, et croyez bien que je le regrette », confesse celui qui se dit aujourd’hui « prédicateur pentecôtiste ». Son souhait le plus cher est que les quelque 10 000 rebelles irréductibles du Sud-Kivu, commandés par Sylvestre Mudacumura, autre général hutu autoproclamé des FDLR, suivent son exemple. Mais il n’en est pas sûr : « Ceux-là sont des jusqu’au-boutistes. » Que fera-t-il, une fois sa période de rééducation achevée ? « Je suis un militaire, j’aimerais rejoindre la nouvelle armée rwandaise, mais j’ignore s’ils voudront de moi. » Et si les tribunaux gacaca le convoquent pour l’entendre ? Le « général » Amani tapote sa Bible d’un air gêné. Manifestement, cette perspective ne l’enchante guère. Mais il se ravise : « J’irai, bien sûr. Je n’ai rien à voir avec le génocide. D’ailleurs, j’ignore le sens de ce mot »
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