Le coût du sport-business

En dépit de trois nouveaux morts et de polémiques récurrentes, l’édition 2007 du célèbre rallye-raid n’est pas remise en question.

Publié le 25 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

Comme chaque année après le sacre des vainqueurs, la même question revient : faut-il arrêter le rallye-raid Paris-Dakar ? Rituellement, deux camps s’opposent. Les aficionados célèbrent une aventure humaine exceptionnelle, les échanges culturels et les actions humanitaires auxquels elle donne lieu. Les détracteurs dénoncent le mépris des populations locales manifesté par la caravane, la multiplication des accidents mortels et les dommages causés à l’environnement.
« Le Paris-Dakar est indécent. Je compare cela à une bande de fêtards qui organisent un banquet, mais pas chez eux, et qui entrent chez un pauvre pour ripailler sans l’inviter à partager », assénait l’écologiste René Dumont, en 1980, dans L’Afrique étranglée. « Paris-Dakar ? C’est le seul moment où l’on montre l’image d’une Afrique apaisée, positive et accueillante ; loin des clichés d’enfants mourant de faim ou de réfugiés fuyant la guerre », riposte, un quart de siècle plus tard, un dirigeant africain. Et puis, les duellistes rangent leurs épées et tirent leur révérence. Jusqu’à la prochaine fois.
La 28e édition du célèbre rallye-raid n’a pas dérogé à la tradition. Le 13 janvier, deux jours avant l’arrivée, Boubacar Diallo, 12 ans, est heurté mortellement par une voiture alors qu’il traversait la route reliant Labé (Guinée) à Tambacounda (Sénégal). Le lendemain, Mohamed Ndaw, 14 ans, connaît le même sort : il est renversé par un camion d’assistance. Quatre jours auparavant, le motard australien Andy Caldecott était pour sa part mort en course. Trois tragédies qui portent à quarante-sept le nombre des victimes directes ou indirectes de la compétition. Parmi eux, une bonne moitié d’Africains – dont huit enfants.
Les anti-Dakar, essentiellement des altermondialistes et des écologistes, demandent la suppression pure et simple de l’épreuve. Malgré les mesures de sécurité annoncées – radars intégrés aux systèmes de positionnement par satellite (GPS) des pilotes, sanctions sportives et financières en cas d’excès de vitesse -, la course continue de tuer. Même l’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, s’en émeut et qualifie la course de « spectacle macabre ». L’an dernier, dans une lettre adressée au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le député français Jean-Marc Roubaud s’était lui aussi prononcé pour l’interdiction. « On ne peut pas déployer en France des efforts sans précédent pour lutter contre la violence routière et, par ailleurs, la médiatiser et la rendre acceptable dans les pays en voie de développement », plaidait-il.
Pour la plupart des dirigeants des pays traversés, l’heure est au bilan. Un peu partout, on souligne le principal bénéfice de l’opération : une exposition médiatique exceptionnelle. Et gratuite. France Télévisions a ainsi consacré trois rendez-vous quotidiens à l’événement, compte non tenu des journaux télévisés. RFI a fait le choix, à chaque étape, d’une carte postale envoyée d’un coin d’Afrique que les concurrents n’ont évidemment pas le temps de découvrir. « Ça fait connaître le pays, c’est une bonne opération promotionnelle », explique Mohamed Abdemmahi Ould Khattra, le directeur du tourisme mauritanien. À Erfoud-Merzouga, au Maroc, le nombre des touristes a doublé par rapport aux années précédentes.
Vingt-sept ans après sa création, le cirque du Dakar s’est agrandi. La caravane compte désormais plus de 700 véhicules, dont d’impressionnantes voitures d’assistance, des hélicoptères de soutien, plus d’une centaine de journalistes, un camp de base qui, chaque soir, prend des allures de petite ville Plus de 475 concurrents ont pris le départ en 2006, contre 295 en 1996.
« Le Dakar est une bonne chose, estime le président Abdoulaye Wade. Certains disent que ça ne rapporte rien, mais ce n’est pas vrai. On n’attend pas de lui le développement du Sénégal, mais le monde entier suit cet événement, c’est très important. » Difficile d’évaluer avec précision ses retombées économiques. Interrogé en 2002 sur la non-sélection du Sénégal, André Mathieu, le secrétaire général de la Fédération de sport automobile et motocycliste, avait indiqué que le Dakar rapportait au pays concerné quelque 3 milliards de F CFA (4,5 millions d’euros).
Diallo Kane, le patron du sport automobile sénégalais, précise que les organisateurs versent annuellement à sa fédération 10 millions de F CFA (15 250 euros) destinés à l’organisation des Six Heures du Sahel, qui ont lieu chaque année au mois de mai.
Il n’empêche, le rallye laisse derrière lui des pistes un peu plus défoncées dans des régions où, comme à Kayes (Mali), plus rien, ou presque, ne fonctionne. Le rallye vit largement en autarcie et n’achète que peu de choses aux populations locales. Quand ils en ont l’occasion, les commerçants cherchent donc à soutirer aux visiteurs le plus d’argent possible. Mais les villes facturent le droit de passage 1 000 F CFA par voiture et 500 F CFA par moto, sommes évidemment dérisoires. Diverses réalisations sont néanmoins à porter au crédit des organisateurs, de la construction d’une maternité à Niaga, au Sénégal, au financement des opérations de SOS Sahel à Louga, en passant par la mise en place d’un système d’indemnisation pour les familles des victimes.
Sur ce dernier point, les autorités des pays concernés conditionnent la délivrance d’une autorisation de passage à l’existence d’une attestation d’assurance en responsabilité civile. Selon André Mathieu, qui représente au Sénégal l’organisateur, la société Amaury Sport Organisation (ASO) – environ 120 millions d’euros de chiffre d’affaires -, cette attestation couvre tout dommage sur les personnes ou les biens matériels, quelles que soient les circonstances de l’accident. « Il y a toujours une indemnisation au bout », tranche-t-il. Son montant dépendrait, en cas d’accident survenu sur le tracé, des négociations menées avec les familles. Dans l’hypothèse d’un drame hors tracé, la procédure civile est liée aux conclusions de l’action pénale. Dans tous les cas, explique-t-il, « nous veillons à ce que tout se passe bien ».
Que les passionnés du Dakar se rassurent : en dépit de toutes les critiques – et de tous les drames -, l’édition 2007 n’est nullement remise en question. Vainqueur cette année, le Français Luc Alphand résume la philosophie de l’aventure : « Même s’il faut avoir une pensée pour tout ce qui s’est passé, ça ne va pas gâcher mon bonheur ! » Ainsi va le Dakar

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