Kader Attia, artiste hallal

Ce jeune artiste puise son inspiration dans ses racines algériennes et dans son expérience.

Publié le 24 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Il a donné rendez-vous dans un café, près de son atelier rue Saint-Ambroise, à Paris. Le lieu où se créent ses installations. La dernière : un parterre en verre qui se brise sous les pas, un toboggan rose bonbon, des savons parsemés de lames de rasoir, un carrelage de douche immaculé où s’accrochent des mèches de cheveux, des colliers en cuir, une poupée abandonnée. C’est Childhood, l’uvre que Kader Attia a présentée à la dernière édition du Prix Marcel-Duchamp, décerné à la Fiac (Foire internationale d’art contemporain).
La signification de cette uvre : dénoncer les mutilations sexuelles. « J’ai été circoncis dans la cuisine de l’appartement de mes parents à l’âge de 9 ans, très tard… trop tard. L’opération s’est faite à la manière traditionnelle, sans anesthésie. Ça m’a traumatisé à vie ! » confie-t-il en poursuivant : « À l’adolescence, j’ai découvert qu’il y avait pire que la circoncision : l’excision. Dans la cité ?où j’ai grandi et dans mon collège, mes copines ?maliennes et sénégalaises m’ont parlé de ce qu’elles ont subi. »
Retour également sur les souvenirs d’enfance dans Flying Rats, une autre installation qui joue sur la notion de temps et la difficulté de devenir adulte : les 50 sculptures d’enfants – en mousse et mélange de graines pour oiseaux – qui la composent se font dévorer par 150 pigeons vivants ! Cette uvre était visible à La Sucrière, dans le cadre de la Biennale de Lyon qui s’est déroulée jusqu’au 31 décembre dernier.
Formé à l’École supérieure des arts décoratifs de Paris, Kader Attia avoue que son travail s’inspire souvent d’anecdotes personnelles. En ce moment, il dessine les immeubles de banlieue. C’est justement dans la région parisienne et plus précisément à Dugny, en Seine-Saint-Denis, que le petit Kader a vu le jour en 1970 de parents algériens. Ses travaux sont fortement marqués par l’ambiance des cités où il a grandi. Machine à rêves # 1, présenté à la Biennale de Venise en 2004, montre un mannequin vêtu d’un sweat-shirt marqué Hallal (licite, autorisé, dans la religion musulmane) qui pose devant un distributeur automatique. L’appareil propose un manuel pour perdre l’accent de banlieue, du gin hallal, un passeport américain, une carte Gold et divers autres objets de désir.
Les questions liées au déracinement et à l’identité sont également très présentes dans les créations de Kader Attia, qui reconnaît avoir davantage une démarche de socio-ethnologue que de pur plasticien. C’est ainsi qu’il a transformé, en 2004, la galerie Kamel-Mennour en boutique d’une marque de prêt-à-porter nommée Hallal. L’on y trouvait des casquettes, des jeans ainsi que des strings dits hallal. Cette métamorphose temporaire de ce lieu d’art en magasin a suscité l’indignation dans le quartier ?où le voisinage a crié à l’invasion islamique.
Avant de concevoir des installations, Kader Attia a commencé par la photographie. En 2000, Kamel Mennour, son galeriste parisien, montrait La Piste d’atterrissage, un diaporama sur la vie de transsexuels algériens exilés à Paris et condamnés à la prostitution au plus fort de la guerre civile en Algérie. Un des premiers reportages photo en noir et blanc de Kader était d’ailleurs présenté jusqu’au 22-janvier à l’Institut du monde arabe qui abritait l’exposition Regards des photographes arabes contemporains (voir J.A.I. n° 2345, p. 85).
C’est un artiste désormais incontournable, tant dans les biennales et autres foires d’art contemporain de Milan ou de Miami que dans les galeries et musées des quatre coins de la planète de Canton à Berlin en passant par Glasgow, Oslo ou Brazzaville.
Aujourd’hui, Attia a revendu le Chéri(e), café-bar qu’il tenait à Belleville et où l’on servait du Whisky-Mecca Cola, pour ne plus se consacrer qu’à ses projets artistiques. Ses uvres se vendent plutôt bien, Flying Rats a été acquise par un collectionneur suisse qui a déboursé 60 000 euros. L’artiste jure qu’il n’a personnellement touché au final que 5 000 euros et se promet que si jamais on ne le sollicitait plus, il ouvrirait un restaurant. Avec un menu hallal ?

Kader Attia participe à l’exposition collective Notre histoire, au palais de Tokyo (Paris), du 21 janvier au 7 mai 2006.

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